L'opération Barkhane, démonstration de force et jeu d'influence dans la bande Sahélo-saharienne

La réorganisation du déploiement militaire de la France au Sahel-Sahara est un autre moyen de maintenir son influence politique, culturelle et économique en Afrique.

Le 15 juillet 2014, le Président François Hollande a annoncé le lancement de l’opération Barkhane, une force visant à poursuivre les groupes terroristes et à éviter qu’ils puissent se reconstituer dans d’autres pays du Sahel. Ce nouveau dispositif s’inscrit dans la continuité de l’opération Serval, lancée le 11 janvier 2013 au Mali avec trois objectifs : stopper l’offensive des groupes terroristes, sécuriser Bamako pour protéger les ressortissants français et préserver l’intégrité du territoire. En effet, si, selon Jean-Yves le Drian, ministre de la défense, la France a rempli sa mission, elle doit éviter « que se développe dans un autre Etat de la région une menace comparable à celle qui a motivé l’intervention en 2013 ».

L'opération Barkhane traduit tout autant une continuité dans la politique de défense française que la nécessité pour le pays de maintenir son influence politique sur le continent africain en s’appuyant sur ses capacités militaires opérationnelles. L’intérêt pour la France est donc de s’investir sur un terrain politique et militaire où d’autres Etats sont réticents à le faire. A cet effet, si la référence à la « lutte contre le terrorisme » demeure mobilisatrice, ce discours simplificateur ne peut pas dispenser la France de donner une définition plus franche et plus réaliste de ses intérêts dans la zone.

Si l’intervention au Mali a permis d’apprécier l’efficacité et la réactivité du dispositif politique et militaire français alliant pré-positionnement, engagement fort et souplesse de déploiement, cette réorganisation des forces, justifiée par des défis sécuritaires transnationaux, n’est pas nouvelle. Dès 2005, la France inscrit sa coopération militaire dans une dimension régionale afin de soutenir l’opérationnalisation des cinq composantes de la force africaine en attente (FAA). La priorité donnée au Sahel est liée à la volonté de concentrer l’action militaire sur un espace où ses intérêts sont directement menacés. La bande sahélo-saharienne (BSS) se caractérise aussi par une présence ancienne des moyens militaires français et la conclusion de partenariats de longue date avec les pays africains.

La prévention de la radicalisation religieuse ne peut être faite seulement par des moyens militaires

L’aspect novateur réside dans un seul commandement opérationnel unifié au Tchad (1300 hommes) pour une opération régionale composée d’une base au Mali (1000 hommes), un centre dédié au renseignement au Niger (300 hommes) et un pôle de forces spéciales au Burkina. Alors que la Côte d’Ivoire (550 hommes) servira de base opérationnelle pour appuyer le dispositif, les bases au Sénégal (350 hommes) et au Gabon (450 hommes) restent des pôles de coopération régionale. 3000 soldats seront mobilisés dans un champ d’action géographique élargi, en soutien aux Etats membres du G5 (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad).

Si la France met à disposition des moyens humains, financiers et logistiques, ce déploiement de force dédié à la lutte contre les groupes armés terroristes (GAT) ne remet pas en cause les missions de coopération militaires. A ce titre, les armées africaines continueront d’être formées, entrainées et équipées pour mener des actions conjointes avec les militaires français. Les modalités de la présence et du transit des troupes françaises présentes au Burkina Faso, au Mali, au Niger et au Tchad sont quant à elles définies dans les accords de coopération datant des années 1960 mais mis à jour depuis. Seule exception, la Mauritanie a signé un accord de lutte antiterroriste en novembre 2013 avec la France.

Africanisation (soutenir les capacités africaines), Européanisation (inscrire une action nationale dans la politique européenne) et Multilatéralisme (favoriser un cadre multilatéral, comme les Nations unies), trois axes prioritaires de la politique française en Afrique ont été adaptés aux réalités du Sahel, faisant suite à la déclaration finale du Sommet de l’Elysée pour la Paix et la Sécurité en Afrique, en décembre 2013. Mais à l'évidence, de par son action au Mali, la France s'affiche bien seule sur la scène sahélienne.

Le discours anti-terroriste est mobilisateur et populaire parmi les chefs d’Etat du G5 car la mise en œuvre des moyens français vient combler les limites des outils militaires africains au plan national, régional (FAA) ou continental (capacité africaine de réponse immédiate aux crises). Qu'elle soit un modèle d'intervention inimitable aujourd'hui par ces Etats africains ou un paravent à leur inaction, l'intervention française ne semble pas avoir incités tous les Etats à doter leurs armées des moyens nécessaires pour faire face à la menace.

les chefs d’Etats africains doivent permettre un débat sur les raisons de la présence française sur leur territoire

Cependant, le fait que la France et ses partenaires africains s’entendent sur une offensive contre des groupes qualifiés de terroristes masque une donnée essentielle du problème politique : face à la montée des revendications sociales et économiques en Afrique et à la multiplication des groupes qui contestent par la violence le monopole de l’Etat, comment différencier ceux dont les combats sont politiques et les marchands d’illusions dont la lutte, derrière un discours religieux, reste volontairement fermée à la compromission ?

Mettre l’accent sur la lutte contre le terrorisme est en outre une manière de rappeler qu’il s’agit d’un défi international s'inscrivant dans le sillage des attentats 11 septembre 2001. Au-delà de l’expérience française en Afrique, il serait utile de tirer les leçons des programmes américains développés dans le Sahel depuis plus de 10 ans. Tous les membres du G5 ont en effet bénéficié de l’Initiative Pan Sahel, créée en 2002, devenue Partenariat transsaharien contre le terrorisme en 2005. Si le principal enjeu reste pour tous les acteurs la prévention des facteurs du radicalisme, le discours véhiculé ne doit pas laisser planer de doute sur l'incongruité à vouloir empêcher militairement la radicalisation religieuse.

Enfin, l’accueil chaleureux réservé à l’armée française au Mali en 2013 traduit combien sa présence est jugée rassurante par des populations abandonnées par l’Etat et confrontées à des menaces contre lesquelles les forces de défense et de sécurité ne peuvent pas les protéger. Les accords signés entre les chefs d’Etat africains et les représentants français, supposés garantir la souveraineté des partenaires, ne font toutefois pas forcément l’objet d’un consensus national. En témoignent les critiques portées sur le Traité franco-malien de coopération en matière de défense, ou l’ouverture de bases au Mali (Gao, Tessalit) et au Niger (Niamey, Madama). L’instrumentalisation politique de ses liens historiques, hérités du passé colonial, restent à la fois la force et la faiblesse de l’engagement militaire français en Afrique.

Un double effort est finalement nécessaire pour permettre aux populations et aux acteurs de la société civile africaine de mieux comprendre un discours valorisant le partage d’intérêts stratégiques entre la France et les pays africains. Tout d’abord, les chefs d’Etats africains doivent permettre un débat sur les raisons de la présence française sur leur territoire. Le peu d’intérêt et de vision de certains dirigeants africains pour leurs armées semble expliquer cette inertie.

En outre, la France ne peut plus faire l'économie d'une véritable transparence sur ses objectifs et sur les raisons de sa présence dans son ancien pré-carré. Concernant la réorganisation de son dispositif militaire dans la BSS, il est une autre manière pour la France de maintenir une influence politique, économique et culturelle en Afrique. En protégeant ses ressortissants et ses entreprises nationales, la France maintient à flot les vecteurs les plus efficaces de son rayonnement.

Amandine Gnanguênon, Chercheure principale, Division prévention des conflits et analyse des risques, ISS Dakar

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