Les accords européens sur les migrations au Sahel doivent être révisés

Face à l’instabilité croissante de la région, l’UE doit adapter sa stratégie envers les pays partenaires.

Un mélange complexe d’insécurité, de pauvreté et de mauvaise gouvernance a fait grimper l’instabilité au Sahel cette année. L’un des effets immédiats, difficile à endiguer, est l’augmentation des migrations forcées et volontaires vers d’autres régions africaines et vers l’Europe.

Selon Médecins sans frontières, 2023 a été l’année la plus meurtrière sur la route migratoire de la Méditerranée centrale depuis 2017, avec 2 480 décès à ce jour. De nombreux Africains empruntent cette route, avec une hausse depuis 2021 de migrants en provenance du Mali et du Burkina Faso.

Pour y faire face, l’Afrique s’attaque à l’insécurité, tandis que l’Europe, préoccupée par l’augmentation du nombre de migrants, conclut des accords bilatéraux controversés avec des pays du Sahel et ses environs, dont la Libye et la Tunisie. Ce sujet provoque des débats en Europe, en particulier en Grèce, en Italie, aux Pays-Bas et en Allemagne, où la question migratoire est un enjeu politique majeur.

Depuis 2015, l’Union européenne et certains de ses États membres financent des interventions pour renforcer la capacité des États du Sahel à réguler et à contrôler les migrations, à la fois en tant que région d’origine et de transit. C’est le cas du Fonds fiduciaire d’urgence de l’UE pour l’Afrique au Sahel, avec le Niger, le Burkina Faso et le Mali comme principaux bénéficiaires.

L’Afrique s’attaque à l’insécurité, quand l’Europe est préoccupée par l’augmentation du nombre de migrants

Si les résultats varient, les recherches de l’Institut d’études de sécurité (ISS) et d’autres organismes montrent qu’ils ont été essentiellement négatifs. L’insécurité et l’instabilité augmentent, les moyens de subsistance sont perturbés, les itinéraires de migration et de contrebande se complexifient, et le contrat social entre les États et la population s’érode. Certains estiment que l’approche de l’UE alimente involontairement l’instabilité, perpétuant un cercle vicieux avec une augmentation des migrants venant du Sahel.

À la mi-novembre, malgré le froid et les pluies d’automne, on a constaté une hausse des migrants essayant de traverser la Méditerranée, à la suite d’arrivées notables aux îles Canaries en octobre et à Lampedusa en septembre. Cependant, au lieu d’ajuster sa stratégie, l’UE persiste à explorer des partenariats avec des pays prêts à collaborer pour repousser les migrants.

Dans un récent rapport de l’ISS, Alia Fakhry explore l’échec de l’approche sécuritaire multidimensionnelle de l’UE sur les migrations à l’intérieur et à l’extérieur du Sahel. En 2019 et 2020, l’Institut a averti que cette approche était problématique, en particulier au Niger, pays fragile.

Le défi actuel est de concevoir une stratégie évitant la répétition des erreurs passées, acceptée par tous les pays européens et alignée sur les objectifs de politique étrangère et de sécurité. Il s’agit notamment de préserver la paix, de renforcer la sécurité et la coopération internationales, de consolider la démocratie et l’état de droit, et de promouvoir les droits de l’homme.

Le durcissement des mesures contre l’immigration reste populaire en Europe et en Afrique du Nord

Les mesures strictes contre la migration restent populaires, aussi bien en Europe qu’en Afrique du Nord. Ainsi, les expulsions d’Algérie et de Libye vers le Sahel se sont intensifiées depuis 2016. Alarme Phone Sahara a estimé qu’au premier trimestre 2023 plus de 10 000 personnes ont été renvoyées au Niger depuis l'Algérie, poussant certains migrants à emprunter des itinéraires plus dangereux, comme celui de la Libye.

Les mesures de l’UE comprennent également des approches punitives envers les pays qui rejettent les retours et les réadmissions depuis l’Europe, ou qui ne collaborent pas pour lutter contre la migration irrégulière depuis l’Afrique.

Bien que les migrants d’Europe de l’Est et d’Asie soient plus nombreux, on ne peut nier que l’émigration irrégulière africaine vers l’Europe est en augmentation (comme le suggèrent des données récentes) et qu’il convient de s’en préoccuper. Cette responsabilité n’incombe pas seulement à l’Europe, mais également aux pays africains.

L’UE reconnaît davantage son besoin critique de main-d’œuvre et devra trouver un équilibre entre ses priorités en matière de sécurité et les voies légales pour recruter. Les pays africains et l’Union africaine doivent également mieux définir comment la migration peut contribuer au développement du continent.

L’UE devrait se concentrer sur les déplacements et promouvoir les approches par zone

Pour que cela fonctionne, il faut que l’Afrique et l’Europe se rencontrent et reconnaissent que l’accent est mis sur les symptômes de la migration, c’est-à-dire les migrants, plutôt que sur les problèmes qui la sous-tendent.

Dans le Sahel, les opportunités économiques limitées, la mauvaise gouvernance et l’instabilité, la nécessité d’investissements à plus long terme sont autant de défis qui ne s’alignent pas toujours sur les cycles électoraux quinquennaux de l’UE.

À court et moyen terme, l’approche de la migration au Sahel doit être adaptée, surtout avec l’instabilité politique qui complique les partenariats potentiels avec le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Une nouvelle stratégie devrait se concentrer sur les déplacements plutôt que sur la migration volontaire, en favorisant des approches par zone. Bien que le Sahel soit actuellement un « point chaud », il offre des leçons pour la gestion de la migration dans d’autres régions.

Ottilia Anna Maunganidze, responsable des projets spéciaux, ISS

Image : © Amanda Nero/IOM

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