Les tensions s’accumulent sur les scrutins de décembre au Ghana

Les soupçons récurrents concernant l’indépendance de la Commission électorale menacent la stabilité politique à long terme.

Les élections générales du 7 décembre au Ghana seront le huitième scrutin consécutif depuis le retour à la démocratie il y a près de 30 ans. Les citoyens éliront leur président ainsi que 275 parlementaires.

Bien que 12 candidats soient en lice pour la présidence, la compétition oppose principalement le président sortant Nana Addo Dankwa Akufo-Addo du Nouveau parti patriotique (NPP) et son prédécesseur John Dramani Mahama du Congrès national démocratique (NDC), principal parti d’opposition.

L’alternance pacifique du pouvoir entre le NPP et le NDC en 2001, en 2009 et en 2017 a valu au pays une réputation de stabilité politique dans une Afrique de l’Ouest plutôt turbulente. Pourtant, le NPP et le NDC se sont affrontés au sujet de la neutralité de la Commission électorale en raison de différences dans la compilation des nouveaux registres électoraux en amont des élections.

Les réunions entre la Commission électorale et les groupes politiques composant le Comité consultatif interpartis indiquent une certaine satisfaction quant à l’état de préparation des élections. Mais les tensions entre les deux principaux partis ne se sont pas atténuées et ouvrent la voie à un résultat potentiellement contesté.

Les tensions entre les deux principaux partis indiquent une possible contestation des résultats électoraux

Mahama a accusé la Commission électorale d’avoir entrepris d’organiser une élection entachée d’irrégularités et a menacé d’en rejeter les résultats. Un autre signe de trouble a été l’aveu par la ministre des Initiatives spéciales de développement et membre du Parlement du NPP, Mavis Hawa Koomson, d’avoir tiré un coup de semonce lors d’une altercation avec les opposants du NDC dans un centre d’inscription des électeurs, le 21 juillet 2020.

Bien qu’elle supervise des élections dans lesquelles le parti au pouvoir a perdu à trois reprises, d’importants manquements exposent la Commission électorale à des soupçons de manipulation politique. Au-delà de son siège à Accra, l’infrastructure électorale est fragile dans tout le pays, rendant ainsi la commission dépendante du gouvernement pour ce qui est de mobiliser la logistique électorale.

Les commissaires électoraux bénéficient de la sécurité de leur mandat et le recrutement du personnel permanent et temporaire n’est pas soumis au contrôle du gouvernement. Toutefois, au niveau de la direction, un président peut être démis de ses fonctions et un autre peut être nommé par le président. Cette disposition explique une grande partie des tensions préélectorales.

En juin 2018, Akufo-Addo a démis de ses fonctions la présidente de l’époque, Charlotte Osei, et ses deux adjoints, sur recommandation d’un comité établi par le président de la Cour suprême. Ce comité avait enquêté sur des allégations de violation des règles de passation des marchés, de malversations financières et d’incompétence. Osei ayant été nommée en 2015 par le président Mahama, le NDC a critiqué cette décision, qui s’inscrirait dans le cadre du plan du NPP visant à manipuler la commission électorale et à truquer les élections de décembre 2020.

En dépit d’un solide bilan, les manquements de la Commission électorale l’exposent à des accusations de manipulation

Les tensions se sont aggravées lorsque Jean Mensa, accusé par le NDC d’être pro-NPP, a été nommé président de la Commission électorale avec deux adjoints et un commissaire. Les relations se sont détériorées lorsque la nouvelle direction a annoncé, en décembre 2018, son intention d’établir un nouveau registre des électeurs, car le précédent était gonflé et contenait les noms de mineurs et d’étrangers.

Le NPP avait fait pression sur les partenaires du Ghana quant à la nécessité de se doter d’un nouveau registre après sa courte défaite aux élections de 2012. Avant les élections de 2016, deux personnes accusées de militer au NPP avaient déposé une requête auprès de la Cour suprême contre la Commission électorale dirigée à l’époque par Mme Osei, en se fondant essentiellement sur la position de ce parti. La commission s’était conformée à la décision de la Cour en procédant à un toilettage du registre.

Les accusations de manipulation se sont aggravées lorsque des personnalités clés du NPP ont convenu publiquement avec la Commission électorale que les anciens actes de naissance et cartes d’électeurs devaient être exclus de la liste des documents acceptés pour les nouvelles inscriptions d’électeurs. Début juin, la Commission a obtenu l’approbation du Parlement, à majorité NPP, pour n’accepter que les passeports et les cartes d’identité nationales ghanéennes comme preuves de citoyenneté.

Les personnes ne possédant aucun de ces documents ne pouvaient s’inscrire que par l’intermédiaire de garants déjà inscrits au registre, une situation qui, selon le NDC, alourdirait considérablement le processus. Auparavant, le NDC avait accusé l’Autorité nationale d’identification, l’agence chargée de délivrer les documents d’identité au niveau national, la Commission électorale et le NPP de comploter pour priver de leur droit de vote les personnes qui n’avaient ni passeport ni carte d’identité du Ghana.

Le NDC a accusé le NPP d’essayer de priver ses partisans de leur droit de vote en se basant sur l’appartenance ethnique et la citoyenneté

C’est dans ce contexte qu’ont eu lieu de violents affrontements entre le NPP et les partisans du NDC, pendant les 31 jours qu’a duré le processus d’inscription des électeurs. Les attaques ont eu lieu dans différentes circonscriptions et ont fait plusieurs victimes. Le NDC a accusé le NPP de tenter de priver ses partisans de leur droit de vote en raison de leur appartenance ethnique et de doutes quant à leur citoyenneté.

Dans la région de la Volta orientale, un bastion du NDC, le déploiement par le gouvernement de forces de sécurité dans les villes frontalières dans le cadre de ses mesures de prévention de la COVID-19 a donné lieu à des accusations d’intimidation des électeurs et de discrimination ethnique. Le NPP a à son tour accusé le NDC de tenter d’inscrire des étrangers dans la région de Bono, à la frontière avec la Côte d’Ivoire.

Le processus de vérification des registres électoraux qui a suivi a également suscité des controverses et une plus grande polarisation des positions. Le NDC de Mahama a déploré le caractère incomplet des listes électorales révisées dans ses fiefs. Cela a soulevé des questions quant à savoir si le Ghana disposerait d’un registre des électeurs équitable, crédible et transparent pour les élections de décembre.

Les soupçons récurrents autour de l’indépendance de la Commission électorale ne sont pas de bon augure pour la stabilité politique du Ghana à long terme. Les lacunes juridiques et structurelles qui sous-tendent ces allégations doivent être comblées pour renforcer la confiance dans le processus électoral et réduire la possibilité de contestation des résultats.

Sampson Kwarkye, chercheur principal, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le Bassin du lac Tchad

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