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Les troupes rwandaises, principale force de sécurité du Cabo Delgado ?

En trois ans, le contingent rwandais au Mozambique s'est considérablement étoffé et a étendu ses opérations à cinq districts.

En juillet 2021, environ 1 000 membres des forces de défense et de la police nationale rwandaises sont arrivés dans la province mozambicaine du Cabo Delgado, touchée par le terrorisme. La province était confrontée à une grave menace d'extrémisme violent, avec une augmentation des attaques contre les civils et les infrastructures publiques.

L'objectif officiel de la mission rwandaise était d'aider à restaurer l'autorité de l'État mozambicain en menant des opérations de combat et de sécurité, en réformant le secteur de la sécurité et en stabilisant la province.

Les troupes rwandaises ont été déployées dans un premier temps dans deux districts, Palma et Mocímboa da Praia, qui abritent des projets de gaz naturel liquéfié (GNL) d'une valeur de plusieurs milliards de dollars, dirigés notamment par TotalEnergies, ExxonMobil et Eni.

Ces multinationales occidentales, menacées par les attaques terroristes, sont essentielles au développement économique du Mozambique. Le déploiement des forces rwandaises dans ces zones a donné l'impression que le but était de protéger ces actifs économiques vitaux plutôt que d'atteindre les objectifs officiels de la mission.

Provinces du Cabo Delgado et de Nampula, Mozambique
Provinces du Cabo Delgado et de Nampula, Mozambique

Source : ISS

 

En parallèle, la mission de la Communauté de développement de l'Afrique australe au Mozambique (SAMIM) a été envoyée au Cabo Delgado, mais dans des zones plus éloignées des projets gaziers. La SAMIM devait aider le Mozambique à lutter contre le terrorisme et les actes d'extrémisme violent et semblait avoir pour rôle principal la protection de la population locale et le rétablissement de la sécurité.

Bien qu’opérant dans la même province, il n'y a pas eu de bonne coordination ou de partage d'informations stratégiques entre les forces rwandaises, la SAMIM et les forces mozambicaines, ce qui a donné lieu à plusieurs incidents de tir ami. Le mandat de la SAMIM au Cabo Delgado a pris fin en mi-2024.

L'accord bilatéral de déploiement des troupes rwandaises au Mozambique était et reste secret et n'est connu que des hauts responsables des deux pays. Il n'a jamais été soumis au Parlement mozambicain malgré les contestations, notamment celles des observateurs du secteur de la défense et de la sécurité du Mozambique, tels que l'opposition parlementaire, les médias et les organisations de la société civile.

L'accord bilatéral de déploiement des troupes rwandaises au Mozambique est secret

Trois ans après, le déploiement au Cabo Delgado des troupes rwandaises est incontestablement une réussite. Celles-ci ont réduit la puissance de feu des insurgés, les ont délogés de leurs bases principales et ont rétabli la stabilité autour des projets de GNL. Cependant, elles ont aussi provoqué la dispersion des groupes terroristes et leur regroupement dans d'autres lieux.

À la fin de l'année 2023, dans des discours quelque peu triomphalistes, les commandants militaires mozambicains ont affirmé qu'avec l'aide des forces rwandaises la sécurité avait été rétablie dans environ 90 % du Cabo Delgado. Des articles universitaires et médiatiques ont amplifié ces déclarations en faisant l'éloge de la stratégie offensive efficace et réussie du Rwanda qui a « dégradé les capacités des insurgés djihadistes qui terrorisent le nord du Mozambique ».

Il s'agit toutefois d'une exagération. Bien qu'affaiblie, la menace terroriste est loin d'être écartée. Au contraire, les insurgés ont démontré leur capacité à s'adapter au contexte sécuritaire en constante évolution et utilisent de plus en plus d'engins explosifs improvisés.

Réalisant qu'ils ont perdu du terrain, les insurgés ont fait évolué leur stratégie, passant de l'attaque des civils à la « conquête des cœurs et des esprits », une nouveauté pour le Cabo Delgado, mais déjà utilisée par d'autres extrémistes en Afrique, comme Boko Haram au Nigeria.

L'autorité de l'État au Cabo Delgado reste fragile et la réforme du secteur de la sécurité n'est qu'une aspiration

Par ailleurs, les récits sur le succès des troupes rwandaises ne couvrent pas tous les objectifs déclarés de la mission. Par exemple, les commentateurs passent sous silence la volonté de « soutenir les efforts de restauration de l'autorité de l'État mozambicain et la réforme du secteur de la sécurité ». Les recherches révèlent que malgré tout le travail des forces rwandaises au Cabo Delgado, très peu de choses ont été réalisées sur ce plan.

En effet, l'autorité gouvernementale au Cabo Delgado reste fragile et la réforme du secteur de la sécurité n'est encore qu'une aspiration, les forces mozambicaines opérant avec un professionnalisme médiocre selon les standards.

Cette situation a conduit les analystes de la sécurité à remettre en question la stratégie à long terme des forces rwandaises au Cabo Delgado. « Aujourd'hui, le Mozambique est vulnérable face à la puissance rwandaise, déclare Calton Cadeado, expert mozambicain en études de sécurité et chercheur au Centre d'études stratégiques et internationales de l'université Joaquim Chissano de Maputo. Cela est dû au fait que le Rwanda dispose d'un espace privilégié dans l'infrastructure de sécurité du Mozambique et même dans les projets économiques d'exploration du gaz ».

Selon Cadeado, les forces rwandaises pourraient opérer avec plus de laxisme, en particulier depuis le retrait de la SAMIM. Cette attitude, en aggravant l’insécurité, rendrait leur présence plus nécessaire pour assurer la sécurité des habitants et des entreprises.

Les opérations des troupes rwandaises relèvent de la compétence des forces de sécurité mozambicaines

Les médias rapportent également que malgré les bonnes relations que les forces rwandaises ont cultivées avec certains membres de la communauté, d'autres remettent en question leur rôle croissant au Cabo Delgado. Par exemple, à Mocímboa da Praia, la population a refusé d'utiliser un marché construit par les forces rwandaises dans le cadre de la stratégie des relations civilo-militaires.

Les médias locaux rapportent des propos de membres de la communauté qui affirment que les Rwandais « sont venus à Mocímboa da Praia pour apporter leur soutien dans la lutte contre le terrorisme, et lorsqu'ils commencent à construire des infrastructures, on ne sait plus très bien quelle est l'intention réelle de ces troupes ».

Ce scepticisme n'est pas sans fondement. Au fil du temps, les forces de sécurité rwandaises sont devenues présentes dans de plus en plus de districts du Cabo Delgado, menant des opérations à la place des troupes mozambicaines. En outre, trois ans après leur déploiement, on ne sait toujours pas quand elles se retireront.

Au contraire, le nombre de soldats rwandais au Mozambique est passé de 1 000 à environ 5 000. Ils ont pris position dans au moins cinq districts du Cabo Delgado (Mocímboa da Praia, Palma, Ancuabe, Macomia et Quissanga). De là, les troupes lancent des opérations couvrant plus de la moitié des 17 districts du Cabo Delgado et certaines parties de la province de Nampula.

Le Mozambique et le Rwanda devraient revoir l'objectif de la mission rwandaise au Cabo Delgado. Ils doivent veiller à ce que les troupes rwandaises, tout en soutenant la stratégie anti-terroriste du pays hôte, ne remplacent pas les forces de sécurité publiques dans leur rôle de principal garant de la sécurité. Cela aurait des conséquences à long terme sur l'autorité de l'État sur son territoire et sa population.

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