Les manifestations anti-MONUSCO envoient un message clair à Tshisekedi

Dans l'est de la RDC, les Congolais n'apprécieront les efforts de la mission de maintien de la paix des Nations unies que lorsque leur gouvernement leur garantira la sécurité.

Le 23 avril, une centaine de femmes ont manifesté à Beni, dans le nord-est de la République démocratique du Congo (RDC), pour exiger que la mission de maintien de la paix des Nations Unies quitte le pays. Lors des nombreuses manifestations du mois d’avril, les Congolais ont également mis le gouvernement au défi d’améliorer sa réponse au manque chronique de sécurité dans l’est du pays.

En 2020, divers groupes armés en RDC ont tué environ 2 945 civils, dont 553 femmes et 286 enfants, et engendré le déplacement à l’intérieur du pays d’environ 100 000 personnes. La situation humanitaire s’aggrave depuis le début de l’année 2021. L’explosion de la violence à la fin des années 1990 a fait de la RDC un des pays du monde les plus touchés par l’insécurité, elle compte 5,5 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays.

La Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) planifie actuellement sa stratégie de sortie, mais aucun calendrier précis n’a été fixé à ce jour. Les conditions dans lesquelles se dérouleront les élections générales de 2023 et les répercussions que cela aura sur la gouvernance et la sécurité globales du pays constitueront probablement un facteur décisif.

Les femmes de Beni ont ajouté leurs voix à celles des militants de la société civile de Lutte pour le changement et de la Véranda Mutsanga, ainsi qu’à celle des écoliers. Ces militants demandent la fermeture immédiate et inconditionnelle de la mission de l’ONU, affirmant que les casques bleus et les autorités nationales n’ont pas réussi à protéger la population.

Les militants de la société civile demandent le retrait immédiat et inconditionnel de la mission de l’ONU

Depuis début avril, des manifestations ont lieu à Beni, Butembo, Oicha et Goma, dans la province du Nord-Kivu, dans le but de forcer la mission de l’ONU à quitter le pays. Ces manifestations ont donné lieu à des affrontements meurtriers avec la Police nationale congolaise et les Forces armées de la RDC (FARDC).

Ce n’est pas la première fois que des Congolais manifestent contre la MONUSCO. En novembre 2019, les mêmes groupes de pression s’étaient rassemblés à Beni pour manifester contre l’incapacité des autorités à endiguer le déchaînement de violence de groupes armés, notamment les Forces démocratiques alliées (ADF), contre les civils. Des manifestants avaient attaqué les sites de la MONUSCO à Beni, incendiant des biens et des bureaux, dont celui du maire.

Les récents troubles interviennent dans un contexte politique délicat. « L’union sacrée » forgée entre le président Félix Tshisekedi, Moïse Katumbi, Jean-Pierre Bemba et des alliés de l’ancien président Joseph Kabila, bat son plein. Cette alliance politique ne répond cependant pas aux attentes de tous ses partisans.

Depuis les manifestations d’avril, le gouvernement a interdit les rassemblements publics dans tout le pays et décrété l’état d’urgence au Nord-Kivu. Il a remplacé les autorités civiles par des administrations militaires à Beni, au Nord-Kivu et en Ituri. Ces mesures n’ont toutefois apporté qu’un soulagement de courte durée ; la population craint des violations des droits humains de la part de l’armée. Elles constituent également une tentative d’empêcher les groupes armés, notamment les Maï-Maï et les ADF, d’infiltrer le mouvement de protestation.

Les opérations militaires menées depuis le mois d’octobre 2019 ont permis de déloger les ADF de certains de leurs repaires à Beni. Cette manœuvre les a contraints à chercher de nouveaux refuges dans la province de l’Ituri, où règne un conflit violent entre les Lendu et les Hema, ils exercent en outre des représailles contre les civils. Le gouvernement a également déployé des troupes supplémentaires des FARDC à Beni et à Goma pour assurer la protection des civils.

Depuis les manifestations, le gouvernement a interdit les rassemblements publics et décrété l’état d’urgence au Nord-Kivu

Le plus urgent reste néanmoins d’adopter une approche claire à moyen et long terme afin de répondre à l’insécurité dans l’est du pays. Dans cette région, la violence contre les civils est due à des problèmes à la fois structurels et conjoncturels. Les groupes armés prétendent aider les communautés, par exemple en résolvant des conflits fonciers et en répondant à leurs griefs contre l’État. Il s’agit en réalité d’actions visant à couvrir leur exploitation illégale de ressources naturelles. Par ailleurs, ces groupes armés commettent des atrocités contre les populations civiles locales.

La stagnation des efforts menés par le gouvernement en matière de démobilisation, de désarmement et de réintégration, ainsi que de réforme du secteur de la sécurité contribuent à la poursuite de la violence. Cette stagnation met à mal les efforts du gouvernement et de ses partenaires internationaux visant à empêcher que les combattants ne soient à nouveau recrutés par des groupes armés après avoir retrouvé la vie civile.

Depuis l’arrivée au pouvoir de Tshisekedi, les relations entre le gouvernement et la mission de paix de l’ONU se sont améliorées. La rhétorique anti-MONUSCO de hauts responsables de l’État a diminué. Les deux parties ont collaboré et développé des efforts communs afin d’éradiquer les forces violentes dans le pays.

Les Congolais ne pourront toutefois réellement apprécier les efforts de la MONUSCO que si les autorités parviennent à sécuriser les frontières du pays et à faire en sorte que les citoyens se sentent en sécurité. Le gouvernement doit élaborer une stratégie globale de sécurité nationale en collaboration avec les partenaires internationaux, régionaux et locaux visant à lutter contre l’insécurité dans l’est de la RDC. Il est également nécessaire d’accorder à nouveau une grande attention à la démobilisation et au désarmement, ainsi qu’à la réforme du secteur de la sécurité.

Au cœur de cette stratégie, il sera indispensable d’imposer une tolérance zéro de l’impunité. Les victimes de la violence ont besoin d’une forme de justice, et il faut décourager les auteurs qui souhaiteraient tirer parti de la faiblesse du gouvernement.

Le moment est peut-être venu de créer un tribunal spécial pour l’est de la RDC en réponse aux attaques persistantes contre les civils

Le temps est peut-être venu de créer un tribunal spécial pour l’est de la RDC afin de répondre aux attaques persistantes contre les civils. Ce tribunal pourrait faire la lumière sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis depuis la fin des années 1990.

Si l’action militaire a donné quelques résultats, il convient de consentir davantage d’efforts, non militaires, pour stabiliser les zones du pays qui ont été récupérées par les groupes armés ou qui en sont encore menacées.

Tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des services de sécurité nationaux, des collaborateurs continuent de fournir des armes, des munitions et d’autres formes de soutien aux groupes armés. Les ADF, par exemple, continuent de recevoir la plupart de leurs vivres et de leurs fournitures par le biais de réseaux bien établis composés de civils et de certains acteurs de la sécurité à Beni et à Butembo. Ces réseaux doivent impérativement être démantelés.

Le gouvernement tout juste investi a fait de la paix et de la stabilité ses priorités. Il faut prendre des mesures décisives afin de traduire ces objectifs en réalité pour les millions de citoyens congolais vivant dans ces régions dangereuses du pays. La sécurisation de l’est de la RDC sera le mètre étalon à l’aune duquel sera mesuré le succès de l’union sacrée. Et cela pourrait déterminer si Tshisekedi effectuera un deuxième mandat présidentiel.

David Zounmenou, chercheur principal consultant, ISS

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