Audu MARTE / AFP

Les défections ne suffiront pas à briser l’EIAO

Si les défections massives ont paralysé le JAS, l’une des deux factions de Boko Haram, il est peu probable que l’EIAO connaisse le même sort.

La mort du chef de Boko Haram, Abubakar Shekau, en 2021, a provoqué des départs sans précédent de l’une des deux factions du groupe, le Jama’atu Ahlis Sunna Lidda’awati wal-Jihad (JAS). Il est mort lorsque l’autre faction, l’État islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO), a envahi sa forteresse de la forêt de Sambisa, dans l’État de Borno, au nord-est du Nigeria.

Afin de ne pas être capturé vivant, Shekau s’est fait exploser, mettant ainsi fin à onze années de leadership brutal. Des milliers de ses combattants ont alors refusé de rejoindre l’EIAO qui avait causé sa perte, et se sont rendus aux autorités des pays du bassin du lac Tchad, aux côtés de civils que le JAS avait retenus contre leur gré.

La mort de Shekau et les défections du JAS ont profité à l’EIAO qui s’est emparé des territoires, a recruté certains des combattants, s’est étendu en dehors de sa base traditionnelle du nord-est du Nigeria et a augmenté ses revenus. L’EIAO a ainsi consolidé sa position au sein de l’État islamique, ce qui en fait l’un des affiliés les plus prospères du groupe terroriste mondial. La preuve en est que le chef de l’EIAO, Abu Musab al-Barnawi, aurait accédé au Conseil de la Choura de l’État islamique.

Les autorités des pays du bassin du lac Tchad ont profité des défections massives du JAS pour tenter de l’affaiblir davantage. Des dizaines de milliers de personnes ont déjà quitté les territoires contrôlés par le JAS, et d’autres s’en vont encore, principalement au Nigeria, épicentre de la crise. Le gouvernement de l’État de Borno pilote le « modèle de Borno » qui encourage les défections et réintègre les ex-membres du JAS conformément à son approche de réconciliation communautaire.

L’EIAO est devenu l’un des affiliés les plus prospères de l’État islamique

Avant la mise en place du modèle de Borno, le Nigeria avait lancé le plus ancien programme non cinétique de lutte contre le terrorisme, l’opération Safe Corridor. Elle offre un passage sécurisé aux combattants à faible risque, situés en bas de la hiérarchie, désireux de quitter Boko Haram. Ces deux programmes s’inscrivent dans la stratégie du bassin du lac Tchad de stabilisation des zones touchées par Boko Haram. Cependant, comment les pays de la région doivent-ils à présent faire face à un EIAO reconstitué et plus fort ?

Les États du Nigeria

Les États du Nigeria

Source : Nations Online Project

En 2023, le nombre de victimes des attaques du groupe a augmenté de 27 % par rapport à 2022. En plus de s’emparer du territoire du JAS, l’EIAO a tenté de s’étendre au-delà du nord-est du Nigeria, revendiquant des attaques dans les États d’Edo, de Jigawa, de Kano, de Kogi, de Nasarawa, du Niger, d’Ondo et de Taraba. L’attaque la plus importante en dehors du nord-est a été celle de la prison de Kuje en 2022, à moins de 50 km de la présidence du Nigeria. Plus de 800 détenus, dont des dizaines de membres de Boko Haram, sont parvenus à s’évader.

Les succès de l’EIAO, soutenu par les conseils de l’État islamique, ont contribué à la promotion d’al-Barnawi au sein du groupe mondial. Depuis le retour de ce dernier à la tête de l’EIAO en 2021, le groupe s’est s’attaqué aux facteurs qui encouragent les désertions, tels que la pression militaire, la désillusion et la scission du groupe.

La dévolution du pouvoir par la restructuration de l’EIAO en quatre puis six groupes semi-autonomes entre 2021 et 2023 – forêt de Sambisa, forêt d’Alagarno (surnommée « Tombouctou ou Farouk »), Tumbumma, îles du lac Tchad, Kirenowa et Banki – a été motivée par des raisons administratives, mais aussi pour résoudre les problèmes de leadership.

L’EIAO cherche à s’attaquer aux causes des défections

Cette année, au cours de la troisième semaine du Ramadan, l’EIAO a commencé à verser des mensualités aux combattants qui ne pouvaient pas subvenir à leurs besoins, grâce à l’argent de l’État islamique. Les personnes interrogées ont déclaré à l’Institut d’études de sécurité (ISS) que les combattants célibataires recevaient 35 000 nairas (28 dollars US), les combattants mariés sans enfant 45 000 nairas (36 dollars US), et les combattants ayant plus d’une femme et des enfants environ 150 000 nairas (119 dollars US).

Certains anciens combattants qui ne sont pas satisfaits par les conditions de leur réintégration retournent à une vie de violence, comme l’ont fait d’anciens participants de Sulhu. L’ISS a rapporté comment un commandant de haut rang, Adam Bitri, a quitté un refuge du gouvernement pour s’associer à des bandits. Trois autres personnes qui l’avaient accompagné dans sa fuite ont participé à l’enlèvement en 2019 d’un chef traditionnel dans la ville natale de l’ancien président Muhammadu Buhari, dans l’État de Katsina. L’un d’eux a été tué lors de l’opération de sauvetage, tandis que les deux autres ont rejoint l’EIAO. Le groupe terroriste les a exécutés pour espionnage pour le compte du gouvernement.

Pour ceux qui passent du « côté du gouvernement », il est pratiquement impossible de faire marche arrière, car ils risquent d’être exécutés pour espionnage. Toutefois, les recherches de l’ISS montrent que certains d’entre eux s’engagent dans d’autres formes de criminalité et de violence.

Les gouvernements doivent faire mieux que de dépendre des déceptions des combattants

Pour vaincre l’EIAO, les pays concernés doivent réévaluer leurs stratégies. Les facteurs qui ont favorisé les départs massifs si souvent célébrés du JAS pourraient ne pas fonctionner dans le cas de l’EIAO, car le groupe s’efforce d’empêcher toute désertion.

Les approches gouvernementales doivent continuer à encourager les défections. Cependant, elles ne doivent pas se contenter de dépendre du mécontentement des commandants et des combattants. Il faut élaborer des stratégies qui s’attaquent au groupe sur plusieurs fronts, notamment en perturbant ses modes de financement, en bloquant les itinéraires utilisés pour le recrutement et les déplacements, et en ayant un plan clair et pratique auquel peuvent adhérer les déserteurs de l’EIAO.

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La recherche pour cet article a été financée par le gouvernement des Pays-Bas.L’ISS tient à remercier les membres du Forum de partenariat de l’Institut, notamment la Fondation Hanns Seidel, l’Open Society Foundations, l’Union européenne, ainsi que les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.
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