Les élections en Guinée-Bissau débouchent sur une nouvelle impasse politique

Organisées sans réformes préalables, les élections législatives n’ont pas permis de tourner la page de la crise de 2015.

La Guinée-Bissau est de nouveau dans une impasse politique, deux mois à peine après les élections législatives du 10 mars dernier. Les mêmes intérêts partisans s’affrontent, qui avaient débouché sur un scénario similaire il y a quatre ans. Ces élections étaient pourtant considérées par bon nombre d’acteurs externes comme susceptibles de mettre fin à la crise qui avait éclaté en 2015. Cependant, en organisant ce scrutin dans un contexte politique tendu et sans mettre en œuvre au préalable les réformes politiques indispensables, il était illusoire de penser que le même scénario de blocage ne se reproduirait pas.

Les querelles politiques qui opposent les deux groupes parlementaires constitués empêchent la mise en place complète du bureau de l’Assemblée nationale populaire (ANP), la nomination du premier ministre ainsi que la formation d’un nouveau gouvernement.

Le blocage institutionnel qui en résulte fragilise davantage la situation socioéconomique et risque de compromettre l’organisation des élections présidentielles prévues entre le 23 octobre et le 25 novembre. La fin du mandat du président José Mário Vaz, qui intervient le 23 juin, combinée à l’absence d’un nouveau gouvernement, pourrait provoquer une contestation de la légitimité du pouvoir exécutif. Cette situation installerait le pays dans un vide institutionnel et rendrait beaucoup plus difficile la sortie de cette nouvelle impasse.

C’est le rejet, le 18 avril, de la candidature de Braima Camará, coordinateur du Mouvement pour l'alternance démocratique-G15 (MADEM-G15), au poste de deuxième vice-président de l’ANP par la nouvelle majorité parlementaire conduite par le Parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), qui est à l’origine de ce blocage. Les tensions partisanes ont été exacerbées par le refus du MADEM-G15 de proposer une alternative à la candidature de Braima Camará.

L’impasse actuelle implique les mêmes acteurs que ceux de 2015

Cette crise s’inscrit dans le prolongement de celle d’août 2015, survenue après le limogeage de l’ancien premier ministre, Domingos Simões Pereira, par le président Vaz. Elle oppose en effet les mêmes acteurs.

D’un côté, on a le PAIGC, vainqueur des législatives avec 47 sièges sur un total de 102, appuyé par ses soutiens traditionnels avec lesquels il a formé une alliance au parlement. Cette alliance rassemble l’Assemblée unie du Peuple-Parti démocratique de Guinée-Bissau (APU-PDGB), qui entre à l’ANP avec cinq députés, l'Union pour le changement (UM) ainsi que le Parti pour la nouvelle démocratie (PND) qui détiennent chacun un siège.

De l’autre, on trouve le MADEM-G15, créé en 2018 par les députés dissidents du PAIGC et désormais deuxième force politique avec 27 sièges, et le Parti pour le renouveau social (PRS), qui n’a recueilli que 21 sièges. Tous deux sont des alliés du président Vaz. Ce dernier, en conditionnant la nomination du premier ministre à l’installation du bureau de l’ANP, alimente les suspicions sur sa volonté réelle de nommer de nouveau Pereira, président du PAIGC et désigné par la majorité parlementaire, à la primature.

Ce nouvel épisode brise la dynamique amorcée depuis la signature, en février dernier, du pacte de stabilité qui engage les acteurs politiques à créer, les conditions de la stabilité politique et institutionnelle après les législatives. Il renseigne en outre sur l’incapacité des acteurs politiques à transcender leurs divergences dans l’intérêt d’un pays qui a désespérément besoin de leur attention.

Alors que les désaccords entre les acteurs politiques persistent, la détérioration de la situation socioéconomique et les impacts liés au trafic de drogue constituent des facteurs supplémentaires d’instabilité.

En pleine campagne électorale, la police judiciaire a effectué une saisie record de 789 kg de cocaïne

L’instabilité politique qui subsiste depuis plusieurs décennies a rendu difficile la création des conditions nécessaires pour la mise en œuvre de politiques publiques. Le niveau de développement humain en Guinée-Bissau reste faible et précaire.

En 2018, le pays se situe au 177e rang sur 188 au classement de l’indice du développement humain du Programme des Nations-unies pour le développement (PNUD). La pauvreté affecte plus de 58,4 % de la population. Son économie dépend essentiellement de l’exploitation de la noix de cajou, principal produit d’exportation, dont la campagne de commercialisation est encore cette année compromise par le prix imposé par le gouvernement.

Cette situation est aujourd’hui aggravée par des tensions sociales qui résultent d’une série de grèves initiées par les deux principaux syndicats du pays, l'Union nationale des travailleurs de Guinée-Bissau et la Confédération générale des syndicats indépendants de Guinée-Bissau. Leurs revendications portent sur le paiement des arriérés de salaires et la revalorisation du salaire minimum à 100 000 francs CFA.

La prise en charge de ces revendications s’annonce difficile. Le pays subit une tension budgétaire due notamment aux effets de la chute du prix de la commercialisation de la noix d’anacarde en 2018 et à l’augmentation des dépenses publiques dont celles liées à l’organisation des élections législatives de mars 2019.

L’instabilité politique et la situation socioéconomique précaire constituent des facteurs de fragilité qui permettent aux acteurs du crime organisé de continuer de prospérer en Guinée-Bissau avec la complicité de certains acteurs nationaux. Le 9 mars, en pleine campagne électorale, la police judiciaire a saisi 789 kg de cocaïne – ce qui représente un chiffre record. Le 30 avril, la douane sénégalaise a également confisqué 72 kg de cocaïne dans la région de Tambacounda, à l’est du Sénégal, provenant de la Guinée-Bissau.

Les acteurs du crime organisé continuent de prospérer avec la complicité d’acteurs nationaux

Ces récentes saisies rappellent non seulement que le pays demeure une zone de transit importante du trafic international, mais aussi que beaucoup d’efforts doivent encore être fournis dans la lutte contre le trafic de drogue. Les capacités de la police judiciaire bissau-guinéenne doivent être renforcées et la coopération avec les pays frontaliers consolidée.

Étant donné l’ampleur des défis, les acteurs politiques doivent à tout prix éviter une nouvelle désillusion post-électorale. Aux élections de 2014, tout comme celles de 2019, les populations ont voté massivement dans l’espoir de tourner la page de l’instabilité politique et de la pauvreté qui sévit depuis l’indépendance en 1974. Cependant, les ambitions personnelles et partisanes continuent de primer sur l’intérêt des citoyens qui sont les premières victimes de cette instabilité chronique.

Pour sortir de cette nouvelle impasse, il faut que les acteurs politiques transcendent leurs intérêts. Un consensus est nécessaire pour la nomination d’un premier ministre et la formation d’un gouvernement légitime afin d’apaiser les tensions sociales et d’engager les préparatifs de l’élection présidentielle.

Paulin Maurice Toupane, chercheur, Bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad, Dakar

En Afrique du Sud, le quotidien Daily Maverick jouit des droits exclusifs de publication des articles ISS Today. Pour les médias hors d’Afrique du Sud et pour toute demande concernant notre politique de publication, veuillez nous envoyer un e-mail.

Contenu lié