Pourquoi les décisions du CPS de l’Union africaine restent souvent sans suite ?

La concrétisation et le financement des décisions du CPS sont essentiels pour contrer les menaces à la sécurité et la stabilité en Afrique.

L’extrémisme violent, les conflits locaux mêlés à la criminalité organisée, les coups d’État et les reculs démocratiques menacent de plus en plus l’Afrique. L’Union africaine (UA) joue un rôle essentiel dans la résolution de ces problèmes, mais vingt ans après sa création, ses décisions en matière de paix et de sécurité ne sont pas toujours suivies d’effets.

La Conférence des chefs d’État de l’UA a demandé à plusieurs reprises au Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA d’accorder la priorité à leur application, demande qu’elle a renouvelée lors du Sommet de l’organisation en février.

L’ampleur du défi est difficile à déterminer en raison du manque de données fiables. Cependant, le fait que plusieurs décisions cruciales n’aient pas été mises en œuvre montre la gravité du problème. Parmi tant d’autres exemples, on peut citer la décision du CPS d’établir un Comité des sanctions en 2009, qui, plus d’une décennie plus tard, a finalement été considéré comme une priorité par la Commission de l’UA, ou bien la résolution du Sommet de l’UA de 2020 de déployer 3 000 soldats au Sahel, qui est restée sur lettre morte.

Depuis sa création en 2004, à la date du 12 août, le CPS s’est réuni 1 168 fois. Plus de 90 % de ses réunions ont donné lieu à diverses décisions sur des questions essentielles. On ne dispose pas de chiffres exacts, mais des milliers de décisions ont probablement été prises ces vingt dernières années. Un pourcentage important d’entre elles semble n’avoir abouti à aucune action.

Un grand nombre des milliers de décisions du CPS n’aboutissent à aucune action

Ce problème a été soulevé par le CPS à chacune de ses retraites annuelles depuis 2007, et il demeure à l’ordre du jour de nombreuses réunions. Récemment, le Comité d’experts et les ambassadeurs du CPS se sont penchés sur la question, et le Secrétariat du Conseil élabore actuellement une matrice qui permettra de suivre la mise en œuvre des décisions.

L’Institut d’études de sécurité s’est entretenu avec plusieurs acteurs politiques sur les causes de cette crise. L’une d’entre elles résiderait dans la faible qualité de rédaction des documents finaux. Au Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU), les États membres sont généralement à l’origine des projets de résolution, tandis que c’est le secrétariat du CPS qui rédige habituellement les déclarations à la presse ou les communiqués.

La pratique du CSNU permet à l’État membre à l’origine de la décision de s’assurer le soutien d’autres pays avant qu’une résolution ne soit adoptée. À l’UA, les décisions ne bénéficient généralement pas d’un plaidoyer intense en coulisses pour obtenir le soutien des États membres, même si des consultations ont toujours lieu pendant la fenêtre de 24 heures qui permet de modifier les projets de décision approuvés en principe.

Le CPS prenant ses décisions après chaque délibération et le secrétariat manquant de ressources humaines, la rédaction n’est pas aussi rigoureuse que souhaité. En outre, le nombre important de communiqués publiés chaque mois ne permet pas de recouper les résultats précédents. Jusqu’à l’introduction récente du référentiel du département des Affaires politiques, de la Paix et de la Sécurité de l’UA, il était encore plus difficile d’avoir un accès fiable à tous les communiqués antérieurs.

Les décisions du CPS ne font pas suffisamment l’objet de plaidoyers pour obtenir le soutien des États membres

La formulation alambiquée des décisions du CPS rend également leur exécution difficile et incohérente. Les décisions du Conseil sont prises dans un environnement politiquement chargé, où les intérêts divergents conduisent à des formulations obscures. En outre, la culture rédactionnelle qui règne actuellement ne cherche pas à clarifier les textes complexes des documents finaux précédents. Tout ceci se traduit par des communiqués peu convaincants qui présentent l’essentiel des résultats, mais qui n’emportent pas l’adhésion politique et le soutien des membres du CPS.

Certaines décisions s’écartent des processus de la Commission de l’UA ou ne sont liées à aucune de ses procédures techniques permettant l’attribution des rôles et la prise en charge. D’autres reprennent des décisions adoptées précédemment ou s’en écartent de manière significative. Par exemple, le communiqué du CPS du 17 février exhortant les parties prenantes à coordonner leurs efforts en République démocratique du Congo et les groupes armés à cesser les hostilités, n’a fait que réitérer des demandes inscrites dans des décisions antérieures.

En outre, les fonds nécessaires à leur mise en œuvre manquent ou sont sous-utilisés. Ainsi, la décision de déployer des troupes en République centrafricaine en 2020 a été concrétisée, mais la sous-utilisation des fonds de la Facilité européenne de soutien à la paix a entravé les opérations de la Mission d’observation militaire de l’UA. Aucune décision ne devrait être prise par le CPS sans que ses implications financières n’aient été examinées au préalable.

Des précisions importantes doivent également être fournies concernant les personnes responsables, les délais et les rapports, ce qui est loin d’être le cas. Les organes et les responsables techniques de l’UA s’efforcent d’assumer les tâches supplémentaires qui ne sont pas clairement assignées par le CPS. Les décisions qui sont attribuées reçoivent souvent une attention prioritaire de la part des structures désignées de l’UA.

Les décisions du CPS sont souvent prises sans les ressources nécessaires à leur mise en œuvre

Certaines décisions du CPS passent à travers les mailles du filet par manque de suivi et de responsabilité. En 2017, le Conseil a décidé que le Comité d’experts devrait soumettre une matrice de mise en œuvre des décisions six mois avant chaque sommet de l’UA, afin de faciliter le suivi des progrès.

Cette matrice, élaborée par le secrétariat du CPS en 2022, a pour objectif d’éviter que des réunions ne soient programmées sur des sujets similaires et de supprimer les décisions qui font double emploi. Elle permettra de décortiquer tous les communiqués relatifs à la paix et à la sécurité, y compris les décisions adoptées, de mentionner l’état d’avancement de la mise en œuvre, les implications financières et les responsables. Cependant, elle ne suivra ni n’évaluera les progrès réalisés, ce qui reste une lacune importante.

Le CPS a également besoin d’un mécanisme qui l’oblige formellement et légalement à agir sans délai et qui responsabilise les dirigeants à l’origine du manque d’action. La réactivation du comité ministériel de l’UA sur la lutte contre le terrorisme et du sous-comité du CPS chargé des sanctions pourrait contribuer à accélérer la mise en œuvre des décisions.

Hubert Kinkoh, chercheur, Gouvernance africaine de la paix et de la sécurité, ISS Addis-Abeba

Cet article a été publié pour la première fois dans le rapport du CPS de l’ISS.

Image : © Union africaine

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