Mercenaires et sécurité militaire privée : La distinction ténue de l'Afrique

Le continent se doit d'éviter que le recours des États à des sociétés privées ne devienne la norme.

Des témoignages récents font état de la présence du groupe russe Wagner en Afrique, notamment en République centrafricaine (RCA), et de sa présumée arrivée imminente au Mali. Cela soulève des questions sur la résurgence des sociétés militaires et de sécurité privées (SMSP) sur le continent.

Le rôle de Wagner dans les conflits et ses violations présumées des droits humains et du droit humanitaire dans des pays tels que la RCA sont autant d'éléments qui ne contribueront pas à instaurer la paix et la stabilité en Afrique. Les pays voisins du Mali et ses partenaires ont critiqué l'autorité de transition du pays pour avoir cherché à conclure un accord avec le groupe Wagner, ce qui a provoqué un différend diplomatique entre le Mali et la France.

Le recours aux sociétés privées et aux mercenaires en Afrique doit faire l'objet de mesures approfondies de la part des États et de l'Union africaine. L'externalisation des besoins de sécurité des gouvernements vers des entités privées ou des opérateurs de sécurité représente un sérieux risque pour la sécurité de l'Afrique.

Il est arrivé que la privatisation de la sécurité brouille les frontières entre ces sociétés, en tant que prestataires « légaux » et « légitimes », et les mercenaires, qui mènent des activités lucratives subversives. Les deux groupes sont rémunérés pour les services qu'ils rendent, et certaines recrues militaires privées débutent comme mercenaires. Par ailleurs, les actions de certaines SMSP relèvent également du mercenariat.

Les voisins et partenaires du Mali ont critiqué l'autorité de transition pour avoir cherché à conclure un accord avec Wagner

Le mercenariat a vu le jour dans les années 1960 et 1970. Durant cette période post-indépendance, de nombreux États africains naissants étaient proie à des tentatives de déstabilisation, principalement externes mais aussi internes. Cette situation s'est poursuivie tout au long des années 1980 et 1990.

Selon le groupe de travail des Nations unies (ONU) sur les mercenaires, la nature des conflits contemporains et l'implication de SMSP compromettent la mise en œuvre des traités multilatéraux. Il s'agit notamment de la Convention de l'UA pour l'élimination du mercenariat en Afrique et de la Convention internationale des Nations unies contre le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction de mercenaires. Cette dernière n'a été signée ou ratifiée par aucun des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies (États-Unis, France, Russie, Chine et Royaume-Uni).

Ces sociétés fournissent des services à de nombreux acteurs, dont des États, des organisations internationales, des organisations non gouvernementales et des entreprises privées, notamment dans le domaine des industries extractives. Elles interviennent dans diverses situations, qu'il s'agisse de combattre aux côtés d'une armée régulière, de protéger des missions humanitaires ou de garantir la sécurité d'opérations minières privées.

Le groupe de travail des Nations unies sur les mercenaires note que les SMSP échappent au principe de responsabilité qui s'applique généralement aux forces armées d'un pays. En outre, elles ne rentrent pas spécifiquement et facilement dans le cadre des procédures pénales internationales.

Contrairement aux forces armées régulières, les sociétés militaires privées ne sont pas tenues de rendre des comptes

Un récent rapport de l'Institut d'études de sécurité (ISS) sur l'intervention de sociétés étrangères dans la province de Cabo Delgado, au Mozambique, révèle comment le gouvernement a fait appel à trois sociétés privées pour combattre le terrorisme. Il s'agit du groupe Wagner, de la société sud-africaine Dyck Advisory Group et d'un consortium composé du groupe sud-africain Paramount et de la société Burnham Global, basée à Dubaï.

Selon l'ISS, Wagner aurait voulu bombarder ce qu'elle pensait être des bases d'insurgés identifiées, mais l'armée mozambicaine s'y est opposée. Cette divergence apparente de doctrine militaire illustre la façon dont les SMSP peuvent menacer la sécurité des civils, comme l'ont montré les violations commises par Wagner en RCA. Les forces de sécurité mozambicaines ont également été impliquées dans de graves violations, notamment des arrestations arbitraires, des enlèvements, des actes de torture, un recours excessif à la force contre des civils non armés, des actes d'intimidation et des exécutions extrajudiciaires, indique Human Rights Watch.

Le cas du Mozambique illustre également la difficulté rencontrée par de nombreuses forces de sécurité nationales en Afrique pour faire face aux insurrections intérieures. En conséquence, les pays ont recours à des services de sécurité et militaires externes, ce qui entraîne des violations potentielles des lois humanitaires et des droits humains, avec peu de perspectives de justice pour les victimes.

Il en va de même pour les entreprises privées dans les contextes humanitaires et celles qui agissent en tant qu'agents de sécurité privés pour les missions de maintien de la paix des Nations unies. Le transfert de tâches civiles à ces entreprises comporte des risques. Selon le groupe de travail des Nations unies, ils manquent de formation en matière de promotion de l'égalité des genres, des races, des ethnies et des classes, ainsi qu'en matière de distribution de l'aide humanitaire. Cela devrait particulièrement interpeller l'Afrique, qui accueille six des douze missions de maintien de la paix de l'ONU en cours dans le monde et une importante présence humanitaire.

Il peut arriver que les SMSP menacent la sûreté et la sécurité des civils, comme en témoignent les violations commises par Wagner en RCA

Comme le souligne le groupe de travail, les SMSP sont motivées par des raisons financières, même dans le cadre d'opérations de paix. Cette activité se nourrit de l'instabilité permanente, ce qui soulève des questions quant à l'intérêt des sociétés à parvenir à la paix et à la maintenir.

Ces sociétés assurent également la sécurité de sociétés privées dans les industries extractives, notamment dans les régions instables d'Afrique. Elles opèrent dans des environnements où la présence de l'État (en matière de sécurité) est faible ou inexistante, laissant les civils seuls face aux méthodes utilisées par les SMSP pour protéger leurs intérêts financiers.

Même lorsque l'État assure la sécurité, le mandat de recours à la force confié aux SMSP n'est pas toujours clair, ou n'est pas toujours appliqué dans le strict respect des droits humains. Cette situation peut être exacerbée lorsque les SMSP travaillent en collaboration avec des forces de sécurité de l'État qui enfreignent elles-mêmes la loi.

Bien qu'ils soient considérés comme des acteurs distincts, les SMSP, les groupes armés et les mercenaires présentent de nombreux points communs. Ils font tous partie de ce qui est communément considéré comme des « soldats à louer ». Ces sociétés sont fréquemment considérées comme des sociétés de mercenaires ou comme exerçant des fonctions similaires à celles des mercenaires, simplement en raison de la nature transactionnelle de leurs activités.

D'anciens mercenaires, ou ceux qui ont mené des activités connexes, peuvent également être recrutés par des SMSP. Le chevauchement entre ces sociétés, les groupes armés et les mercenaires aggrave les difficultés liées à la question des combattants armés. Un exemple actuel et particulièrement représentatif de cette situation trouble concerne la Libye, où des milliers de mercenaires travaillant pour les différentes parties belligérantes constituent un obstacle majeur à la paix

Les pays africains doivent combler les lacunes qui créent l'espace nécessaire au recours aux SMSP. Du point de vue de la sécurité "dure", cela implique de renforcer les systèmes de sécurité publique et de donner à la police et à l'armée les moyens de faire face à des menaces moins traditionnelles. La pratique consistant à recourir à des prestataires de sécurité privés, notamment en cas de menace, ne doit pas devenir la norme.

Les normes nationales, continentales et internationales relatives aux SMSP (et aux mercenaires) doivent être revues pour correspondre aux réalités actuelles. Le recours à de telles sociétés doit être envisagé non seulement dans les contextes de combat classique direct, mais aussi dans l'industrie extractive et les missions humanitaires. Les politiques doivent être renforcées afin de prévenir les pratiques de mercenaires en Afrique.

Mieux vaut prévenir que guérir, si bien que les États du continent doivent également combler les lacunes en matière de gouvernance et améliorer leurs secteurs de la sécurité. Cela permettra à terme d'obtenir de meilleurs résultats que de gérer les retombées de l'instabilité et de la mauvaise gouvernance.

Rapport du CPS, ISS Addis-Abeba

Les droits exclusifs de re-publication des articles ISS Today ont été accordés au Daily Maverick en Afrique du Sud et au Premium Times au Nigeria. Les médias basés en dehors de l'Afrique du Sud et du Nigeria qui souhaitent republier des articles et pour toute demande concernant notre politique de publication, veuillez nous envoyer un e-mail.

Contenu lié