Omar el-Béchir sera-t-il enfin transféré à la CPI ?

Malgré de nombreux obstacles, il semble que le procès de l'ancien président soudanais devant la Cour pénale internationale soit sur le point d'avoir lieu.

Au plus fort de la crise au Darfour, au milieu des années 2000, un vent de peur soufflait sur de nombreux camps de personnes déplacées situés au Soudan. Le retour des femmes dans leurs tentes de fortune après la collecte quotidienne de bois s’est transformé en sauve-qui-peut général lorsque des récits ont commencé à circuler sur des viols et des meurtres commis par les milices Janjawid qui rôdaient aux alentours des camps, agissant prétendument sous les ordres du gouvernement de l’ancien président soudanais Omar el-Béchir.

Dans le terrain montagneux du Djebel Marra, à l’ouest du pays, les ruines de villages incendiés qu’ont fui des dizaines de milliers de personnes attestaient des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et du génocide dont El-Béchir est accusé.

Maintenant qu’il semble qu’El-Béchir pourrait être transféré à la Cour pénale internationale (CPI), il convient de rappeler qu’il s’agit essentiellement d’une histoire de personnes et de pouvoir. À ce jour, personne n’a eu à rendre de comptes pour les quelque 400 000 morts et trois millions de personnes directement touchées par le conflit, comme l’indique l’acte d’accusation de la CPI.

L’annonce faite la semaine dernière relève d’une politique complexe, car étroitement liée aux négociations de paix en cours. Mais l’enjeu principal consiste à trouver le délicat équilibre entre la politique et le droit d’un côté, et de l’autre, l’appétence, partout dans le monde, pour la responsabilité pénale individuelle.

Il semble peu probable que le Soudan consente à ce que le procès d’El-Béchir ait lieu à La Haye

L’affaire El-Béchir est emblématique. La situation au Darfour a déclenché la première saisine de la CPI par le Conseil de sécurité des Nations unies. L’affaire a été portée à la CPI en 2005 au nom des Darfouriennes et des Darfouriens qui auraient été pris pour cible et persécutés par leur chef d’État. Depuis, le Conseil de sécurité n’est parvenu à saisir la CPI que d’un seul autre cas, celui de la Libye, en 2011.

L’affaire El-Béchir est également importante car il s’agit de la première fois qu’un chef d’État en exercice était inculpé par la CPI. C’est devenu un sujet politique brûlant car les mandats d’arrêt contre El-Béchir ont été purement et simplement ignorés par plusieurs États parties au Statut de Rome, texte fondateur de la CPI, alors que la Cour faisait l’objet d’une opposition de plus en plus dure dans certains milieux.

L’affaire a également été portée en étendard par l’Union africaine (UA), qui clamait que la CPI prenait spécifiquement l’Afrique pour cible, étant donné le nombre disproportionné d’affaires concernant le continent.

Les premières indications montrent que la fragile nouvelle administration de transition à Khartoum pourrait être prête à livrer El-Béchir, et ce, probablement en échange de la suppression du Soudan de la liste des sanctions des États-Unis et pour apaiser les groupes armés actifs au Darfour. Que cela implique-t-il pour la justice internationale et pour l’avenir du premier tribunal permanent au monde pour les crimes de guerre ?

La CPI peut-elle organiser un procès au Soudan, qui n’est pas un État partie au Statut de Rome ?

Même si El-Béchir était remis à la CPI, les rapports à ce jour indiquent qu’il serait peu probable que les autorités soudanaises consentent à ce que le procès se déroule à La Haye. Si une requête était déposée pour tenir le procès au Soudan, cela poserait des problèmes à plusieurs niveaux, notamment parce que ce pays n’est pas un État partie au Statut de Rome.

Au niveau politique, la CPI se trouverait dépendante de la coopération du Gouvernement soudanais pour exercer son travail, par exemple pour accéder à des sites éloignés d’atrocités présumées. Il n’est pas certain que la composante militaire de la fragile administration autorise cela.

La CPI est également à court d’argent et mène difficilement à bien les enquêtes existantes. Elle se trouverait donc dans l’obligation d’emprunter des biens, comme des avions, pour faire son travail au Darfour. Si le Statut de Rome prévoie un financement supplémentaire de la part du Conseil de sécurité, celui-ci n’a pas encore été testé.

Une autre considération est de savoir si la CPI consentirait à ce qu’El-Béchir soit jugé ailleurs. Comme le souligne Tom Maliti de l’International Justice Monitor, « Il existe des précédents de demandes de tenue de procès ou d’audiences hors de La Haye, par exemple dans l’affaire [Joshua] Sang et [William] Ruto au Kenya et dans l’affaire Dominic Ongwen en Ouganda, mais toutes ont été rejetées. »

Un tribunal hybride pour juger El-Béchir rendrait-il superflu le premier tribunal permanent au monde pour les crimes de guerre ?

L’affaire El-Béchir et celles des quatre autres personnes accusées de crimes commis au Darfour (le chef de milice Ali Kushayb, le ministre Ahmed Haroun, Abdallah Banda et Abdel Raheem Muhammad Hussein) recevront-elles un traitement différent ? L’une des possibilités serait d’organiser un procès de la CPI à Arusha, où demeurent les infrastructures du Tribunal pénal international pour le Rwanda et où siège la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples.

L’idée d’un tribunal hybride a également refait surface après avoir été proposée par l’UA à la suite de la tenue d’un panel de haut niveau dirigé par l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki. Une telle cour, composée de juges soudanais et internationaux, pourrait-elle trouver sa place aux côtés de la CPI, ou rendrait-elle effectivement superflue la première cour permanente au monde pour les crimes de guerre et crimes contre l'humanité ?

Et combien de temps faudrait-il pour l’établir ? Une fois ce tribunal hybride créé, le vent de changement politique au Soudan en faveur d’un tribunal aura peut-être cessé de souffler.

Qu’en est-il de la résistance qu’oppose l’UA ? La reddition potentielle d’Omar el-Béchir à la CPI par son propre pays efface-t-elle les derniers vestiges de l’opposition de la région vis-à-vis de la Cour ? L’universitaire Mark Kersten, qui a largement écrit sur les questions relatives à la CPI, estime que la dissidence est apparue de la même façon qu’elle recule aujourd’hui, à savoir en fonction des sables politiques mouvants du moment. L’opposition de l’UA à la Cour persiste et tourne en grande partie autour des questions de souveraineté des États dans les affaires où des chefs d’État en exercice sont inculpés par la CPI.

Dr Kersten pense cependant que jeter un leader déchu comme El-Béchir dans la fosse aux lions de la CPI ne susciterait probablement plus les mêmes critiques. Si son point de vue peut soulever la controverse, Kersten affirme que nous n’en sommes pas encore au point où « les États ne trouvent plus utile de confier les questions de justice internationale à la CPI ».

À cet égard, il est peut-être révélateur que l’UA soit restée silencieuse quant aux derniers développements concernant El-Béchir et la CPI. De nombreuses réserves persistent, et les avis sont partagés quant à la concrétisation de cette affaire, très prisée, devant la CPI.

Karen Allen, Conseillère principale en recherche, Menaces émergentes  en Afrique, ISS Pretoria

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