Rajoelina et la saga de l’or de contrebande de Madagascar

La décision de Madagascar de couper ses liaisons aériennes avec l’Afrique du Sud est-elle due à une sombre affaire d’or clandestin ou au passif politique entre les deux pays ?

Le président malgache Andry Rajoelina apprécie visiblement peu l’Afrique du Sud. Et cela semble réciproque. Lorsqu’il a renversé son prédécesseur Marc Ravalomanana en 2009, ce dernier s’est réfugié en Afrique du Sud. Pretoria a contribué à la suspension de Madagascar de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) en raison du changement de gouvernement anticonstitutionnel.

L’Afrique du Sud était à l’initiative de la pression exercée par la SADC sur les deux hommes pour qu’ils renoncent à concourir aux élections de 2013 à cause de leur rivalité personnelle toxique — laissant ainsi le champ libre à Hery Rajaonarimampianina. En mars 2019, Rajoelina a provoqué, peut-être à dessein, l’ire de Pretoria en faisant l’impasse sur la conférence de solidarité avec le Sahara occidental organisée par la SADC en Afrique du Sud, préférant assister à la réunion organisée par le Maroc.

Cette épineuse affaire explique-t-elle la décision téméraire de Rajoelina de rompre les liaisons aériennes avec l’Afrique du Sud depuis avril 2022 ? Ou bien cela est-il lié à une sombre affaire de trafic d’or ?

En avril 2022, Madagascar a levé l’interdiction de voyager à l’étranger, imposée pendant deux ans par la COVID-19, autorisant la reprise des vols commerciaux en provenance de la Turquie, de La Réunion, de Mayotte, de Maurice, de l’Éthiopie et de la France. Mais l’Afrique du Sud ne faisait pas partie de cette liste, ce qui a porté préjudice à Airlink, la seule compagnie aérienne commerciale qui assure une liaison directe entre l’Afrique du Sud et Madagascar. Cette exclusion a également affecté les voyages d’affaires et le tourisme, les voyageurs étant contraints à de coûteux détours.

Madagascar a confirmé que c’est cette affaire de trafic d’or qui était à l’origine de l’interruption des liaisons aériennes avec l’Afrique du Sud

Airlink et Pretoria ont été déconcertés par cette décision, se demandant si elle était due aux relations entre l’Afrique du Sud et Ravalomanana. Ou peut-être était-elle liée à un accord qui aurait mal tourné entre le parti politique de Rajoelina et une société sud-africaine concernant l’achat d’avions ?

Ou bien encore, les 73,5 kg de lingots d’or brut trouvés dans le bagage à main de trois ressortissants malgaches en décembre 2020 en étaient-ils la cause ? Ces derniers avaient tenté de rejoindre Dubaï depuis Madagascar, via Johannesburg et Addis-Abeba. Les autorités sud-africaines les avaient arrêtés pour tentative de contrebande et avaient confisqué l’or en plus de quelque 20 000 dollars US en espèces.

Le mois dernier, le conseil des ministres malgache a confirmé que c’est cette dernière affaire qui était à l’origine de l’interruption des liaisons aériennes. À l’issue de sa réunion du 13 juillet, un communiqué a été publié précisant que « le président de la République a insisté sur la nécessité de renforcer toutes les mesures de lutte contre le trafic des ressources nationales. C’est la raison pour laquelle les lignes aériennes reliant Madagascar à l’Afrique du Sud n’ont pas encore été ouvertes ; il attend toujours la signature d’un accord ou d’un protocole d’entente pour assurer la prévention du trafic des richesses du pays ».

Le communiqué ajoute que Rajoelina a également réitéré la demande de Madagascar concernant la restitution des 73,5 kg d’or « exportés illégalement vers l’Afrique du Sud » et l’extradition des trois passeurs malgaches. L’origine de cet or reste un mystère.

L'Afrique du Sud est un point de transit essentiel pour le trafic d’or à destination et en provenance de Dubaï

Après cette arrestation, la société Parpia Gold and Jewels Trading, immatriculée à Dubaï, a affirmé être la propriétaire légale de l’or. Elle a déclaré que le métal précieux avait été acheté au Mali et que les passeurs le transportaient légalement du Mali à Dubaï en passant par Madagascar, l’Afrique du Sud et Addis-Abeba. Mais cette explication semble peu crédible, Parpia ne pouvant justifier que les 3 kg d’or achetés au Mali. Les passeurs et le butin sont donc restés en Afrique du Sud.

Entre temps, Rajoelina a dépêché son ministre des Affaires étrangères sur place afin de rencontrer le président Cyril Ramaphosa et de plaider pour la restitution de l’or et l’extradition des trois passeurs. Depuis lors, les tentatives d’extradition de Madagascar ont apparemment été suspendues en attendant une réaction favorable de Pretoria.

Cette étrange histoire se déroule dans un contexte où l’Afrique du Sud est un point de transit essentiel pour les trafiquants qui acheminent le métal précieux à destination et en provenance de Dubaï. En 2021, le Daily Maverick a rapporté qu’un réseau de contrebande, opérant probablement depuis Madagascar, utilisait l’Afrique du Sud comme point de passage pour atteindre Dubaï, l’un des principaux acteurs mondiaux de l’industrie aurifère.

L’article cite Marcena Hunter, analyste principale à l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée, déclarant que « l’Afrique du Sud est une plaque tournante importante en Afrique australe. L’exploitation minière illégale y est monnaie courante et l’on pense toujours que la majeure partie de l’or du Zimbabwe transite par l’Afrique du Sud ». Selon Hunter, la majeure partie de l’or sortant clandestinement d’Afrique finit dans les souks de Dubaï où l’on est peu regardant sur sa provenance.

Le très vif intérêt manifesté au plus haut niveau, voire au sommet de l’État malgache, soulève de réelles questions

Le Daily Maverick cite également le Conseil des minéraux d’Afrique du Sud qui affirme que l’essor de l’industrie minière illégale fait perdre des millions de dollars en redevances et en taxes au gouvernement. Selon le Daily Maverick « En décembre 2021, Interpol a signalé que l’extraction illégale d’or était une source de financement pour les groupes terroristes dans certaines régions d’Afrique, ce qui signifie que les produits de ces activités — de l’or qui se retrouve souvent dans d’autres parties du monde — pourraient indirectement contribuer au terrorisme ».

En ce qui concerne l’affaire de l’or malgache, les lingots et l’argent confisqués valent vraisemblablement plus de 4 millions de dollars US. Une somme assez peu élevée, mais suffisante pour interrompre les liaisons aériennes avec l’Afrique du Sud ? La réaction excessive de Madagascar et l’obsession de l’administration Rajoelina concernant cette affaire laissent entendre que la querelle diplomatique est moins liée à l’intérêt national de Madagascar qu’aux intérêts personnels de personnes haut placées à Antananarivo.

Après la saisie de l’or à Johannesburg, 12 personnes ont été arrêtées à Madagascar, dont des hauts fonctionnaires. Certains officiels ont insisté sur l’habileté dont avait fait preuve les passeurs en échappant aux douaniers malgaches au départ de leur périple. Les médias ont cependant démontré de manière convaincante que leur avion avait été fouillé. Des soupçons de corruption pèsent donc sur cette affaire.

Un observateur avance même l’hypothèse que Rajoelina aurait imposé la suspension d’Airlink parce que quelqu’un en Afrique du Sud n’aurait pas respecté sa partie du contrat et aurait donc été exclu de la chaîne d’approvisionnement malgache. Hunter a déclaré à ISS Today que cette mesure n’aurait toutefois pas un grand impact sur les flux illicites d’or en provenance de Madagascar, car ceux-ci pourraient toujours atteindre Dubaï via l’Éthiopie.

Qu’un fonctionnaire des douanes accepte un pot-de-vin pour laisser sortir du pays une certaine quantité d’or peut être considéré comme banal. Mais dans cette affaire, le très vif intérêt manifesté au plus haut niveau, voire au sommet de l’État malgache, soulève de réelles questions.

Peter Fabricius, Consultant, ISS Pretoria

Image : © South African Police

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