Le CPS en crise pour non-mise en œuvre de ses décisions

En assurant un financement suffisant, un suivi adéquat et une mise en œuvre efficace de ses décisions, le CPS pourrait promouvoir encore plus significativement la paix et la sécurité en Afrique.

La non-application des décisions au sein de l’Union africaine (UA), en particulier par le Conseil de paix et de sécurité (CPS), persiste alors que l’organisation s’apprête à fêter son 20anniversaire. Le problème est loin d’être nouveau et la Conférence de l’UA a exhorté à plusieurs reprises le CPS à donner la priorité à l’exécution de ses décisions. Toutefois, l’échéance prochaine pour la mise en œuvre de ces réformes, décidée lors de la Conférence du sommet de l’UA de 2023, a renforcé l’attention portée aux mesures politiques. Désormais, différents acteurs du continent cherchent des solutions à ce problème.

Caractéristique de la non-mise en œuvre des décision

Il est difficile de déterminer avec précision l’ampleur du problème en raison de l’absence de données fiables et faute de matrice détaillée de mise en œuvre. Toutefois, le fait que plusieurs décisions cruciales n’aient pas été exécutées reflète bien l’ampleur de la crise. Par exemple, la création d’un comité des sanctions a été décidée en mars 2009 lors de la 178e réunion du CPS, mais il a fallu plus de dix ans à la Commission de l’UA pour faire de sa mise en place une priorité.

La résolution de déployer 3 000 soldats au Sahel, prise lors du sommet de l’UA de février 2020, n’a également pas été concrétisée. Il ne s’agit là que de deux exemples parmi tant d’autres depuis la création du Conseil. Leur inapplication, compte tenu de leur importance pour la paix et la stabilité du continent, témoigne de l’ampleur réelle du défi.

Depuis sa création, le CPS s’est réuni à 1 157 reprises, et plus de 90 % de ces réunions ont donné lieu à de multiples décisions sur des questions cruciales. Bien que les chiffres exacts ne soient pas disponibles, on peut en déduire que des milliers de décisions ont été prises concernant la paix et la sécurité de l’Afrique au cours des deux décennies d’existence du Conseil. Un pourcentage important de ces décisions n’ont pas été suivies d’effet.

Plus de 90 % des 1 157 réunions du CPS ont donné lieu à de multiples décisions sur des questions cruciales

Le CPS a discuté de ce problème de non-mise en œuvre lors de chacune de ses retraites annuelles depuis 2007 et la question apparaît régulièrement à l’ordre du jour de ses réunions. Récemment, le Comité d’experts et les ambassadeurs se sont penchés sur la question. Parallèlement, le secrétariat du CPS élabore une matrice complète pour suivre la mise en œuvre des décisions. Mais le défi demeure, ce qui interroge tant sur la gravité de cette crise que sur ses causes.

Des faiblesses rédactionnelles

Le Rapport sur le CPS s’est entretenu avec plusieurs acteurs politiques qui ont tous mis en évidence certains problèmes nécessitant des mesures politiques. L’un de ces problèmes concerne la rédaction des résultats attendus. Alors que les projets de résolution sont généralement rédigés par les États membres du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU), les déclarations à la presse et les communiqués des réunions du CPS sont quant à eux généralement rédigés par le secrétariat du CPS.

La pratique du CSNU permet à l’État membre à l’origine du projet de résolution de faire pression sur les autres États membres ou de s’assurer de leur soutien avant qu’une résolution ne soit adoptée. Dans le cas de l’UA, les résultats attendus ne sont généralement pas soumis à des pressions rigoureuses et intenses en coulisses pour garantir le soutien des États membres, même si des consultations ont toujours lieu au cours de la procédure d’approbation tacite.

Compte tenu de la culture du CPS, qui est de prendre des décisions après chaque délibération, et des ressources humaines limitées du secrétariat, la rigueur rédactionnelle n’est pas toujours présente dans certains domaines. En outre, le nombre de communiqués publiés chaque mois, du fait du grand nombre de réunions du CPS, ne permet pas de recouper rigoureusement les résultats antérieurs afin d’éclairer de manière adéquate les délibérations en cours. Jusqu’à l’introduction récente du référentiel du département Affaires politiques, Paix et Sécurité, l’accès prévisible à tous les communiqués antérieurs était encore plus difficile.

Outre les dynamiques politiques entourant le processus décisionnel du Conseil et les intérêts nationaux parfois divergents des décideurs, la rédaction des documents finaux est généralement difficile et politique. Il en résulte souvent des formulations alambiquées ou prudentes qui compliquent leur mise en œuvre. Lorsque la formulation des décisions antérieures est elle-même complexe, les pratiques actuelles de rédaction ne laissent ni le temps ni l’espace nécessaires pour y réfléchir afin d’apporter des éclaircissements.

Certaines décisions dupliquent des décisions antérieures, tandis que d’autres s’en écartent considérablement

Il en résulte des communiqués de faible qualité qui, certes, capturent l’essence politique des résultats attendus, mais qui manquent souvent de soutien et d’adhésion politique de la part des membres du CPS. Certaines décisions s’écartent des processus actuels en vigueur au sein de la Commission de l’UA ou ne sont pas en lien avec les procédures techniques de l’UA qui faciliterait l’association des rôles et l’adoption des décisions.

Certaines décisions prises depuis mars 2004 se contentent de répliquer des résolutions précédentes, tandis que d’autres s’en écartent de manière significative. Les décisions visant à harmoniser et à coordonner les efforts de paix en République démocratique du Congo et dans la région des Grands Lacs constituent des exemples clés de réplication. La faiblesse du processus d’adoption et l’incohérence de la mise en œuvre sont imputables à des problèmes de rédaction.

Des ressources et des responsabilités

Sans une répartition claire des ressources et des responsabilités, toute tentative de mise en œuvre est illusoire. Les décisions du CPS sont souvent prises sans ressources correspondantes. Cela entrave les efforts des organes de l’UA, des communautés économiques régionales et des États membres. Dans certains cas, il arrive que les ressources soient sous-utilisées. La décision du CPS du 10 juillet 2020 sur un déploiement en République centrafricaine a été suivie d’effet. Toutefois, la sous-utilisation des fonds de la Facilité européenne pour la paix a nui aux opérations de la mission d’observation militaire.

De même, de nombreuses décisions sont adoptées sans qu’aucune responsabilité précise ne soit définie. Les organes et les responsables techniques de l’UA jonglent avec de nombreuses responsabilités, de sorte qu’il leur est pratiquement impossible de faire face à des tâches supplémentaires qui ne leur auraient pas été clairement attribuées. Les tâches assignées et planifiées sont souvent classées par ordre de priorité par les structures de l’UA auxquelles elles ont été confiées.

Quel suivi et quelle responsabilisation ?

Certaines décisions du CPS passent à travers les mailles du filet en raison d’un manque de suivi et de responsabilisation. En mai 2017, le Conseil a décidé que le Comité d’experts devrait soumettre une matrice de mise en œuvre pour toutes les décisions six mois avant chaque session ordinaire de la Conférence de l’UA. En 2022, le secrétariat du CPS a élaboré une matrice pour faciliter le suivi des décisions. Il s’agit d’éviter que plusieurs réunions traitent du même sujet et d’aborder la question des décisions sans lien avec des décisions précédentes ou qui font double emploi.

Le CPS a besoin d’un mécanisme qui l’oblige à agir sans délai et à tenir les dirigeants responsables en cas d’absence de résultats

L’outil décortique les communiqués relatifs à la paix et à la sécurité en Afrique, y compris les décisions adoptées, l’état d’avancement de leur mise en œuvre, les implications financières et l’attribution des responsabilités. Toutefois, il ne permettra pas de suivre ni d’évaluer les progrès accomplis. Il est donc nécessaire de disposer d’une matrice permettant de suivre les actions postérieures à la prise de décision.

Surmonter la crise

Les dynamiques politiques qui influencent la rédaction des communiqués du CPS ont également des conséquences sur leur mise en œuvre effective et sur les perspectives de l’Afrique en matière de paix et de sécurité. Le Conseil doit déterminer si des décisions doivent être prises à l’issue de chacune de ses réunions ou si elles doivent se limiter aux questions clés débattues lors des réunions formelles. Les questions ne nécessitant pas de prise de position pourraient-elles être examinées lors de sessions informelles ? En cas de décisions, celles-ci devraient être précises, cohérentes, correctement référencées et suffisamment détaillées. Le Conseil serait alors à même de prendre des mesures pour prévenir et gérer les menaces qui pèsent sur la paix et la sécurité.

La mise en place d’un mécanisme de financement des résolutions du CPS et de suivi et d’évaluation systématiques de leur exécution s’avère indispensable. Aucune décision ne devrait être prise avant que ses implications financières ne soient examinées. L’attribution des responsabilités concernant les mesures à prendre, les délais à respecter et la rédaction d’éventuels rapports devraient également être clairement définie.

La matrice du CPS n’en est qu’à ses débuts et son suivi et son évaluation doivent être renforcés. Des ressources humaines et financières sont nécessaires pour créer une base de données qui permette de ventiler toutes les décisions du CPS et d’y attribuer des indicateurs de réussite. La création d’un partenariat avec des initiatives telles que Net4Peace pour un examen régulier des décisions et pour concevoir de nouvelles idées en vue d’un suivi efficace pourrait faciliter la responsabilisation des acteurs.

Le CPS a besoin d’un mécanisme qui l’oblige formellement et légalement à agir sans délai et à tenir les dirigeants responsables en cas d’absence de résultats dans le domaine de la paix et de la sécurité. La réactivation du comité ministériel de l’UA sur la lutte contre le terrorisme et du comité des sanctions du CPS pourrait aider à garantir que les déclarations soient rapidement suivies d’effet.

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