Pourquoi l’Union africaine doit-elle jouer de son influence dans la crise à Gaza ?
Contrairement à sa réponse ambiguë à la guerre russo-ukrainienne, la position de l’UA sur la destruction de Gaza a été claire.
Publié le 10 juillet 2024 dans
ISS Today
Par
Hubert Kinkoh
chercheur, Gouvernance africaine de la paix et de la sécurité, ISS Addis-Abeba
Bien que le conflit israélo-palestinien ne soit pas une crise africaine, il impacte le continent. Certains États membres de l'Union africaine (UA) ne jugent pas essentiel de s'impliquer, le considérant comme une question externe malgré ses implications mondiales et les menaces pour l'Afrique.
Les dirigeants africains devraient-ils jouer un rôle dans l’effort international visant à faire taire les armes à Gaza ? Leur implication pourrait-elle renforcer l’influence croissante de l’UA sur la scène internationale ?
Le conflit affecte déjà directement et indirectement le paysage économique, diplomatique et sécuritaire de l’Afrique. Les démonstrations de solidarité ont détérioré les relations déjà tendues entre les forces de sécurité et les manifestants dans plusieurs pays. Au Kenya, la police a interrompu une manifestation pro-palestinienne, pourtant autorisée, avec brutalité. Des manifestations similaires ont eu lieu en Égypte et en Afrique du Sud.
Une crise prolongée au Moyen-Orient pourrait entraver la reprise économique en Afrique, déjà affectée par le COVID-19, le changement climatique et le conflit russo-ukrainien. Elle risquerait de détériorer les relations entre les États et leurs citoyens, d’accroître la vulnérabilité des États fragiles aux instabilités politiques et de perturber les échanges commerciaux. La volatilité des prix du pétrole et du gaz ainsi que la hausse des coûts d'importation sont préoccupantes. En Égypte, l'économie, qui dépend du tourisme, des envois de fonds et des revenus du canal de Suez, a été gravement touchée.
L’UA doit trouver un équilibre entre son soutien à la Palestine et les relations de ses membres avec Israël
La crise de Gaza complique également les relations entre les pays africains, l’UA et Israël, et entre l’Afrique et les alliés d’Israël. Comme pour la guerre russo-ukrainienne, elle accentue les divisions au sein de l’UA entre ceux qui défendent le droit d’Israël à l’autodéfense et ceux qui privilégient la protection des vies palestiniennes. Le défi de l’UA est de concilier son soutien de longue date à la Palestine avec le renforcement des relations entre Israël et certains pays africains depuis octobre dernier, lorsque le Hamas a attaqué Israël.
La crise détourne également l’attention des partenaires de développement et de la communauté internationale des besoins de l’Afrique. Les États-Unis, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Égypte ont joué un rôle central dans les efforts diplomatiques pour résoudre la guerre civile au Soudan, qui a tué plus de 15 000 personnes et en a exposé près d’un million à une « famine catastrophique ». Depuis le début de la guerre de Gaza, l’attention sur la résolution de la crise soudanaise et d’autres insécurités africaines s’est affaiblie.
Ce détournement des crises africaines pourrait entraver le déploiement et le financement des opérations de maintien de la paix sur le continent. Malgré l’adoption de la résolution 2719 du Conseil de sécurité de l’ONU pour améliorer le financement des missions de paix africaines, les ressources pour la paix et la sécurité seront limitées.
L’augmentation des dépenses militaires en faveur d’Israël par le principal contributeur des Nations unies, les États-Unis, perpétue les réponses militaires plutôt que diplomatiques au conflit. Elle s’ajoute à la hausse inquiétante des dépenses militaires mondiales, qui avoisinaient 2 200 milliards de dollars US en 2023. L’impact est déjà évident dans le plafonnement par le Congrès américain du financement des opérations de maintien de la paix et du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Le coût énorme de la reconstruction de Gaza, estimé à 50 milliards de dollars, pourrait entraîner des conséquences majeures sur la stabilité et le développement de l’Afrique.
Le 37e sommet de l’UA a condamné l’offensive israélienne et soutenu l’action de l’Afrique du Sud devant la CIJ
Le conflit à Gaza intervient à un moment où le rôle de l’UA en tant qu’acteur mondial, envisagé dans son Agenda 2063, gagne en reconnaissance. Pour le consolider, l’UA doit démontrer sa pertinence en répondant aux enjeux multilatéraux. Gaza offre à l’Afrique l’occasion de contribuer à la recherche mondiale de la paix et de la stabilité.
Contrairement à sa réponse ambiguë face à la guerre entre la Russie et l’Ukraine, la position de l’UA concernant Gaza a été claire. Le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, a condamné la violence et appelé à la fin des hostilités. Il a souligné la nécessité d’une coopération internationale pour fournir une aide humanitaire aux habitants de Gaza et mettre fin à l’occupation israélienne des terres palestiniennes, conformément aux résolutions internationales.
Lors du 37e sommet de l’UA, les dirigeants africains ont condamné l’offensive israélienne et soutenu la plainte de l’Afrique du Sud contre Israël devant la Cour internationale de justice (CIJ). Une délégation de l’UA s’est exprimée lors des audiences de la CIJ sur le statut juridique de l’occupation israélienne des territoires palestiniens. L’UA a également exhorté Israël à se conformer aux décisions de la CIJ, à lever le siège de la bande de Gaza et à instaurer un cessez-le-feu permanent.
Malgré le soutien de longue date de l’UA à la Palestine — sans doute ancré dans son identité panafricaine — l’organisation pourrait jouer un rôle utile à court terme, en plus d’ajouter sa voix aux appels au cessez-le-feu. Elle pourrait inciter le Hamas et ses soutiens à assouplir leur position sur la libération des otages israéliens. Cela contribuerait à résoudre l’une des causes principales du conflit pour Israël.
La crise de Gaza survient alors que le rôle mondial de l’UA gagne en reconnaissance
L’UA pourrait s’appuyer sur les relations cordiales qu’entretient Israël avec la plupart des États africains pour modérer la résistance de Tel-Aviv à un cessez-le-feu. Conformément à l’article 7 (k) du protocole du Conseil de paix et de sécurité de l’UA, elle pourrait envisager de faire pression au niveau des Nations unies pour renforcer l’engagement international à l’aide de ses réseaux diplomatiques et des trois membres africains du Conseil de sécurité. Il pourrait s’agir de soutenir une réponse humanitaire forte et des engagements diplomatiques pour prévenir une nouvelle escalade de la crise.
Les présidents de l’Assemblée et de la Commission de l’UA devraient mener ces efforts, en s’inspirant des engagements passés dans le conflit russo-ukrainien. Cette initiative pourrait contribuer à éviter une catastrophe à Gaza, à en atténuer les impacts sur l’Afrique et à renforcer la crédibilité du continent sur la scène internationale.
Cet article a été publié pour la première fois dans le rapport du CPS de l’ISS.
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