Les tensions entre l'Algérie et le Maroc nuisent de nouveau aux aspirations africaines en matière de libre-échange

L'UA et le secrétariat de la ZLECAf devraient faciliter les discussions sur la coopération économique entre ces deux pays d'Afrique du Nord.

L'annonce par le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, le 24 août, d'une nouvelle rupture des relations diplomatiques avec le Maroc constitue un nouveau revers pour le libre-échange et la libre circulation sur le continent. Le fossé entre les deux pays s'est davantage creusé la semaine dernière avec la fermeture « immédiate » de son espace aérien à tous les avions civils et militaires marocains.

Ces développements sabordent les plans de l'Union africaine (UA) de voir une communauté économique régionale (CER) établie en Afrique du Nord, après la réintégration du Maroc dans l'organisation en 2017. Le roi du Maroc, Mohammed VI, s'était alors engagé à jouer un rôle constructif au sein de l'UA et avait plaidé pour le renouveau de l'Union du Maghreb arabe, qui connaît bien des difficultés.

L'UA est restée silencieuse quant au regain de tensions. M. Lamamra, ancien commissaire de l'UA pour la paix et la sécurité, pourrait recourir à de nombreuses structures de médiation pour amener ses homologues à la table des négociations. Toutefois, les divisions de longue date entre les deux pays, liées à des rivalités territoriales, politiques et économiques, ne seront guère faciles à résoudre pour l'UA.

Néanmoins, l'accent mis sur les avantages commerciaux régionaux de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) pourrait inciter les dirigeants respectifs à coopérer. L'UA pourrait s'appuyer sur des personnalités influentes au Maroc et en Algérie qui affirment que les importants problèmes de développement de ces pays ne peuvent être résolus sans une plus grande coopération régionale.

L'UA espérait qu'une CER pour l'Afrique du Nord serait créée après le retour du Maroc au sein de l'organisation en 2017

La rupture actuelle des relations diplomatiques et commerciales fait suite à une lettre envoyée par l'ambassadeur du Maroc aux Nations unies (ONU) dans laquelle le pays manifeste son soutien aux mouvements indépendantistes de la région de Kabylie en Algérie. Le Mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie est accusé d'être l'auteur des incendies dévastateurs qui ont ravagé la Kabylie à partir du 9 août et qui ont tué au moins 69 personnes.

Cela a coïncidé avec le scandale Pegasus, dans lequel 6 000 documents divulgués révélaient comment le Maroc espionnait l'Algérie. Cette dernière a également été exaspérée par la décision du Maroc de rétablir ses relations avec Israël après que l'ancien président des États-Unis, Donald Trump, a reconnu ses revendications sur le Sahara occidental. L'Algérie est un farouche opposant aux liens avec Israël.

Certains interprètent la situation actuelle comme une tentative de Lamamra de montrer que « l'Algérie est de retour » sur la scène internationale après une période relativement calme, notamment sous l'ancien président Abdelaziz Bouteflika. Dans le même temps, le Maroc accuse l'Algérie de soutenir des manifestants anti-monarchie dans le royaume.

Les tensions actuelles ont pour toile de fond les revendications d'indépendance non résolues du Sahara occidental, qui se trouve à l'intérieur des frontières du Maroc. L'Algérie soutient le Front Polisario, un mouvement représentant le Sahara occidental et assurant la gouvernance de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) du territoire. La RASD est membre de l'UA.

Au cours de l'année écoulée, des incidents sporadiques ont éclaté entre le Maroc et les indépendantistes sahraouis dans les zones tampons désignées par le cessez-le-feu négocié par l'ONU en 1991.

Les tensions passées ont fait chuter les niveaux d'échanges bien en deçà des prévisions pour des économies de la taille du Maroc et de l'Algérie

Le Maroc insiste pour mettre en œuvre son plan d'autonomie pour le Sahara Occidental, tandis que l'Algérie et ses alliés le rejettent. L'ONU définit le Sahara Occidental comme un territoire non autonome.

Depuis le retour du Maroc au sein de l'UA, les appels à résoudre le différend et à l'examiner dans le cadre du Conseil de paix et de sécurité de l'UA sont demeurés sans réponse. Le Maroc insiste sur le fait qu'il devrait être traité par le Conseil de sécurité des Nations unies, où peu de progrès ont été réalisés depuis des années.

En raison du différend entre les deux pays, les relations économiques et commerciales sont tombées au plus bas. Au cours des dernières décennies, les tensions ont provoqué plusieurs perturbations et fait chuter les niveaux d'échanges bien en deçà des prévisions pour des économies de leurs tailles. Les exportations du Maroc vers l'Algérie, par exemple, représentent 0,48 % de ses exportations totales. Le Maroc importe la majeure partie de son pétrole et de son gaz d'Algérie, mais cela ne représente que 0,79 % de ses importations.

Les pertes économiques potentielles sont énormes, notamment parce que le Maroc possède d'importantes réserves de phosphate qu'il pourrait exporter vers l'Algérie, l'un des principaux producteurs de gaz d'Afrique. Ensemble, ils pourraient produire des engrais indispensables pour stimuler l'agriculture sur le continent et « transformer les économies des pays africains », selon un spécialiste cité par Jeune Afrique.

Les frontières terrestres entre les deux pays ont été fermées entre 1976 et 1988, avant d'être rouvertes à la suite de tentatives d'apaisement de la part de leurs dirigeants. Elles ont été refermées en 1994 lorsque le Maroc a accusé l'Algérie d'être à l'origine des attentats terroristes de Marrakech. Aucune route maritime directe ne relie les pays, rendant le transport aérien indispensable. Les intermédiaires utilisent ces tensions et profitent des réseaux étendus pour transporter des marchandises entre les pays.

Le potentiel de la ZLECAf est énorme pour les marchés africains plus développés, tels que ceux d'Afrique du Nord

C'est dans ce contexte qu'il convient d'insister sur les avantages d'un commerce intra-africain plus important. Le potentiel de la ZLECAf est énorme pour les marchés africains les plus développés, comme l'Afrique du Nord, qui bénéficieront d'exportations en franchise de droits plus considérables vers le reste du continent.

Le secrétaire général de la ZLEAC, Wamkele Mene, estime que des millions d'Africains peuvent sortir de la pauvreté si l'accord est mis en œuvre de manière adéquate. L'Afrique du Nord n'était pas présente à la réunion que Mene a tenue avec les CER sur la question à la fin du mois de septembre. Sur les 39 ratifications à ce jour, l'Algérie et la Tunisie sont les deux seuls pays d'Afrique du Nord.

Le Maroc est un investisseur majeur en Afrique de l'Ouest et en Afrique centrale francophones, notamment dans le secteur bancaire et financier, dans les télécommunications, dans le transport aérien et dans les produits agricoles. Avec le Nigeria et l'Afrique du Sud, il figure parmi les plus gros investisseurs africains sur le continent, mais le Maroc n'a pas intégré la ZLECAf, craignant la concurrence d'autres États dans son économie. Les efforts du Maroc pour rejoindre la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest ont également échoué.

Pour l'instant, les arguments relatifs aux avantages économiques de l'intégration régionale n'ont pas permis de surmonter les profondes divergences entre le Maroc et l'Algérie. Toutefois, la société civile et les organisations régionales ont une nouvelle occasion de souligner la nécessité de pourparlers et d'un leadership visionnaire des deux côtés. Une lettre signée par 140 intellectuels des deux pays et de toute la région nord-africaine appelle à une médiation pour rétablir les liens.

Sans une CER fonctionnelle pour l'Afrique du Nord, l'UA et le secrétariat de la ZLECAf doivent jouer ce rôle. Réunir le Maroc et l'Algérie autour d'une table pour discuter de la coopération économique, si ce n'est des liens diplomatiques et politiques, constituera une étape importante pour le continent et l'intégration économique régionale.

Par Rapport CPS, ISS Addis-Abeba

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Crédit photo : Amelia Broodryk/ISS

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