L’orpaillage dans l'ouest du Mali menace la sécurité humaine
L'exploitation artisanale et incontrôlée de l'or à Kayes nuit à l'environnement et alimente les trafics et les conflits locaux.
Malgré leur interdiction, l’usage d’intrants chimiques et le dragage des rivières demeurent des pratiques courantes de l’orpaillage au Mali. Les conséquences sur l’environnement, la santé et la stabilité sont désastreuses.
Située à l’ouest du pays, la région de Kayes est l’une des plus gravement impactées. Selon les estimations, cette région a produit 73 % des 26 tonnes d'or artisanal du pays en 2019, générant 1,23 milliard de dollars américains.
Les orpailleurs ont recours au mercure et au cyanure pour séparer l'or des autres minéraux. Des recherches menées par l'Institut d’Étude de Sécurité (ISS) révèlent que ces produits chimiques sont introduits au Mali en contrebande depuis le Bénin, le Togo, le Burkina et le Sénégal, empruntant des itinéraires de trafic illicite.
Région de Kayes au Mali ( cliquez sur le carte pour agrandir l'image)
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Le gouvernement malien estime la quantité annuelle de mercure illégalement introduite dans le pays à 33,3 tonnes. La majorité, 28 tonnes, est utilisée dans des sites d'orpaillage à Kayes. Le mercure est facile d’accès dans la région ; 10 grammes y coûtent entre 2,5 et 3,4 dollars.
Il existe peu de données officielles sur les quantités de cyanure utilisées. Toutefois, au cours des cinq dernières années, les bassins de cyanuration se sont multipliés près des villages et des sites miniers, notamment dans les localités de Sadiola et de Kéniéba. Cette prolifération est allée de pair avec la migration d’orpailleurs venus du Burkina et réputés avoir la maîtrise de la cyanuration.
L’usage intensif et mal maîtrisé d’intrants chimiques présente d’énormes risques pour l'agriculture, la pêche et l'élevage, en raison de la contamination des eaux souterraines. Le cyanure est mortel, son ingestion cause une paralysie rapide. Absorbé en petite quantité, il entraîne des maux de tête, des nausées, des vertiges, de l'anxiété, une altération de l'état mental, une respiration rapide et une hypertension artérielle.
L'exposition chronique au gaz de mercure peut provoquer une insuffisance rénale, des tremblements, des troubles du mouvement, diverses psychoses et des troubles de la mémoire. Les femmes enceintes sont particulièrement à risque en raison des effets neurotoxiques sur le développement du fœtus. À Kayes, 33 % des 298 307 orpailleurs identifiés en 2019 étaient des femmes et de nombreuses autres vivent à proximité des sites artisanaux.
L’usage du cyanure a progressé de pair avec la migration d’orpailleurs venus du Burkina et réputés avoir la maîtrise de la cyanuration
Pourtant, les orpailleurs sont peu conscients des coûts sanitaires de leurs activités. Le transport de ces produits dangereux ne fait l’objet d’aucune précaution. Ils sont généralement dissimulés dans des camions contenant également des produits alimentaires, avec lesquels ils entrent en contact. De même, on observe une négligence totale dans leur stockage et leur manipulation, effectués sans contrôle de température ni usage d'équipements de protection appropriés.
Outre les risques pour la santé humaine, ces intrants chimiques et l’ouverture continue de nouveaux sites d’orpaillage détruisent la faune et la flore. Ces exploitations artisanales décapent le couvert végétal, accélérant à la fois l’érosion des sols et l’écoulement rapide des eaux contaminées vers les rivières, ainsi que leur infiltration dans les nappes phréatiques. Les anciens sites sont généralement abandonnés sans restauration, les rendant inadaptés à l'agriculture et à l'élevage. Les chutes de personnes et de bétail dans les puits abandonnés sont fréquentes, et ce n'est que l'un des risques à long terme engendrés par cette activité.
Le dragage des rivières, très répandu dans la région, reste l'une des techniques d’exploitation les plus désastreuses pour l'environnement. Frontière naturelle avec le Sénégal et autrefois artère centrale d'irrigation de l'agriculture locale, la rivière Falémé s'assèche en raison d'un dragage chaotique. Les forces armées maliennes mènent à l’occasion des opérations de déguerpissement des dragues du lit du fleuve. Mais celles-ci sont sans réel effet car les militaires ne sont que momentanément présents et les orpailleurs reviennent souvent.
L'utilisation massive de produits chimiques nourrit par ailleurs une économie criminelle transnationale très lucrative. Les gains financiers engrangés par les trafiquants sont considérables. En 2019, la vente des 18 tonnes de mercure dans la région équivalait à plus de 100 millions de dollars.
L'utilisation massive de produits chimiques illicites nourrit une économie criminelle transnationale et lucrative
La situation géographique de Kayes est idéale pour en faire le principal marché illicite du mercure au Mali. La région est frontalière à la Guinée, au Sénégal et à la Mauritanie, reliant le Mali aux côtes ouest africaines, d'où se ramifient de multiples chaînes clandestines d'approvisionnement en mercure et en cyanure. La corruption de certains éléments des forces de sécurité accentue la porosité des frontières, facilitant ainsi la criminalité.
Compte tenu de leur rentabilité, ces trafics illicites pourraient en outre servir de source de financement aux groupes extrémistes violents actifs dans la sous-région. Les conflits communautaires croissants autour du dragage menacent également la paix sociale. Interrogés par l’ISS, des acteurs locaux ont dénoncé la complicité de certains chefs traditionnels et fonctionnaires publics.
Ces autorités administratives fermeraient les yeux en échange de pots-de-vin et de la réalisation par les orpailleurs d’infrastructures telles que des puits, des bâtiments ou des travaux d'électrification.
La destruction des terres riveraines de la Falémé provoque la colère des écologistes et pousse à la révolte les communautés qui dépendent de l'agriculture, de la pêche et de l'élevage. Cela a souvent conduit à des manifestations. Des témoignages recueillis par l'ISS indiquent que, dans ce climat d’hostilité croissante, propriétaires de dragues et agriculteurs s'arment de plus en plus.
Les conflits communautaires croissants autour du dragage menacent également la paix sociale
Jusque-là, le gouvernement a opté pour une approche de régulation des questions environnementales basée sur la répression, mais celle-ci s'avère inefficace. Des réponses collaboratives tenant compte des intérêts des orpailleurs sont nécessaires. Premièrement, une réglementation efficace doit remplacer les interdictions irréalistes. Le gouvernement malien doit notamment réformer son cadre légal à l'aune des mutations techniques de l'exploitation artisanale. Cela pourrait inclure la formation et l’encadrement des mineurs pour une utilisation moins polluante des intrants chimiques.
Deuxièmement, le gouvernement doit favoriser le dialogue entre les communautés et les autorités traditionnelles et administratives, et sensibiliser les communautés locales pour limiter les risques de violences associées aux dommages environnementaux.
Troisièmement, le gouvernement doit établir des dispositifs de suivi de l'impact environnemental des exploitations minières, et ce, en intégrant les associations locales. Enfin, le ministère de l'Environnement gagnerait à renforcer les capacités techniques de ses fonctionnaires chargés de limiter la pollution et les dommages sanitaires. Ce soutien accru doit cibler les fonctionnaires travaillant dans les zones aurifères, et non seuls ceux de la capitale.
Fahiraman Rodrigue Koné, chercheur principal et Nadia Adam, chargée de recherche, ISS Bamako
Cet article a été réalisé grâce au soutien du Fonds britannique pour la résolution des conflits, la stabilité et la sécurité et du ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas.
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