Les scrutins récents montrent que les Africains aspirent à un leadership compétent

Les tendances indiquent que l’électorat africain a mûri et que les partis politiques ne peuvent plus prendre ses voix pour acquises.



© L'Institut d'études de sécurité

De nombreux pays se sont engagés dans la troisième vague de démocratisation de l’Afrique,  abolissant la dictature militaire, révisant leurs constitutions, adoptant le multipartisme et organisant des élections. Pourtant, le continent reste confronté à un faible leadership. L’élite au pouvoir n’a pas réussi à répondre aux besoins des citoyens ni à mettre en place un programme de développement.

Dans des pays comme la Guinée équatoriale, le Cameroun, l’Angola, la République du Congo, l’Ouganda et le Tchad, les dirigeants sont au pouvoir depuis plus de trente ans, à la tête de prétendues démocraties.  Même lorsqu’il y a un changement de président, ce sont généralement des personnes du même parti ou des deux principaux partis qui alternent au pouvoir.

De nombreux États – tels que la Tanzanie, l’Angola, l’Afrique du Sud, le Rwanda, l’Éthiopie, le Botswana, le Zimbabwe, le Mozambique et la Namibie – sont encore dominés par un seul parti. Des pays comme le Ghana, le Nigeria, le Bénin et le Mali sont gouvernés en alternance par deux partis politiques.

Sans programme de développement, l’élite dirigeante africaine ne répond pas aux besoins des citoyens

Toutefois, les résultats d’élections récentes montrent que les citoyens souhaitent voir de nouveaux dirigeants. Les élections générales de 2020 au Ghana ont provoqué une fracture historique du Parlement. Pour la première fois, le parti au pouvoir, le New Patriotic Party, et le principal parti d’opposition, le National Democratic Congress, disposaient d’un nombre égal de sièges, avec un président de la Chambre élu par l’opposition. Pour de nombreux analystes, cela révélait le désir des citoyens de mettre fin au scrutin majoritaire, dans lequel le gagnant emporte la totalité des sièges, et de voir une meilleure collaboration au sein de l’élite dirigeante.

En Afrique du Sud, le Congrès national africain (ANC), qui a remporté toutes les élections depuis 1994, a commencé à perdre son emprise, en particulier dans les grandes villes. Le parti a enregistré ses pires résultats lors des élections locales de 2021, ne remportant que 46 % des voix contre 54 % lors des scrutins municipaux précédents.

C’est la première fois que l’ANC n’est pas majoritaire à l’issue d’une élection, ce qui reflète le mécontentement des citoyens des performances du parti. Certains analystes prédisent qu’il pourrait ne remporter que 40 % des voix aux élections de 2024 et être contraint de former des coalitions gouvernementales difficiles.

De même, en Angola, la popularité du Mouvement populaire pour la libération de l’Angola, au pouvoir depuis l’indépendance en 1975, est en déclin. Depuis 2008, le nombre de sièges du parti à l’Assemblée nationale est passé d’une « supermajorité » de 81,6 % à seulement 51,2 % en 2022. Cette tendance montre qu’il pourrait perdre les prochaines élections en 2027.

Pour la première fois au Nigeria, le vainqueur des élections n’a pas obtenu la majorité des suffrages exprimés

Les élections législatives sénégalaises de juillet 2022 ont également marqué la perte, par la coalition au pouvoir, de sa majorité absolue au Parlement. La coalition, qui comprend le parti du président, l’Alliance pour la République, a obtenu 82 sièges sur 165, soit un résultat en baisse par rapport aux 125 sièges obtenus en 2017. C’est la première fois que la coalition d’un parti au pouvoir au Sénégal perd la majorité absolue au Parlement, l’obligeant à s’appuyer sur d’autres partis politiques pour faire passer des lois.

Au Kenya, les élections d’août 2022 ont vu l’ancien vice-président William Ruto battre le chef de l’opposition de longue date, Raila Odinga. Ruto a surmonté la politique tribale pour remporter une victoire historique malgré le soutien du président de l’époque, Uhuru Kenyatta, à Odinga. Faisant campagne sur ses origines modestes, Ruto a décrit l’élection comme une bataille entre des escrocs ordinaires et les dynasties dirigeantes (les familles Kenyatta et Odinga) qui ont gouverné le pays pendant des décennies. Ces propos ont semblé trouver un écho auprès des électeurs, en particulier les citoyens kenyans.

Les résultats des élections d’octobre 2022 au Lesotho ont également indiqué un changement radical dans les préférences électorales. Après vingt ans de domination d’un parti unique, les électeurs ont, depuis 2012, éliminé tous les partis en place. En 2022, le parti de la Révolution pour la prospérité, créé six mois seulement avant le scrutin et dirigé par l’outsider Sam Matekane, a remporté 56 sièges sur 120. Le parti sortant, All Basotho Convention, n’a obtenu que 8 sièges, signalant ainsi clairement que les voix de l’électorat ne pouvaient pas être considérées comme acquises.

Tout récemment, les élections présidentielles et législatives de février au Nigeria ont vu l’émergence d’une troisième force politique dans le pays le plus peuplé du continent. De nombreux observateurs ont décrit ces élections comme les plus compétitives de l’histoire du Nigeria, s’éloignant de l’habituel duel entre le parti au pouvoir, le All Progressives Congress (APC), et le principal parti d’opposition, le Peoples Democratic Party (PDP).

Les Africains sont prêts à dépasser les considérations ethniques et religieuses pour voter en faveur de la compétence

Peter Obi, ancien gouverneur de l’État d’Anambra, a mené le parti travailliste à la victoire dans 12 États, dont Lagos, l’arrière-cour du président élu Bola Tinubu, et la capitale fédérale, Abuja. Obi a obtenu environ 25 % des voix, contre 37 % pour l’APC et 29 % pour le PDP. Ainsi, pour la première fois, le vainqueur n’a pas obtenu la majorité des suffrages exprimés. L’entrée significative de Obi a bouleversé la politique nigériane, en offrant une troisième alternative crédible et donc un espoir à de nombreuses personnes qui avaient perdu confiance en l’APC et le PDP.

Ces exemples témoignent de la maturité de l’électorat africain. Aucun parti politique ne peut plus prendre pour acquises les voix des électeurs du continent. Les citoyens africains sont aussi clairement disposés à dépasser les considérations ethniques, tribales et religieuses pour voter pour la compétence, lorsqu’elle émerge. L’époque où les élites dirigeantes pensaient qu’elles allaient remporter les élections est révolue et, si cette tendance se poursuit, la plupart des dynasties dirigeantes seront bientôt démantelées.

Enoch Randy Aikins, chercheur,  Futurs africains et Innovation, ISS Pretoria

Image : © Commonwealth Secretariat/Flickr

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