Madagascar a besoin de changer de scénario

L’amélioration de la situation socio-économique désastreuse du pays nécessite une stabilité politique plutôt qu'une nouvelle tentative de coup d'État.

Tout a commencé « comme un mauvais roman d’espionnage », tel qu’énoncé par un commentateur malgache. En juillet, un coup d'État d'amateur visant à assassiner le président malgache Andry Rajoelina et plusieurs hauts dirigeants autour de lui aurait été fomenté par un ancien soldat aux airs de grand dadais.

Ce piètre scénario a fini par conduire à l'arrestation de 21 personnes, dont cinq généraux, deux capitaines et cinq sous-officiers. Quatre membres retraités de la police nationale et étrangère et de l'armée ainsi que cinq civils ont également été détenus. La procureure générale, Berthine Razafiarivony, a déclaré lors d’une séance d'information le 1er août qu’ils ont comploté pour renverser le gouvernement et assassiner Rajoelina et d'autres dirigeants. Le 20 juillet, elle a annoncé que six premières personnes avaient été arrêtées.

L’une des nombreuses questions qui se posent concernant ces développements déconcertants consiste à savoir ce qui a poussé des militaires et policiers haut gradés à succomber à ce qui ressemble au scénario d’un film de série B.

La personne qui serait à l’origine du coup est Paul Rafanoharana, un Franco-malgache ancien capitaine de la gendarmerie française et actuellement consultant au Benchmark Advantage Group, basé à Singapour. Il convient de noter que le groupe est un des principaux actionnaires de Madagascar Oil, une société qui opère dans le développement de champs de pétrole lourd à Tsimiroro, à environ 275 km à l'ouest de la capitale Antananarivo.

Pourquoi des militaires et policiers haut gradés succomberaient-ils à ce qui ressemble au scénario d’un film de série B ?

La presse locale rapporte que la police a récupéré, sur l’ordinateur de Rafanoharana, des e-mails supprimés qui avaient été envoyés à des cadres de Madagascar Oil. Dans ces e-mails, il sollicitait au moins 10 millions d'euros pour financer le coup d'État. Pour justifier cette insurrection, Rafanoharana avançait que le gouvernement de Rajoelina avait lancé Madagascar dans une « spirale infernale », citant au nombre des faux pas du président son plaidoyer en faveur d'une boisson locale à base de plantes en tant que remède contre la COVID-19.

Dans ses e-mails, il promettait à Madagascar Oil qu'en gage de remerciement pour leur aide financière, le nouveau gouvernement éliminerait les obstacles bureaucratiques auxquels l'entreprise était confrontée pour régler la situation de ses concessions. Madagascar Oil a nié toute implication dans ces plans.

Comment interpréter cela ? Le site Internet local Madagate a indiqué qu'il était difficile de croire que l’imprudence et l’amateurisme de Rafanoharana pouvaient aller aussi loin que de solliciter le financement d'un coup d'État par e-mail, un moyen de communication hautement traçable.

Un homme d’affaires local éminent, qui a demandé à conserver l’anonymat, a partagé avec ISS Today la façon dont il a reçu la nouvelle : « ma première réaction a été ‘Ce n’est pas possible !’ » Il a d'abord soupçonné que Rajoelina avait lui-même inventé le complot pour justifier une chasse à ses ennemis politiques ou distraire le public des difficultés dues à la pandémie de COVID-19. Ce n’est que lorsque les autorités ont commencé à arrêter des militaires de haut rang qu’il s’est dit que la situation était plus complexe qu’il ne pensait.

La politique malgache suscite un vif intérêt chez de nombreuses puissances étrangères

Un diplomate à Antananarivo, qui a également demandé à conserver l’anonymat, a déclaré à ISS Today qu’au vu de l’histoire de l’armée en termes d'ingérence politique, le coup d’État n’était pas aussi invraisemblable que cela. Rajoelina est lui-même arrivé au pouvoir par un coup d’État en 2009, lorsqu’il a évincé le président Marc Ravalomanana avec l’aide de l’armée.

Après avoir démissionné sous la pression régionale, Rajoelina est retourné au pouvoir en battant son ennemi juré Ravalomanana lors des élections de 2018, que ce dernier considérait avec insistance comme truquées. Le diplomate a affirmé que la politique restait instable, aggravée par des rumeurs de remaniement ministériel imminent.

La politique malgache suscite également un vif intérêt chez de nombreuses puissances étrangères, notamment en raison de sa situation stratégique dans l'océan Indien. Selon le diplomate, la France, les États-Unis, la Russie et la Chine figurent parmi ces puissances.

En 2009, Ravalomanana avait accusé la France de soutenir Rajoelina. Après les élections de 2018, la BBC a publié que la Russie avait offert un appui financier aux campagnes électorales d'au moins six candidats à la présidence, dont Rajoelina. Le fait que Rafanoharana et un autre ancien soldat français et binational, Philippe François, aient été arrêtés lors du dernier incident a suscité beaucoup de soupçons.

Pour s'attaquer à ses énormes problèmes socio-économiques, Madagascar doit consolider ses bases politiques

Toutefois, le diplomate estime que les circonstances locales suffiraient pour expliquer une tentative de coup d'État, si tentative il y a eu. Madagascar s’est débrouillé tant bien que mal sous une mauvaise gouvernance depuis 2018. Cela a aggravé les effets des invasions de criquets, des cyclones et d'une nouvelle sécheresse dans le sud, où la menace de la famine se fait déjà sentir. La pandémie de COVID-19 et ses confinements ont également frappé le pays de plein fouet, a-t-il déclaré.

Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), la malnutrition chronique touche près de la moitié des enfants malgaches de moins de cinq ans, il s’agit du dixième taux le plus élevé au monde. Le PAM révèle également que ces dernières décennies, le pays a connu une stagnation du revenu par habitant et une augmentation de la pauvreté absolue.

« La région du Grand Sud a été frappée par des sécheresses consécutives au cours des saisons des pluies de 2019/2020 et 2020/2021. Cela a eu un impact dévastateur sur l'agriculture et a forcé les gens à recourir à des mesures de survie désespérées, telles que manger des criquets, des fruits de cactus rouges crus ou des feuilles sauvages », dévoile-t-il. 

Une analyse de la sécurité alimentaire menée en avril a révélé que 1,14 millions de personnes dans la région ont besoin d'aide de toute urgence et que 14 000 d'entre elles souffrent d'une insécurité alimentaire critique. De surcroît, cette situation pourrait se dégrader entre octobre et décembre 2021, portant à 1,31 millions le nombre de personnes ayant besoin d'aide, affirme le PAM.

« L’instabilité politique sape la capacité institutionnelle du gouvernement, la croissance économique et les efforts de développement. Elle réduit également l’accès des populations aux services de base et leur capacité à prévenir les chocs fréquents tels que les catastrophes climatiques, et à s’en remettre. »

Malgré cela, un coup d'État ne détient pas la réponse aux maux du pays. « Ce n’est pas bon pour l’image de Madagascar… Au fil des décennies, l’île a acquis une image négative en raison de l’instabilité politique constante, des coups d’État, etc. », a déclaré l’ancien ambassadeur sud-africain à Madagascar, Gert Grobler.

Madagascar a vraisemblablement besoin de changer son scénario usé. Ses fondations politiques encore fragiles doivent être consolidées afin que les énormes problèmes socio-économiques du pays puissent être résolus avec détermination et vigueur.

Peter Fabricius, consultant ISS

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