Protéger les ports en Afrique pour préserver ses economies

Hier, le 25 juillet, a marqué la Journée africaine des mers et des océans. Une attention urgente doit être accordée à la façon dont les ports maritimes peuvent être moins poreux.

Les ports maritimes sont d’une importance capitale pour les économies tributaires du commerce extérieur, et particulièrement celles des pays africains où la mer reste quasiment la seule voie d’accès au marché international.

Paradoxalement, les ports en Afrique ne sont pas traités avec l’attention qu’ils méritent. Ils sont faciles d’accès et le théâtre de diverses menaces. Ils occupent notamment le premier rang des ports d’embarquement des passagers clandestins, viennent après les ports de l’Asie du sud-est pour la piraterie et le vol à main armée, et demeurent des lieux privilégiés de trafic de drogue et de vol de cargaisons.

Au cours de laJournée africaine des mers et des océans de l'Union africaine, tenue hier lundi 25 juillet 2016 et portant cette année sur le thème « Gouvernance maritime et développement durable», les questions portuaires n’étaient pas au cœur des débats. Elles devraient pourtant faire l’objet d’un traitement particulier pour aborder des problèmes vitaux comme celui de la porosité des ports, et envisager des solutions pour leur préservation des menaces criminelles.

Existerait-il une raison particulière pour que les ports de cette partie du monde soient facilement accessibles et la cible de menaces diverses? La réponse pourrait être trouvée dans la gestion de la sûreté portuaire, l’emplacement des ports et la situation socio-économique des populations locales.

La plupart des ports africains à dimension internationale sont construits dans des zones urbaines surpeuplées où ils coexistent avec des restaurants, des marchés à ciel ouvert et d’autres lieux publics. Ils jouxtent quelques fois des infrastructures routières souvent encombrées. Tous ces facteurs favorisent la confusion dont peuvent profiter des malfaiteurs pour accéder aux installations portuaires avec la complicité de certains travailleurs.

Le faible niveau de vie des populations locales favorise aussi l'insécurité portuaire en Afrique. Les pirates et les voleurs, généralement issus de milieux pauvres, sont en quête d’argent, de biens personnels appartenant aux marins et de tous produits faciles à écouler sur le marché noir. Ils prennent également des marins en otage pour obtenir des rançons.

Malgré leur importance stratégique, beaucoup de ports africains sont facilement accessibles aux criminels

Dans le même ordre d’idée, les passagers clandestins visent également un meilleur avenir socio-économique. Il en est de même de la majorité des migrants empruntant des embarcations de fortune pour l'Europe, une situation qui met à nu la perméabilité des côtes de l’Afrique du Nord. Les migrants avancent souvent des raisons politiques, ethniques ou religieuses qui ne sont que des alibis car la plupart d’entre eux se mettent en danger dans l’espoir d’une vie meilleure.

Le mode opératoire des petits voleurs des ports - familièrement appelés «rats de port » en Afrique de l'Ouest - illustre également l’impact de la la sûreté portuaire. Ces larcins accèdent aux installations portuaires quelques fois en escaladant les clôtures ou en y faisant de grandes ouvertures. Quelques kilogrammes de riz sale, du vieux bois de fardage ou une pièce de rechange de voiture d'occasion ramassés sur les quais peuvent suffire à leur pitance journalière.

Au-delà de la situation géographique des ports et du niveau de vie des populations dans leur voisinage, la question de leur porosité dépend en priorité de la mise en œuvre des normes de sûreté.

Malheureusement, des rapports continuent de montrer que de nombreux ports africains ne parviennent toujours pas à respecter les dispositions du code international pour la sûreté des navires et des installations portuaires (code ISPS). Selon le Port Security Advisory - un bulletin en ligne des garde-côtes des États-Unis - publié le 22 juin 2015, 10 pays africains, sur un total de 17 au niveau mondial, ne mettent pas correctement en œuvre le code ISPS. Cela signifie que les ports de ces pays ne luttent pas efficacement contre le terrorisme et les autres menaces dans le secteur maritime.

La sécurisation des ports incombent en priorité aux autorités portuaires

Le Bureau maritime international indique, pour sa part, que plusieurs ports africains demeurent des lieux de piraterie et de vols à main armée. Son dernier rapport annuel mentionne que des 35 attaques ou tentatives d'attaques enregistrées en 2015 en Afrique, 17 ont eu lieu en zones portuaires, sur des navires à quai ou au mouillage.

Pourtant les administrations maritimes des États de ces ports déclarent au secrétariat de l’Organisation maritime internationale que leurs installations portuaires sont conformes aux normes sécuritaires internationales. Elles approuvent leurs plans de sûreté et leur délivrent des déclarations de conformité au code ISPS. Ces administrations soit manquent de rigueur soit n’ont pas l’expertise nécessaire. Dans certains pays, les administrations maritimes font même de la figuration face à de puissants directeurs de ports qui n’ont de compte à rendre qu’aux chefs de l’État ou de gouvernement.

Certains gouvernements manquent de volonté politique en faveur de la sûreté maritime. Beaucoup d’entre eux ne se sont pas encore dotés de stratégies maritimes, et ceux qui en disposent ne parviennent pas à les mettre en œuvre de manière satisfaisante. Dans de nombreux cas, leurs forces maritimes manquent de moyens suffisants pour faire face à des criminels bien armés. A cela s’ajoutent les mésententes entre les différents corps chargés de la surveillance des approches maritimes, même si quelques efforts sont réalisés ces dernières années pour remédier à ce problème.

Après le succès relatif de l'opération Prospérité entre le Bénin et le Nigeria en septembre 2011, les patrouilles mixtes inter-Etats sont encore au stade expérimental. Dans le golfe de Guinée - la zone la plus touchée par l'insécurité maritime sur le continent – sur cinq centres multinationaux de coordination prévus pour lutter ensemble contre l’insécurité maritime, seuls deux sont opérationnels, et avec des moyens limités (l’un à Douala en Afrique centrale, et l'autre à Cotonou en Afrique de l’ouest).

Les gouvernements devraient équiper leurs forces maritimes en ressources suffisantes

C’est avant tout aux autorités portuaires qu’il revient d’assurer la sûreté de leurs ports. Elles devraient, pour commencer, relocaliser les activités de commerce loin des enceintes portuaires. Une telle décision n’est certes pas facile à prendre puisqu’elle est synonyme de renoncement à certaines recettes domaniales. C’est pourtant le prix à payer pour avoir une visibilité complète autour d’un port. Sinon, comme solution de dernier recours, les autorités portuaires devraient surveiller en permanence les zones surpeuplées.

Chaque port devrait surtout s’investir dans la mise en œuvre du code ISPS en mettant en place les procédures et les équipements de sûreté requis. Il devrait aussi former le personnel nécessaire à cet effet. Au cas où le recours à une expertise privée serait necessaire, un personnel interne au port capable d’assurer le suivi des activités du sous-traitant devrait être disponible. Les autorités portuaires ne devraient en aucun cas déléguer leur responsabilité en matière de sûreté et de sécurité.

Enfin, les ports africains devraient se soumettre aux inspections des administrations publiques chargées du suivi des normes de sûreté et mettre en œuvre leurs prescriptions, conformément aux règles nationales et internationales.

Les gouvernements africains, pour leur part, devraient doter leurs forces maritimes de ressources capables de dissuader les criminels, et demander à leurs structures maritimes de coopérer. Ce faisant, ils honoreraient leurs engagements pris en adoptant le 31 janvier 2014 la Stratégie africaine intégrée pour les mers et les océans horizon 2050. Ils mettraient également ainsi en œuvre leurs stratégies régionales et d’autres mécanismes comme les codes de conduite de Djibouti et de Yaoundé.

Au total, plusieurs facteurs contribuent à la porosité des ports maritimes sur le continent, et leur sécurisation nécessite une synergie d'actions. Les autorités portuaires devraient notamment prendre des mesures courageuses pour dégager les alentours de leurs ports de toutes infrastructures et activités susceptibles de favoriser des actes malveillants, et veiller à l’application des normes de sûreté maritime. Les gouvernements ont aussi un rôle clé à jouer dans la réalisation de cet objectif en vue de la promotion du développement économique de leurs pays.

Barthélémy Blédé, chercheur principal, division Opération de paix et consolidation de la paix, ISS Dakar

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