Les divisions au sujet des opérations de paix pourraient causer la déchéance du partenariat ONU-UA

Ces divergences, qui étaient naguère parmi les atouts des bonnes relations entre ces deux organismes multilatéraux, mettent désormais leur coopération à l’épreuve.

Les Nations Unies (ONU) et l'Union africaine (UA) arrivent rapidement à la croisée des chemins quant à leur soutien collectif aux opérations de paix multilatérales. La situation devient critique en raison de la montée de la violence politique en Afrique, de la fragilité des accords de paix, de la précarité de l'environnement macroéconomique et de la dépendance croissante aux efforts de lutte contre le terrorisme. S'ils ne sont pas corrigés, ces désaccords pourraient mettre en péril les bases du partenariat ONU-UA, lancé depuis 2002, et défaire des années de progrès constants.

La coopération entre l’ONU et l’UA est un pilier du paysage de la paix et de la sécurité en Afrique. Malgré une évolution remarquable dans de nombreux domaines de leur partenariat, les divergences quant à la manière dont elles doivent renforcer la sécurité du continent se sont accentuées.

La convergence stratégique entre le Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU) et le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l'Union africaine est essentielle. Les deux sont les fers de lance des réponses collectives aux problèmes de sécurité, la relation entre les deux conseils est néanmoins complexe et de nombreux domaines sont contestés. Il y a notamment des idées erronées de part et d’autre quant à leurs rôles et responsabilités respectifs.

Les difficultés rencontrées ces derniers mois pour donner des réponses unifiées aux situations au Cameroun, en Éthiopie, au Mozambique et au Tchad sont particulièrement saillantes. Ni l'ONU ni l'UA n'ont mandaté des réponses opérationnelles qui peuvent correspondre à leurs déclarations relativement limitées au sujet de ces conflits.

La relation entre le CPS de l'Union africaine et le CSNU est complexe et de nombreux domaines sont contestés

Le manque d'unité et d'orientation stratégique commune est également flagrant lors des déploiements d’opérations multilatérales de paix. Les divergences croissantes entre l'ONU et l'UA concernant les approches politiques de la République centrafricaine, du Mali et du Sahel, ainsi que de la Somalie en sont des exemples notoires.

Les divisions politiques s'infiltrent également dans d’autres aspects du partenariat ; le dilemme autour du financement prévisible et durable des opérations de paix étant évidemment un sujet délicat. Les retombées politiques des négociations ratées de 2018 et de 2019 au sujet d’une résolution du CSNU se font encore sentir aujourd'hui. Bien que les diplomates de New York aient fait preuve de prudence lorsqu’ils ont soulevé le sujet, ces appréhensions sont arrivées aux oreilles du grand public lors des récentes discussions du Conseil de sécurité sur la Mission de l’UA en Somalie et la Force conjointe du G5 Sahel.

Des efforts pour résoudre ces problèmes pourraient émerger au cours des prochains mois. Le CPS de l’UA a récemment demandé à la Commission de l’UA « d'élaborer un document de Position commune africaine » sur le sujet. Certaines des bases techniques nécessaires à tout accord ont déjà été posées.

Le débat sur le financement est sans doute la source de tension la plus médiatisée. Ce nouveau sens de l'urgence semble lié à la capitalisation lente mais constante du Fonds pour la paix de l'UA (actuellement estimé à environ 204 millions de dollars) à laquelle s'ajoutent les implications de la nouvelle Facilité européenne pour la paix.

Les divergences croissantes entre l'ONU et l'UA en ce qui concerne les réponses aux situations en RCA, au Mali et au Sahel, et en Somalie sont frappantes.

D'autres lignes de fracture repoussent également les limites des opérations de paix multilatérales déployées en ce moment. Par exemple, il est important d’opter pour des initiatives régionales sur mesure dans la lutte contre le terrorisme, car cela aura des répercussions directes sur le partenariat ONU-UA.

Les coalitions sur mesure telles que la Force conjointe du G5 Sahel et la Force multinationale mixte de la Commission du bassin du lac Tchad sont à la fois mandatées par le CSNU et autorisées par le CPS de l'UA. Toutefois, elles ne sont pas mises en œuvre par l’ONU ou l’UA, et ne sont donc pas soumises aux exigences de ces organismes en matière de droits humains, de finances ou d’opérations. Bien qu’elles comblent les lacunes que les opérations onusiennes de paix ne parviennent pas à aborder, ces initiatives sur mesure n’ont souvent pas de stratégies plus vastes pour gérer les moteurs politiques sous-jacents de la violence.

Comme constaté dans le Sahel, le résultat est une mosaïque de réponses multilatérales façonnées par des acteurs et des intérêts sous-régionaux et extérieurs qui sont rarement cohérentes ou complémentaires. Les initiatives sur mesure ne relèvent pas du cadre de l’Architecture africaine de paix et de sécurité de l’UA, qui est ancré dans les principes de subsidiarité et de complémentarité entre l’UA et les communautés économiques régionales de l’Afrique.

La manière dont les initiatives sur mesure liées à la sécurité s'intègrent dans ce paysage demeure problématique. Les pays hôtes, les États voisins et les puissants alliés sont de plus en plus attirés par la possibilité de faire le tour des différentes opérations avant de choisir celle qui vaut l’investissement. Les priorités à court terme en matière de sécurité sont souvent favorisées, au détriment des engagements plus larges visant à améliorer la gouvernance, les droits humains et l'égalité socio-économique.

Une réorientation vers les initiatives régionales sur mesure dans la lutte contre le terrorisme aura des répercussions directes sur le partenariat ONU-UA

Il y a aussi le risque de brouiller davantage les distinctions entre les opérations multilatérales de paix et les initiatives de lutte contre le terrorisme, surtout aux yeux des personnes qu'elles sont censées servir.

La manière dont l’ONU et l’UA vont gérer ces divisions aura un impact sur l’évolution de leur partenariat, mais les défis ne sont ni uniques ni insurmontables. Les quatre dernières années ont vu l'institutionnalisation croissante de ce partenariat. Après la finalisation du Cadre commun ONU-UA pour un partenariat renforcé en matière de paix et de sécurité en 2017, le Secrétaire général de l'ONU et le Commissaire de l'UA ont consenti des efforts pour renforcer les relations.

Afin de faire face aux conflits liés aux opérations de paix, le leadership continu de la Commission de l'UA et des chefs de l'ONU est crucial. Les États membres doivent soutenir cet effort en renouvelant leur engagement à travailler ensemble et à trouver un terrain d’entente sur les questions politiques et sécuritaires complexes.

Le partenariat ONU-UA ne peut se permettre de rechuter car les défis sécuritaires et socio-économiques auxquels l'Afrique se trouve confrontée ne cessent d’augmenter. Une coopération pratique sur les opérations de paix assurera non seulement le maintien de cette relation, mais elle la protégera contre l'obsolescence et la préparera à une nouvelle ère de multilatéralisme.

Daniel Forti, analyste principal des politiques, International Peace Institute, et Priyal Singh, chercheur, Opérations de paix et consolidation de la paix, ISS Prétoria

Cet article est publié grâce au programme Training for Peace (TfP), une initiative financée par le gouvernement de la Norvège. Il s’inscrit dans une série de publications portant sur le partenariat ONU-UA dans le domaine de la paix et de la sécurité, dans le cadre d’un projet commun entre l’Institut d’études de sécurité et l’International Peace Institute (IPI). Une version de cet article sera également publiée sur le site Internet du Global Observatory de l’IPI.

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Crédit photo : UNPeacekeeping Twitter

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