Pierre Nkurunziza ou le dilemme des leaders des Grands Lacs

Son successeur Évariste Ndayishimiye pourrait-il remettre le Burundi sur une voie plus conciliante ?

Le décès soudain de Pierre Nkurunziza le 9 juin a mis fin à la carrière politique d'un professeur de sport qui avait accédé à la présidence du Burundi par le biais d'un mouvement rebelle.

En 1987, la candidature à l'armée du jeune Nkurunziza était rejetée en raison de son appartenance à l'ethnie hutu. Il rejoint alors le Conseil national pour la défense de la démocratie - Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD) en 1994 et devient chef de ce mouvement rebelle en 2001. Il est élu président du Burundi en 2005 lors de ce qui apparaît comme les dernières élections inclusives et transparentes du pays.

Beaucoup ne retiendront de Nkurunziza que les dernières années de sa présidence, ce troisième mandat à la légalité douteuse qui a déclenché une crise politique. Il a inversé les fragiles dividendes politiques et économiques résultant de la fin de la guerre civile et de la signature de l'accord d'Arusha.

Le bilan de Nkurunziza ne saurait cependant être réduit à ces années de durcissement du CNDD-FDD, processus qui a, paradoxalement, rapproché le Burundi du style de gouvernance des autres pays de la région, notamment le Rwanda et l'Ouganda. Les partis d’opposition dans ces deux pays peinent également à opérer sereinement, sans pour autant attirer l'intérêt des médias internationaux.

La trajectoire de Nkurunziza représente l'histoire personnelle et familiale de nombreux dirigeants de la région des Grands Lacs

Placée dans le contexte régional, la trajectoire de Nkurunziza représente à bien des égards l'histoire personnelle et familiale de nombreux dirigeants de la région des Grands Lacs. Il est né d’une mère tutsi et d’un père hutu qui a été victime des massacres d'avril 1972 au Burundi. Ces massacres, qui ont fait des dizaines de milliers de morts, sont décrits par certains comme le premier génocide de l'Afrique post-indépendances.

L'assassinat brutal de Melchior Ndadaye (le premier président hutu du Burundi), par une armée dominée par des Tutsis, a poussé Nkurunziza à s'engager dans un mouvement armé. Ses années au sein du CNDD-FDD ont été celles d’un civil activiste de second plan qui saura tirer profit des rivalités entre poids lourds militaires, mais aussi du soutien de son mentor d’alors, Hussein Radjabu, pour imposer sa personnalité moins clivante.

Désigné candidat du CNDD-FDD par défaut lors des élections de 2005, Nkurunziza est arrivé au pouvoir à la suite des accords de paix d'Arusha et de Pretoria, et non par une victoire militaire comme ses homologues ougandais et rwandais.

Si des progrès sociaux indéniables ont été réalisés au cours de son premier mandat, son deuxième mandat voit le début d’une détérioration des libertés publiques qui s'est poursuivie au cours de son troisième mandat. Rétrospectivement, il semble que les trois mandats de Nkurunziza aient été l'occasion de récupérer par la pratique politique toutes les concessions qu'il avait dû faire dans le cadre des négociations de l'accord d'Arusha.

Le bilan de Nkurunziza ne saurait être réduit à son dernier mandat qui a vu la répression des opposants politiques

Cette logique a conduit à une érosion significative de l'état de droit et de la démocratie au Burundi, comme l’indiquent les différentes élections, qui ont toutes été marquées par la violence et, à l'exception de 2005, par des irrégularités.

Nkurunziza et le CNDD-FDD n'ont jamais su garantir que la fin des privilèges accordés à la minorité tutsie dans l'accord d'Arusha conduirait à une véritable démocratie et non à une tyrannie revancharde de la majorité hutue. Cette ambiguïté politique a été particulièrement néfaste pour l'économie du pays, qui a connu un effondrement spectaculaire réduisant à néant les progrès sociaux réalisés pendant les deux premiers mandats de Nkurunziza.

Son entêtement à se présenter pour un troisième mandat a déclenché un tournant répressif de son pouvoir. Il est aussi à l’origine de nombreux ajustements diplomatiques avec les pays de la région et au-delà. Si le Burundi s'est aliéné les pays occidentaux et son voisin le Rwanda, il a su conserver plusieurs relations stratégiques, notamment avec la Tanzanie, la Russie et la Chine.

En outre, l'administration du CNDD-FDD a réussi à consolider son appareil répressif et son contrôle de toutes les institutions nationales. Le parti a également mobilisé sa base électorale, essentiellement rurale, autour de plusieurs registres, dont celui du panafricanisme, idéal au nom duquel le gouvernement a décidé de d'autofinancer les dernières élections.

Ndayishimiye pourrait être celui qui bénéficiera des larges pouvoirs souhaités par Nkurunziza

Si l'autofinancement des élections par un gouvernement africain peut sembler une bonne idée pour garantir l'appropriation des processus démocratiques par la population, l'expérience burundaise a été plus complexe. Pour Nkurunziza, il s'agissait plutôt de limiter l'implication d'une communauté internationale intrusive dans une élection jugée irrégulière par l'influente Conférence des évêques catholiques.

Dans le contexte de la région des Grands Lacs, marquée par une violence endémique qui a conduit à l'émergence de nombreux mouvements armés non étatiques, l'ancien président burundais semble être une figure relativement usuelle. Nkurunziza a souvent été comparé à ses voisins Paul Kagame et Yoweri Museveni, les présidents du Rwanda et de l'Ouganda.

Mais cette comparaison ne tient pas toujours compte de leurs trajectoires spécifiques. Kagame et Museveni sont arrivés au pouvoir à la suite de victoires militaires, établissant ainsi l'hégémonie de leurs mouvements respectifs sur la société et l'espace politique. Nkurunziza est arrivé au pouvoir à la suite d'une élection résultant d'un accord de paix qui a entériné le partage du pouvoir sur une base ethnique.

Il en ressort que Nkurunziza a souvent eu le sentiment d'être jugé plus sévèrement par la communauté internationale que ses voisins dans sa quête d'un troisième mandat. En réaction, il apparaît que son ambition et sa pratique politiques visaient à donner à l'administration du CNDD-FDD la même marge de manœuvre que ses deux homologues.

En fin de compte, grâce à la nouvelle constitution, le président élu Évariste Ndayishimiye pourrait être celui qui bénéficiera des larges pouvoirs souhaités par Nkurunziza. Il bénéficiera également de la disparition de son ancien mentor dont les convictions messianiques se seraient avérées difficiles à gérer au sein du parti au pouvoir.

Bien que surnommé « Umuhuza » (l’unificateur) pendant la lutte armée, Nkurunziza n’a jamais réussi à faire de même en politique, où il est demeuré extrêmement clivant, bien que bénéficiant de forts soutiens dans les zones rurales. Le pentecôtiste Nkurunziza est entré dans la lutte armée avec l'idéal de l'égalité entre les Tutsis et les Hutus. Cependant, une fois au pouvoir, il s'est avéré incapable de s'extraire de la mentalité de lutte armée. Il a notamment eu recours à la violence et s’est montré sujet à la paranoïa héritées de ses années dans la brousse.

Il laisse un pays déchiré, mais que son successeur, bien qu’élu dans des circonstances contestées, a la latitude de ramener sur le cours du premier mandat de Nkurunziza.

Paul-Simon Handy, conseiller régional principal, Bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le Bassin du Lac Tchad, Dakar

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