Les coups d'État sont de retour en Afrique
L'UA doit redoubler d'efforts pour prévenir les coups d'État en sanctionnant la mauvaise gouvernance et les tentatives des présidents de prolonger leur mandat.
Les coups d'État étaient jadis la méthode de changement de gouvernement de prédilection en Afrique. Entre 1951 et la mi-2020, plus de 90 coups d'État ont été perpétrés. Durant cette période, seuls 30 dirigeants en exercice ont été destitués pacifiquement par leurs adversaires politiques lors d'élections.
En outre, seuls 28 chefs d'État ont quitté volontairement le pouvoir après avoir accompli le nombre de mandats présidentiels prévus par la loi, explique Issaka Souaré, Directeur du programme Sahel et Afrique de l'Ouest de l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm.
En 2000, la propension à recourir aux coups d'État, au nombre de 15 au cours de la décennie précédente, a suffisamment inquiété l'Organisation de l'unité africaine (OUA) pour qu'elle adopte la Déclaration de Lomé. S'écartant radicalement de sa politique habituelle consistant à fermer les yeux sur les « affaires intérieures » des États membres, l'OUA a décrété que toute prise de pouvoir à la suite d'un « changement anticonstitutionnel de gouvernement » impliquerait une suspension du pays concerné. Dans les faits, cette disposition concernait les coups d'État militaires.
Après avoir remplacé l'OUA en 2003, l'Union africaine (UA) a exercé ce pouvoir de suspension à 14 reprises. Suite à la Déclaration de Lomé, l'incidence des coups d'État a diminué de manière régulière, passant de 15 entre 1991 et 2000, à huit au cours de la décennie suivante, puis à cinq entre 2011 et 2020. Il est toutefois difficile de savoir dans quelle mesure la Déclaration a joué un rôle dans cette réduction, étant donné que cette tendance semble s'être soudainement inversée l'année dernière.
L'Union africaine a exercé son pouvoir de suspension à la suite de coups d'État à 14 reprises depuis 2003
En moins de 13 mois à partir du 18 août 2020, quatre coups d'État ont été commis. Deux ont été menés au Mali, en août 2020 et en mai 2021, un au Tchad, en mai 2021, et un en Guinée, en septembre 2021. Cela a incité l'Institut d'études de sécurité (ISS) à se pencher sur la question : « Vers un retour des coups d'État en Afrique ? » lors d'un séminaire organisé cette semaine.
Si la réponse à cette question nécessiterait une boule de cristal, il ressort néanmoins du séminaire que, même si la tendance est positive sur le long terme, les coups d'État sont appelés à perdurer. Afin d'éviter une telle évolution, l'UA, les organisations régionales et les partenaires internationaux doivent apporter des réponses plus efficaces aux coups d'État et aux autres changements anticonstitutionnels de gouvernement. Et surtout, à ce que Souaré et d'autres participants ont qualifié de « maintien anticonstitutionnel au pouvoir ».
La première étape du renforcement de la Déclaration de Lomé, et des instruments correspondants dans les communautés économiques régionales (CER), consiste à appliquer les dispositions de manière homogène dans les différents pays, a déclaré David Zounmenou, chercheur principal consultant auprès de l'ISS.
Il a notamment évoqué la nette différence d'approche à l'égard du Mali et du Tchad. Le premier a été suspendu de l'UA et de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) après les coups d'État de 2020 et 2021, tandis que le dernier a été autorisé à conserver sa place au sein de l'UA dans l'attente d'une transition vers des élections et un régime civil.
Le coup d'État mené par Goïta en mai suggère que l'UA et la CEDEAO ont mal évalué son engagement en faveur d'un régime civil au Mali
L'UA et la CEDEAO ont levé leur suspension du Mali quelques semaines après l'annonce de la nomination des chefs d'une nouvelle administration civile de transition, sélectionnés par le chef du coup d'État, Assimi Goïta, en août 2020. Le renversement par Goïta de ces mêmes dirigeants civils en mai 2021 suggère que l'UA et la CEDEAO avaient mal évalué l'engagement de Goïta en faveur d'un véritable gouvernement civil. Comme le souligne Zounmenou, si les chefs militaires voient qu'ils peuvent prendre le pouvoir en toute impunité, les coups d'État risquent de se multiplier.
Tous les participants au séminaire de l'ISS s'accordent à dire que l'UA, les CER et les autres acteurs externes doivent avant tout s'attaquer aux raisons sous-jacentes aux coups d'État, notamment le « maintien anticonstitutionnel au pouvoir ».
Kwesi Aning, Directeur de la Faculté des affaires académiques et de la recherche au Centre international Kofi Annan de formation au maintien de la paix à Accra, estime que la baisse du nombre de coups d'État observée au cours de ce siècle doit être interprétée avec prudence. Selon lui, les prévisions doivent tenir compte d'une « mer démocratique grouillante […] d'une population de jeunes frustrés, non éduqués, à peine éduqués, sans emploi et de plus en plus inaptes au travail […] qui voient les possibilités de leur participation à la gouvernance nationale de leur pays tronquées par des personnes qui veulent conserver le pouvoir ».
La désillusion était flagrante lorsqu'elle a envahi les rues de Conakry, en Guinée, pour applaudir le colonel Mamady Doumbouya après qu'il a renversé Alpha Condé en septembre 2021. Des scènes similaires ont été observées à Bamako l'année dernière, lorsqu'une foule en liesse a accueilli le colonel Goïta, qui venait de destituer Ibrahim Boubacar Keïta.
L'UA et les CER doivent sanctionner le « maintien anticonstitutionnel au pouvoir » afin de prévenir les coups d'État
Aning et les autres participants ont convenu que l'UA, les CER et d'autres pourraient contribuer à décourager les coups d'État en ciblant les dirigeants qui s'accrochent au pouvoir au-delà de leur mandat. L'expérience d'Alpha Condé illustre parfaitement les conséquences du « maintien anticonstitutionnel au pouvoir ». Il a imposé un changement constitutionnel malvenu en 2019 visant à abroger la limite de deux mandats présidentiels, et ce, au détriment de la vie de nombreux manifestants par la suite.
Doumbouya a invoqué cet élément comme l'une des principales raisons justifiant le putsch. Comme l'a fait remarquer Souaré, il est impossible de savoir s'il s'agissait du véritable motif de Doumbouya, mais cette possibilité doit être écartée, non seulement pour son propre intérêt, mais aussi en tant que prétexte plausible pour les coups d'État.
Andrews Atta-Asamoah, chef du programme Gouvernance de la paix et de la sécurité en Afrique de l'ISS, relève que d'après la Déclaration de Lomé, les coups d'État militaires et autres prises de pouvoir violentes ne sont pas les seuls éléments susceptibles d’entraîner une suspension de l'UA. Les changements anticonstitutionnels de gouvernement incluent également « le refus par un gouvernement en place de remettre le pouvoir au parti vainqueur à l’issue d’élections libres, justes et régulières ».
Dr Atta-Asamoah a en outre noté que le cadre d'Ezulwini de 2009 de l'UA visant à renforcer la mise en œuvre des dispositions de la Déclaration de Lomé contre les changements anticonstitutionnels de gouvernement va encore plus loin. Il stipule que « les constitutions ne doivent pas être manipulées dans le but de se maintenir au pouvoir contre la volonté du peuple » et confèrent à la Cour africaine de justice et des droits de l'homme la compétence de poursuivre les auteurs de coups d'État.
Selon Dr Atta-Asamoah, l'UA doit être saluée en tant que « promotrice de normes » pour avoir établi le principe selon lequel les coups d'État sont néfastes. Cependant, les cadres visant à empêcher les changements anticonstitutionnels de gouvernement sont peu efficaces, car ils sont réactifs et non préventifs, a-t-il déclaré.
Ainsi, au lieu de répondre aux griefs qui ont déclenché le coup d'État, les interventions post facto de l'UA et des CER les mettent souvent « en opposition avec la volonté écrasante du peuple dans la rue », en particulier lorsque l'UA et les CER insistent pour restaurer le régime déchu.
Les causes profondes des coups d'État sont peut-être trop ancrées dans la réalité d'un pays pour qu'un acteur extérieur puisse exercer une influence significative. Toutefois, dans la mesure où elles le peuvent, l'UA et les CER doivent faire valoir leurs prérogatives de manière préventive, en se concentrant davantage sur la sanction du « maintien anticonstitutionnel au pouvoir » et d'autres pratiques non démocratiques, afin d'essayer de prévenir les coups d'État.
Peter Fabricius, consultant ISS
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