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Les dissensions régionales compliquent le travail de la Commission du bassin du Nil

Les différends concernant le barrage de la Grande renaissance s’ajoutent aux conflits liés aux ambitions de l'Éthiopie sur la mer Rouge.

La nouvelle Commission du bassin du Nil (NRBC) a été chargée d'aborder la question controversée de l'utilisation équitable du Nil. Cependant, en raison des tensions géopolitiques croissantes dans la région de la Corne de l'Afrique, cet objectif sera difficile à atteindre.

L'Accord-cadre sur la coopération dans le bassin du fleuve Nil (CFA) entré en vigueur le 13 octobre, a déclenché la transition de l'initiative du bassin du Nil vers le nouveau cadre de coopération. En vertu de cet accord, la NRBC dispose de six mois pour résoudre un différend concernant l'utilisation des ressources en eau du Nil.

Le retard d'une décennie dans l'application du CFA a contribué aux tensions entre les États du bassin du Nil et au différend actuel entre l'Égypte, l'Éthiopie et le Soudan au sujet du barrage de la Grande renaissance éthiopienne (GERD). Le désaccord sur le GERD se cumule à un autre conflit concernant les ambitions de l'Éthiopie d'établir une présence navale dans la mer Rouge. Ces deux différends se déroulent en Somalie, qui est aujourd'hui l'épicentre des tensions géopolitiques dans la Corne de l'Afrique.

Pays ayant un intérêt dans les ressources en eau du Nil
Pays ayant un intérêt dans les ressources en eau du Nil

Source : ISS

 

Cette problématique devant être traitée dans un délai restreint, comment la NRBC réussira-t-elle là où les efforts multinationaux précédents ont échoué ? Et la résolution du conflit permettrait-elle d'atténuer les tensions régionales plus étendues ?

La discorde sur le Nil trouve son origine dans les traités de 1929 et 1959 entre l'Égypte et la Grande-Bretagne, qui ont accordé à l'Égypte l'autorité sur les eaux du Nil, au détriment des préoccupations des pays situés en amont. Avec le soutien du Soudan, l'Égypte a usé de pressions diplomatiques, de menaces militaires et de persuasion pour maintenir ce contrôle déséquilibré. Les partenaires du développement se sont souvent ralliés à l'Égypte sur les questions liées au Nil, en préconisant des décisions consensuelles sur les projets individuels des États riverains et en maintenant efficacement le veto de l'Égypte sur l'eau.

Cette stratégie a garanti la prédominance de l'Égypte jusqu’en 2010 lorsque le CFA a été ouvert pour signature. En 2011, l'Éthiopie a commencé à construire le barrage du Millénaire, aujourd'hui appelé barrage de la Grande renaissance éthiopienne (GERD), lorsque l'Égypte était préoccupée par le printemps arabe.

L'Égypte, qui connaît un grave stress hydrique et considère le Nil comme essentiel à sa survie (voir graphique), et l'Éthiopie, qui estime que le barrage est indispensable à son développement, se sont engagées dans une rhétorique intense et des négociations sporadiques. Les deux pays ont régulièrement cherché le soutien diplomatique d'autres pays du bassin du Nil.

Le différend crée également des tensions entre le Soudan et l'Égypte lorsque le Soudan semble soutenir l'Éthiopie. La position du Soudan sur le Nil est mitigée. Il considère le barrage comme une solution potentielle aux inondations annuelles du Nil à Khartoum et comme un moyen de remédier à ses pénuries d'énergie. Mais il souhaite également remplir ses obligations en tant que membre de la Commission technique mixte permanente pour les eaux du Nil avec l'Égypte.

De même, lors du conflit frontalier entre l'Éthiopie et l'Érythrée de 1998 à 2018, l'Érythrée a utilisé ses relations avec l'Égypte pour faire pression sur l'Éthiopie. Bien qu'ils aient été moins loquaces au sujet des affrontements entre l'Éthiopie, l'Égypte et le Soudan, d'autres pays du bassin du Nil ont exprimé leur mécontentement à l'égard des accords de l'ère coloniale en signant ou en ratifiant discrètement le CFA. L'adhésion du Sud-Soudan en 2024 a été significative à cet égard.

Plusieurs tentatives de résolution ont été entreprises, notamment une déclaration de principes en 2015, des comités tripartites pour le renseignement, l'irrigation et les affaires étrangères, et la création de cadres de coopération. Un sommet réunissant trois nations a été organisé, ainsi que des discussions facilitées par la Banque mondiale et des analyses techniques au sein de l'Initiative du bassin du Nil, et même l'implication des États-Unis pendant la présidence de Trump. Cependant, tous ces efforts ont souffert des lacunes de la médiation, notamment de la partialité.

En 2018, l'achèvement du GERD était inévitable et les négociations futures devaient porter notamment sur la gestion collaborative des barrages, à laquelle l'Éthiopie s'est opposée. L'application du CFA confère à la NRBC la responsabilité de traiter cette question tout en répartissant légalement le contrôle de l'eau du Nil entre tous les pays du bassin.

Les tentatives de résolution du conflit du GERD ont souffert de partialité lors des médiations

Le conflit implique désormais l'Éthiopie, l'Égypte, l'Érythrée et la Somalie. Il concerne la souveraineté nationale, des différends relatifs aux eaux transfrontalières, des problématiques sur la mer Rouge, des différends frontaliers historiques et des intérêts mondiaux. La controverse sur le Nil va au-delà des différentes visions sur le fleuve. Elle s'intensifie lorsque les pays du bassin sont confrontés à des défis internes, comme c'est le cas actuellement pour l'Éthiopie, l'Égypte et le Soudan.

La signature inattendue par l'Éthiopie d'un protocole d'accord avec le Somaliland pour l'accès à la mer en échange d'une reconnaissance formelle du Somaliland a constitué un développement important. Bien que la revendication de l'Éthiopie concernant l'accès à la mer soit légitime, son approche a été jugée agressive par Djibouti, l'Érythrée et la Somalie, qui ont réagi par des contre-mesures diplomatiques.

L'Égypte, profitant de cette dissension, propose de remplacer les troupes éthiopiennes dans la nouvelle mission de soutien et de stabilisation de l'Union africaine en Somalie, ce qui a suscité le malaise des autres pays contributeurs de troupes et la colère de l'Éthiopie. Le 10 octobre, les chefs d'État de l'Égypte, de l'Érythrée et de la Somalie ont publié une déclaration conjointe dans laquelle ils s'engagent à sauvegarder la souveraineté de la Somalie, à collaborer sur les questions relatives à la mer Rouge et à coordonner leurs efforts diplomatiques.

Ces avancées pourraient avoir de sérieuses répercussions. Les tensions résultant de la proximité de l'Égypte avec les foyers des conflits régionaux pourraient entrainer des changements de stratégies ou inciter les factions belligérantes en Éthiopie, en Somalie (Puntland et Somaliland) et au Soudan à exploiter ces conflits.

Les querelles entre l'Éthiopie et l'Égypte en Somalie exigent une médiation multilatérale radicale

Un conflit interétatique n'est pas prévu. Mais l'Égypte a isolé l'Éthiopie en renforçant ses liens diplomatiques avec la Somalie et l'Érythrée, en soutenant implicitement les forces armées soudanaises contre les forces de soutien rapide et en entretenant des relations avec le Soudan du sud. En effet, l'Égypte participe au projet hydraulique du canal de Jonglei, sur le Nil blanc qui compensera probablement toutes les pertes sur le Nil bleu.

Cette situation intensifie les tensions entre le gouvernement fédéral somalien et les États fédéraux, et entravera les efforts de lutte contre le terrorisme dans la région. Si l'on se fie à la réputation de l'Éthiopie en matière de négociations sur le GERD, ce différend est loin d'être réglé.

La NRBC a hérité d'un conflit complexe. Le conflit sur les eaux du Nil étant associé à d'autres tensions régionales, il est peu probable que ce nouvel organe résolve la question en six mois. La querelle entre l'Éthiopie et l'Égypte en Somalie a créé une crise qui exige une médiation multilatérale radicale.

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