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L’Union africaine doit-elle s’impliquer dans la crise du Moyen-Orient ?

La guerre entre Israël et Gaza donne à l’Afrique l’occasion d’élargir son influence dans les forums multilatéraux.

Alors que les bombardements israéliens sur la bande de Gaza se poursuivent, l’attention du monde entier se concentre sur le nombre croissant de victimes civiles, les déplacements massifs de population et la destruction inconsidérée des infrastructures. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une crise africaine, l’escalade de la violence s’ajoute à la liste grandissante des problèmes de portée mondiale qui contribuent à complexifier les relations multilatérales. Elle souligne également l’importance de l’impact des conflits non africains sur la stabilité économique et politique du continent.

En dépit de ces répercussions, tous les États membres de l’Union africaine (UA) ne voient pas la nécessité de s’impliquer dans la recherche de solutions à la crise entre Israël et le Hamas. Ils considèrent qu’il s’agit d’un enjeu extérieur, malgré ses dimensions globales et la menace majeure qu’elle fait peser sur la stabilité déjà précaire de l’Afrique post-COVID. La question reste cependant de savoir si les dirigeants africains devraient prendre part aux efforts déployés à l’échelle mondiale pour faire taire les armes entre Israël et le Hamas, compte tenu de l’influence croissante de l’UA sur la scène internationale.

Un risque pour l’Afrique

La crise pèse déjà directement et indirectement à bien des égards sur le paysage économique et diplomatique de l’Afrique, de même que sur le contexte sécuritaire du continent. Les manifestations de solidarité des citoyens de certains pays africains ont aggravé les relations déjà tendues avec les forces de l’ordre. Au Kenya, par exemple, une manifestation propalestinienne, pourtant autorisée, aurait été violemment dispersée par les forces de sécurité. Des manifestations similaires ont également été enregistrées dans des pays importants tels que l’Égypte et l’Afrique du Sud.

Compte tenu des multiples chocs causés par l’épidémie de COVID-19, les changements climatiques et la guerre entre la Russie et l’Ukraine, une crise prolongée, même extérieure à l’Afrique, entraverait de manière indirecte la reprise économique des pays africains qui peinent à sortir d’une période de faible croissance. Parmi les nombreux défis auxquels l’Afrique est confrontée, un nouveau ralentissement économique pourrait détériorer les relations entre les États et leurs citoyens et accroître la vulnérabilité étatique face aux tensions sociales, avec des conséquences néfastes sur la stabilité politique. On constate déjà une perturbation dans les échanges commerciaux, une volatilité plus importante des prix du pétrole et du gaz et une augmentation des coûts d’importation. L’économie égyptienne, qui dépend fortement du tourisme, des transferts de fonds et des revenus du canal de Suez est ainsi durement touchée par la guerre.

La guerre à Gaza souligne l’impact des conflits non africains sur la stabilité du continent

En outre, le conflit complique les relations entre les pays africains, entre l’UA et Israël et entre les principaux alliés de l’Afrique et d’Israël. Comme dans le cas de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, les divisions s’accentuent au sein de l’UA entre ceux qui soutiennent le droit d’Israël à se défendre et ceux qui veulent protéger des vies humaines en Palestine. Le défi de l’UA consiste à trouver un équilibre entre son soutien de longue date à la Palestine et le renforcement des relations entre Israël et de nombreux États membres dans la période qui a précédé la crise en octobre 2023. Dans ce contexte, les relations entre l’Afrique et Israël, déjà affectées, pourraient se détériorer davantage.

Au Soudan, les États-Unis, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Égypte ont été au cœur des efforts diplomatiques déployés pour résoudre la crise. Depuis le début du conflit à Gaza, il est important de noter que ces pays tendent à se détourner de la résolution de la crise soudanaise et d’autres situations problématiques sur le continent.

Le conflit détourne également l’attention des partenaires de développement de l’Afrique et de la communauté internationale de certains besoins urgents du continent. Il est clair que l’Afrique a été rétrogradée sur la liste des priorités de certains acteurs mondiaux tels que les États-Unis. Pour un continent frappé par des menaces dynamiques à la paix et à la sécurité et dont les partenaires jouent un rôle bien établi, l’implication active de ces derniers doit être maintenue.

À mesure que leur attention se détourne des crises africaines, le déploiement et le financement des opérations de maintien de la paix dans certaines régions du continent pourraient également pâtir de la situation. Malgré la récente adoption de la résolution 2719 du Conseil de sécurité des Nations unies et son potentiel d’amélioration du financement des opérations de paix africaines, les ressources consacrées aux efforts de paix et de sécurité ne peuvent qu’être affectées négativement.

La crise détourne l’attention des partenaires de développement de certains besoins urgents du continent

L’augmentation des dépenses militaires en faveur d’Israël par le principal contributeur des Nations unies, les États-Unis, risque de conduire à une militarisation des réponses à la guerre. Elle vient en outre alimenter une tendance déjà préoccupante à l’augmentation mondiale des dépenses militaires qui, en 2023, avoisinaient les 2 240 milliards de dollars US. Cette augmentation s’est déjà traduite par le plafonnement, imposé par le Congrès américain, des contributions au budget des opérations de maintien de la paix des Nations unies et aux activités du Conseil des droits de l’homme. Le coût énorme de la reconstruction d’après-guerre à Gaza, qui, selon les estimations des Nations unies, s’élèvera à quelque 50 milliards de dollars US sur huit décennies, pourrait aggraver ce risque, avec des implications majeures pour la paix, la stabilité et le développement à long terme de l’Afrique.

Quel rôle pour l’Afrique ?

Le conflit à Gaza survient à un moment où l’influence de l’UA en tant qu’acteur global, envisagée dans l’Agenda 2063, est reconnue par un nombre croissant de partenaires et se traduit par une présence renforcée sur des forums d’importance tels que le G21. Toutefois, la concrétisation de cette influence exige que le continent, par l’intermédiaire de l’UA, démontre sa capacité à apporter des réponses aux questions multilatérales qui se posent dans ses forums. C’est dans cette optique que l’UA a dépêché une délégation en juin 2023 dans le cadre de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Gaza donne à l’UA une nouvelle occasion de peser dans les efforts mondiaux en faveur de la paix et de la stabilité.

À la différence de sa réponse ambiguë à la guerre entre la Russie et l’Ukraine et du manque de soutien qu’elle génère, la position de l’UA sur la situation à Gaza est très claire. Le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, a condamné les violences et appelé à la fin des hostilités. Il a souligné la nécessité d’une coopération internationale pour fournir une aide humanitaire d’urgence aux habitants de Gaza et mettre fin à l’occupation israélienne des territoires palestiniens, conformément aux résolutions internationales. Cette position a été réaffirmée lors du 37e sommet de l’UA, où la question a fait l’objet d’une attention considérable et a été l’un des principaux points saillants dans les discours des dirigeants lors de la cérémonie d’ouverture.

Les dirigeants africains ont ainsi non seulement souligné l’importance des répercussions de cette crise pour le continent, mais ils ont également condamné l’offensive israélienne. Ils ont appuyé la plainte déposée par l’Afrique du Sud contre Israël devant la Cour internationale de justice (CIJ), notamment en décidant de dépêcher une délégation de l’UA dirigée par le conseiller juridique de l’organisation. L’UA a également exhorté Israël à se plier aux appels à un cessez-le-feu permanent et aux décisions de la CIJ, et à lever le siège imposé à la bande de Gaza.

L’UA devrait inciter le Hamas à assouplir sa position sur la libération des otages israéliens

Malgré le soutien de longue date de l’UA à la Palestine — qui est sans doute ancré dans son identité panafricaine — la crise donne à l’UA la possibilité de jouer un rôle utile à court terme, en plus d’ajouter sa voix au concert des appels au cessez-le-feu. L’UA devrait tirer parti de son soutien historique envers la Palestine et de la constance de ses prises de position en sa faveur pour inciter le Hamas et ses soutiens à assouplir leur position sur la libération des otages israéliens. Il s’agirait-là d’un objectif relativement facile à atteindre pour le bloc africain. Convaincre le Hamas contribuerait grandement à satisfaire l’une des principales conditions posées par Israël pour envisager un cessez-le-feu.

Les relations cordiales qu’entretient Israël avec la plupart des États africains pourraient être mises à profit par l’UA pour demander à Tel-Aviv d’assouplir sa position concernant le cessez-le-feu et la poursuite de la guerre. Conformément à l’article 7 (k), du protocole relatif au CPS, l’UA pourrait également envisager de faire pression pour une plus grande implication internationale, notamment celle des Nations unies, par le biais de ses canaux diplomatiques au sein de l’A3+1 ou du bloc africain. Cette demande pourrait s’accompagner d’un appui à une action humanitaire conséquente et d’un renouvellement des efforts diplomatiques afin d’éviter une nouvelle escalade du conflit.

Explorer toutes ces options par le biais des bons offices combinés des présidents de la Conférence et de la Commission de l’UA et tirer les leçons de son action dans le cadre du conflit entre la Russie et l’Ukraine constitueraient une avancée considérable. Mais, surtout, cela renforcerait la crédibilité de l’Afrique dans les forums multilatéraux et permettrait d’éviter une aggravation de la crise et de ses conséquences pour le continent.

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