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Les océans d'Afrique menacés par la crise en mer Rouge

Le conflit provoque de graves dommages environnementaux. Les pays africains doivent activement trouver des solutions diplomatiques.

La crise de la mer Rouge est devenue une préoccupation primordiale, en grande partie parce qu'elle perturbe le commerce mondial, mais aussi parce qu’elle a des répercussions environnementales considérables. Aux affrontements s'ajoutent d'autres facteurs de stress environnementaux avec des risques de dommages irréversibles à la santé des océans. L'Afrique doit agir de toute urgence.

Le 27 janvier, les Houthis ont attaqué le pétrolier Marlin Luanda, un navire britannique, en réponse aux frappes aériennes des États-Unis et du Royaume-Uni. Le pétrolier a pris feu et a été gravement endommagé. Il s'agissait de l'une des nombreuses attaques de pétroliers en mer Rouge depuis la mi-décembre 2023.

Le conflit se déroule à un moment où la pression augmente dans la région en raison de la croissance démographique, du changement climatique et du développement côtier. L'écosystème récifal de la mer Rouge assure la sécurité alimentaire et procure des moyens de subsistance à 28 millions d'habitants du littoral. Des déversements d'hydrocarbures dans ces eaux engendreraient de graves dommages, en contaminant les écosystèmes marins, en détruisant des récifs coralliens vitaux et en portant atteinte à des populations de poissons déjà surexploitées. Les efforts de nettoyage seraient coûteux et chronophages dans une région qui manque de capacités en termes de sécurité maritime.

La coopération dans le domaine de l'action climatique dans la région est déjà entravée par des dynamiques géopolitiques complexes. Ainsi, en août 2023, une mission des Nations unies (ONU) a transféré 1,4 million de barils de pétrole brut du superpétrolier FSO Safer à un autre navire, au large du Yémen. Le pétrolier était exposé à un risque de déversement dû à la corrosion, en raison d'un manque d'entretien depuis le début de la guerre au Yémen en 2015. Il aurait pu également exploser et entraîner une crise environnementale et humanitaire si le pétrole s'était déversé dans la mer Rouge.

L'écosystème récifal de la mer Rouge assure la sécurité alimentaire de 28 millions d'habitants du littoral

La mission de l'ONU a écarté la menace d'un déversement immédiat, mais la crise de la mer Rouge a compliqué les efforts pour éliminer les résidus de pétrole du navire, qui pourrait encore exploser. La coalition de pays qui a parrainé le transfert de pétrole coordonné par l'ONU (dont l'Arabie saoudite, les Pays-Bas, l'Allemagne, les États-Unis, le Royaume-Uni) est impliquée dans la guerre au Yémen. Les Houthis et l'Arabie saoudite, qui dirigeait la coalition, se disputent également la propriété du pétrolier.

Au-delà des risques immédiats pour la mer Rouge, le conflit suscite des inquiétudes à long terme pour la région de l'océan Indien occidental. Ce sont 6,2 millions de barils de pétrole brut et de produits pétroliers raffinés transitant chaque jour par la mer Rouge, selon les estimations, qui sont menacés. Une grande partie de ce trafic sera redirigée vers le cap de Bonne-Espérance, un itinéraire nettement plus long.

La probabilité d'une catastrophe écologique sera d’autant plus importante si le conflit s'intensifie et si le nombre de navires circulant en Afrique augmente, parfois à proximité de régions connues pour leurs accidents maritimes. Ce qui sera le cas si les Houthis utilisent l'implication de la coalition dirigée par l'Arabie saoudite dans le projet Safer pour obtenir un soutien local contre le rôle des États-Unis dans la crise de la mer Rouge.

Les phénomènes météorologiques liés au climat ont davantage compliqué les routes maritimes. De graves sécheresses ont abaissé le niveau d'eau du canal de Panama, réduisant le trafic maritime de près de 40 %. Celui-ci est redirigé autour du cap de Bonne-Espérance, ce qui nécessite une amélioration immédiate de la sensibilisation à la sécurité maritime et des capacités de lutte contre les déversements d'hydrocarbures dans l'océan Indien occidental.

Une catastrophe maritime pourrait provoquer des déplacements massifs

Des déversements accidentels entraîneraient de graves pertes économiques et des dommages irréversibles à l'écosystème marin délicat dans une région qui n'a pas les moyens de réagir aux catastrophes environnementales en mer. L'augmentation des volumes d'avitaillement accroît le risque de déversements, de fuites et d'explosions.

L'analyse des données par la plateforme de trafic maritime ZeroNorth montre que pour chaque porte-conteneurs détourné du cap de Bonne-Espérance 2 000 tonnes métriques supplémentaires de dioxyde de carbone sont rejetées, soit 8,8 millions de tonnes métriques en un an. L'augmentation des émissions de gaz à effet de serre provoquée par le transport maritime exacerbera la crise climatique mondiale et finira par contrevenir aux efforts de l'accord de Paris.

Il est dans l'intérêt de l'Afrique de jouer un rôle de premier plan dans l'atténuation du risque de catastrophe climatique. Un événement de cette nature provoquerait une crise humanitaire, susceptible d'entraîner des déplacements massifs dans les États africains riverains de la mer Rouge, dans une région déjà en proie à des tensions politiques.

Le transport maritime est entré dans la mêlée des relations internationales avec des répercussions économiques, militaires et environnementales. L'Afrique doit donc faire preuve d'une plus grande efficacité dans la sauvegarde de son domaine et de ses intérêts maritimes. Elle peut le faire de diverses manières. Par exemple, l'Afrique pourrait stimuler les efforts diplomatiques pour faciliter la résolution de ce qui est, jusqu'à présent, une crise militaire.

C'est le moment pour l'Afrique d'établir une norme mondiale pour la gestion de l'environnement

Les risques environnementaux requièrent une meilleure mise en œuvre des réglementations de l'Organisation maritime internationale visant à réduire les marées noires. Les compagnies maritimes pourraient être mandatées pour contribuer aux stratégies régionales gérées par les Nations unies, telles que le programme désormais inactif pour la mer Rouge et le golfe d'Aden. Ce programme avait pour objectif de diminuer les déversements d'hydrocarbures, de promouvoir l'utilisation de carburants plus propres et plus durables pour le transport maritime et d’améliorer les protocoles et la formation en sécurité maritime.

Le rôle des accords et des efforts internationaux concernant la sécurité maritime menés par l'Afrique doit également être pris en compte. Le code de conduite de Djibouti et son amendement de Djeddah peuvent faire progresser la sécurité maritime grâce à la collaboration régionale dans la lutte contre les problèmes environnementaux dans l'océan Indien occidental.

L'Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) de l'Afrique de l'Est, par l'intermédiaire de son groupe de travail sur la mer Rouge et le golfe d'Aden, pourrait formuler des stratégies pour la région, cependant cette option a été négligée jusqu'à présent. L'Ouganda, membre de l'IGAD et nouveau président de la coalition des pays en développement du Groupe des 77 + la Chine, peut utiliser sa position pour orienter les efforts de diplomatie climatique de l'Afrique dans la résolution de la crise au niveau international.

Enfin, par l'intermédiaire de son Conseil de paix et de sécurité, l'Union africaine reconnaît les liens entre l'environnement et la sécurité. Elle devrait donner la priorité aux menaces environnementales crées par la crise de la mer Rouge dans ses messages diplomatiques.

L'Afrique doit être proactive dans les efforts multilatéraux de lutte contre les risques climatiques, car ses océans subissent de plein fouet les dommages environnementaux aux conséquences humanitaires potentiellement graves. La crise de la mer Rouge met en évidence le besoin urgent de solutions innovantes qui concilient la sécurité maritime et la responsabilité écologique.

C'est le moment pour l'Afrique de faire preuve de vision et de détermination, de plaider en faveur de pratiques maritimes durables et d'établir une norme mondiale en matière de gestion de l'environnement dans le cadre du conflit.

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