RCA : l’accord de paix en péril
La décision de nommer des chefs rebelles à la tête de régions déjà sous leur contrôle ne pouvait que causer des problèmes.
Huit mois après la conclusion de l’accord de paix du 6 février entre le gouvernement de la République Centrafricaine (RCA) et 14 groupes armés, de nombreux problèmes menacent toujours la stabilité du pays et pourraient faire dérailler l’accord de paix.
Le dernier épisode de violence a eu lieu en septembre 2019, entre le Mouvement des libérateurs centrafricains pour la justice (MLCJ) et le Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique (FPRC) dans la ville de Birao dans le Nord du pays. Ces deux groupes sont pourtant signataires de l’accord de paix du 6 février, et le chef du MLCJ, Gilbert Toumou Deya, occupe d’ailleurs le poste de ministre responsable des relations avec les groupes armés, selon les termes de l’accord.
Les prochaines élections présidentielles et législatives, prévues pour décembre 2020, sont susceptibles de provoquer une instabilité accrue, les dirigeants et les partis d’opposition se préparant d’ores et déjà à affronter le président sortant Faustin-Archange Touadera.
Dans ce contexte, une rupture de l’accord de paix n’est pas à écarter. Un tel scénario annulerait les progrès réalisés jusqu’ici dans la stabilisation du pays. L’Union africaine (UA), à titre de garante de l’accord du 6 février, devrait appliquer les clauses prévoyant des sanctions pour les fauteurs de troubles et veiller à ce que les groupes armés signataires de l’accord se conforment aux dispositions du document.
Il est temps pour l’UA de faire respecter les clauses de l’accord qui obligent les fauteurs de troubles à rendre des comptes
Depuis février, des dizaines de violations de l’accord de paix sont perpétrées chaque semaine. À l’issue des négociations qui se sont déroulées au mois de mars à Addis-Abeba, Sidiki Abass (également connu sous le pseudonyme de Bi Sidi Souleymane), chef du groupe Retour Réconciliation Réhabilitation (3R), a été nommé conseiller militaire du premier ministre, Firmin Ngrebada.
Abass est responsable de l’unité spéciale mixte de sécurité — composée de forces gouvernementales et de membres de groupes armés — dans la préfecture de l’Ouham Pendé, laquelle est déjà sous le contrôle de son groupe. Cette nomination s’inscrit dans le cadre de la tentative de l’UA d’aplanir les divergences sur le gouvernement d’unité nationale constitué dans le sillage de l’accord de Khartoum et de sauvegarder ce dernier. En mai 2019, le mouvement 3R s’est toutefois rendu coupable du massacre de 46 civils à Paoua, dans la préfecture de l’Ouham Pendé.
Deux autres chefs rebelles, Ali Darassa et Mahamat Al Khatim, ont fait leur entrée au gouvernement en même temps qu’Abass. Tous deux ont également été nommés conseillers militaires responsables d’unités spéciales mixtes de sécurité dans les zones que contrôlait leur groupe armé respectif avant leur nomination. La décision de nommer des chefs rebelles à la tête de régions déjà sous leur contrôle ne pouvait que créer des difficultés pour l’accord de paix.
Par la suite, Abass et Al Khatim ont tous deux démissionné du gouvernement en raison du flou qui entourait leurs responsabilités et de leurs différends avec le premier ministre. Ils ont donc officiellement renié l’accord de paix de février et sont retournés dans leur fief.
Le mouvement 3R, dirigé par le conseiller militaire du premier ministre, s’est rendu coupable du massacre de 46 civils en mai
Le 30 juillet 2019, un autre chef rebelle, Abdoulaye Miskine, a appelé Touadera à démissionner, faute de quoi il serait « démis par tous les moyens ». Miskine, qui est également signataire de l’accord de paix de Khartoum, avait été nommé au gouvernement, mais il a refusé cette nomination, bien que son groupe y soit toutefois représenté. Miskine s’est depuis allié au Parti du rassemblement de la nation centrafricaine, un groupe rebelle créé en juin 2019.
Ces défections suscitent des questions quant à la volonté des groupes armés de mettre en œuvre l’accord de paix dont ils sont signataires. La stratégie qui leur a permis de rester en charge des zones qu’ils contrôlaient déjà a clairement montré ses limites. Elle a contribué à préserver l’équilibre des pouvoirs et n’a en rien incité les groupes armés à s’engager pleinement dans l’application de l’accord. Pire, elle a légitimé leur contrôle sur ces zones.
En outre, le Groupe d’experts des Nations unies sur la République centrafricaine signale que les armes continuent d’affluer dans le pays. Plusieurs groupes armés se sont montrés réticents à se conformer au processus de désarmement, démobilisation et réintégration qui doit s’achever en janvier 2020.
La zone des trois frontières — aux confins du Tchad, du Soudan et de la RCA — a toujours été un terrain propice aux trafics en tous genres, ce qui nourrit l’instabilité dans ces trois pays. L’instabilité actuelle au Soudan et la situation qui prévaut au Tchad contribuent à fragiliser la RCA.
La présence russe et la réaction française qu’elle provoque exacerbent les dissensions politiques internes
La RCA doit également composer avec le bras de fer par procuration que se livrent la Russie et la France. Ancien pré carré de la France, la RCA tisse, depuis 2017, des liens étroits avec la Russie. La présence russe et la réaction française qu’elle provoque génèrent des distractions inutiles. Ces dissensions risquent de s’intensifier, notamment à l’approche des élections présidentielles de 2020.
Autre défi politique à l’horizon 2020, la société civile et les partis d’opposition ont mis en place fin mai 2019 une plateforme appelée « Front uni pour la défense de la nation » ou « E Zingo Biani ». Cette plateforme reproche aux autorités la nomination de chefs de groupes armés au gouvernement, qu’elle considère comme un mauvais compromis.
E Zingo Biani est radicalement opposé au régime de Touadera, ce qui ne peut qu’ajouter aux vives tensions politiques. Il est déjà arrivé que des violences éclatent en amont d’un scrutin pour en empêcher la tenue ou pour souligner l’incapacité du gouvernement à endiguer l’insécurité.
Les divergences d’intérêts, tant parmi les dirigeants centrafricains que parmi les puissances extérieures, compliquent encore davantage la gestion du casse-tête centrafricain.
Les garants de l’accord et les partenaires de la RCA devraient également faire le point sur la mise en œuvre de l’accord et sur les défis très concrets auxquels le pays a jusqu’ici été confronté. L’une des options consiste à inverser l’équilibre du pouvoir qui demeure extrêmement favorable aux groupes armés. Les discussions devraient également porter sur la question de savoir si les unités spéciales mixtes de sécurité sont un outil approprié dans le contexte actuel ainsi que sur les mesures coercitives et dissuasives qui peuvent être prises contre les fauteurs de troubles. Tout cela doit être fait suivant un échéancier précis.
L’UA doit également s’assurer de répondre aux exigences inhérentes à son rôle de garant de l’accord, notamment en veillant à l’allocation en temps opportun des ressources nécessaires à la mise en œuvre et au suivi du document.
Les divergences d’intérêts entre les puissances extérieures et les acteurs centrafricains, ainsi que l’instabilité au Soudan et au Tchad, représentent autant de défis majeurs à l’instauration de la paix et de la stabilité en RCA. À moins que ceux-ci ne soient traités conjointement, la situation actuelle ne s'améliorera pas et l'avenir de la RCA restera, au mieux, sombre.
Mohamed M Diatta, Chercheur, Rapport CPS, ISS Addis-Abeba
Cet article a initialement été publié dans le Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité de l'ISS.
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