European Union/Dominique Catton/Flickr

Les enlèvements au Tchad pourraient déclencher une crise de sécurité régionale

La frontière entre le Tchad, le Cameroun et la Centrafrique, véritable poudrière criminelle, requiert une action rapide des trois gouvernements.

Depuis plus de vingt ans, les kidnappeurs terrorisent les habitants des provinces tchadiennes du Mayo-Kebbi Ouest et du Logone Oriental, situées dans le sud du pays. Entre 2020 et 2023, le nombre de victimes et le montant total des rançons versées par leurs familles ont fortement augmenté, selon une étude de l'Institut d'études de sécurité (ISS).

Les provinces du sud du Tchad les plus touchées par les enlèvements

Les provinces du sud du Tchad les plus touchées par les enlèvements

Source: ISS
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Les organisations non gouvernementales locales des deux provinces ont déclaré à l'ISS qu'en 2022, 46 personnes ont été enlevées, 12 assassinées et 42 925 000 FCFA ont été versés comme rançon dans le Logone Oriental. En 2023, 41 personnes ont été enlevées, huit ont été tuées, deux sont portées disparues et 52 405 000 FCFA ont été versés dans le Mayo-Kebbi.

Le Tchad et ses voisins doivent rapidement enrayer ce problème et éviter toute collusion avec d'autres forces criminelles et extrémistes opérant dans les zones frontalières entre le Tchad, le Cameroun et la République centrafricaine (RCA). Le Mayo-Kebbi Ouest et le Logone Oriental, les deux provinces tchadiennes les plus touchées, sont situées dans ce complexe des trois frontières. Le contrôle de l'État est limité dans cette zone périphérique et les criminels se déplacent facilement à travers les frontières poreuses.

La situation sécuritaire générale dans cette zone n'a cessé de se détériorer en raison de décennies de conflits armés sporadiques dans les pays du bassin du lac Tchad et de l'émergence de Boko Haram au début des années 2000. L'incapacité des pays à juguler la violence et à maintenir la sécurité aux frontières confère à ce problème une dimension transfrontalière.

Le Tchad est toujours en proie à diverses menaces sécuritaires, notamment la prolifération des armes à feu due aux conflits internes successifs et aux retombées des conflits dans les pays voisins, à savoir la Libye, le Soudan et la République centrafricaine. Les réseaux criminels au Cameroun se sont également renforcés, selon les recherches de l'ISS, avec une augmentation des enlèvements et de la circulation des armes dans les régions du nord du pays limitrophes du Tchad et de la RCA.

Les jeunes ont été mobilisés pour donner l’alerte et renseigner les forces de sécurité

La RCA est en conflit depuis 2003, ce qui a occasionné une augmentation des flux d'armes et le repli des combattants vers les zones périphériques, l'armée ayant gagné en puissance grâce au soutien de ses partenaires russes. Le conflit a également entraîné la pauvreté de certains éleveurs peuls, alors contraints de se tourner vers le banditisme.

Au Tchad, les ravisseurs sont principalement issus des communautés transfrontalières peules, arabes et haoussas. Selon des témoignages recueillis par ISS Today, leurs complices locaux sont des autorités traditionnelles et des jeunes, qui les renseignent sur les personnes à kidnapper. Toute personne considérée comme riche dans le village ou le district peut être ciblée, notamment les commerçants, les éleveurs, les agriculteurs, les fonctionnaires et le personnel des ONG ainsi que leurs enfants et leurs conjoints.

Bien que la plupart des enlèvements soient motivés par un gain financier, les victimes sont parfois assassinées malgré le versement d'une rançon. Toute personne considérée comme une menace pour l’activité de kidnapping est en danger. Les journalistes, les membres d'associations et, en particulier, les membres des comités de vigilance communautaires, sont pris pour cible parce qu'ils sensibilisent sur les risques de kidnapping.

Les ravisseurs, disposant d’informations sur leurs cibles, frappent généralement tard dans la nuit, entre 23h00 et 01h00. Cette tendance a changé en 2023, lorsque des élèves ont été enlevés pendant la journée dans leur école du centre-ville de Pala, dans le Mayo-Kebbi Ouest. Les victimes du Tchad sont détenues au Cameroun, et celles du Cameroun au Tchad, ont déclaré les personnes interrogées à ISS Today. Des trafics de tout genre ont également lieu dans ce complexe frontalier.

La coopération, les patrouilles conjointes et l'échange continu d'informations entre les forces sont essentiels

L'insuffisance des effectifs des forces de sécurité complique la prévention des enlèvements. Des opérations militaires bénéficiant des renforts d’autres provinces ont permis de récupérer des otages et d'arrêter des ravisseurs. Toutefois, ces opérations ne sont pas régulières. Des jeunes ont été mobilisés dans le Mayo-Kebbi Ouest et le Logone Oriental pour surveiller leurs communautés, donner l’alerte en cas d'enlèvement et fournir des informations aux forces de sécurité.

La zone frontalière entre le Tchad, le Cameroun et la République centrafricaine est une véritable poudrière criminelle qui nécessite une action rapide des trois gouvernements. Pour renforcer les dispositifs de sécurité, les pays doivent augmenter les effectifs des forces de sécurité et fournir des véhicules tout-terrain et des motos adaptés au terrain accidenté de la zone. Cela permettrait de créer des réseaux d'information, des postes de surveillance et davantage de patrouilles pédestres et motorisées.

La nature transfrontalière des enlèvements rend la collaboration entre les trois pays indispensable. Celle-ci devrait inclure la mise en place de mécanismes de coopération, de patrouilles conjointes et d'un échange permanent d'informations entre les différentes forces. Il est également essentiel de négocier des droits de recherche et de saisie transfrontaliers à l’instar des pays du bassin du lac Tchad dans le cadre de la Force multinationale mixte de lutte contre Boko Haram.

Il faudrait également travailler avec les comités de vigilance des jeunes, dont les connaissances approfondies de ces environnements peuvent servir à recueillir des informations et traquer les kidnappeurs.

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