L’accent mis sur le retour des migrants menace de bloquer les négociations UA-UE

L'importance accrue accordée aux retours forcés des migrants dans le nouveau Pacte européen est de mauvais augure, étant donné que ces derniers ont bloqué les discussions entre les deux continents par le passé.

Le mois dernier, la Commission européenne a dévoilé son nouveau Pacte européen sur la migration et l'asile. Les objectifs de ce nouvel instrument, qui consistent à instaurer un climat de confiance et à trouver des compromis acceptables par les 27 États membres de l’Union européenne (UE), pourraient bien être atteints au détriment des partenariats extérieurs.

En effet, le nouveau Pacte insiste particulièrement sur la question du retour des migrants, pourtant contraire à la position de l’Afrique sur le sujet. En outre, ce blocage pourrait avoir des répercussions sur les négociations de l’accord de partenariat post-Cotonou et de la Stratégie commune Afrique-UE.

En 2019, seuls 12,9 % des migrants en Europe étaient originaires d’Afrique. Dans l’ensemble, les arrivées irrégulières dans les pays de l’UE ont fortement chuté depuis l’année 2015, qui avait vu l’entrée de plus d’un million de personnes. Depuis le début de l’année 2020, 66 133 migrants sont entrés en Europe par voie terrestre ou maritime. Parmi eux, 9 % étaient originaires d’Afrique subsaharienne et 30 % d’Afrique du Nord.

Les arrivées irrégulières ayant diminué, les institutions et les États membres de l’UE ont davantage mis l’accent sur le retour des migrants qui n’ont pas le droit légal d’y résider. S'il est vrai que la migration est un sujet qui divise profondément les États membres de l’UE, l’application de la politique du retour est toutefois l’un des rares sujets faisant consensus.

Le nouveau Pacte met l’accent sur le retour des migrants, ce qui contredit la position de l’Afrique

C’est sur l’Afrique que pèse une grande partie de la pression concernant l’acceptation et la facilitation des retours. Sur les 16 pays prioritaires du nouveau cadre de partenariat de la Commission européenne de 2016, 13 sont africains. Selon le nouveau Pacte, 370 000 demandeurs d’asile en moyenne sont déboutés chaque année et un tiers d’entre eux sont renvoyés vers leur pays d’origine. Au total, seuls 5 % des retours se font vers des pays d’Afrique subsaharienne.

Le nouveau Pacte a pour objectif d’accroître le nombre de retours en renforçant les contrôles aux frontières, en signant des accords de retour avec des pays tiers et en permettant aux États membres de l’UE de faire un choix entre réinstaller des réfugiés et financer leur retour.

Un système « d’asile à guichet unique » est actuellement à l’étude. Il prévoit de mettre en place des contrôles d’identité, de santé et de sécurité auxquels il faudra obligatoirement se soumettre avant d’entrer sur le territoire. Les personnes susceptibles de se voir accorder l’asile se verraient désigner un pays de l’UE responsable de traiter leur demande. Les autres intègrent alors une procédure de demande « accélérée » traitée dans des installations établies aux frontières, en fonction de leur pays d’origine. Si leur demande est rejetée, elles seront alors renvoyées dans leur pays d’origine.

Ces deux processus prendraient 12 semaines. De manière générale, cette approche érode les régimes de protection des réfugiés et soulève de nombreuses interrogations en termes de procédure et de respect des droits de l’homme, notamment en ce qui concerne la suppression de la possibilité de faire appel en cas de rejet de la demande d’asile.

Le nouveau Pacte adopte un « système obligatoire mais souple » qui permet aux pays de faire un choix : accepter des réfugiés ou financer leur retour. Selon ce pacte, il faut faire usage de tous les outils à disposition pour imposer davantage de retours. Parmi les outils concernés, il est notamment question d’offrir 10 % d’aide au développement supplémentaire aux pays qui coopèrent et d’appliquer des mesures restrictives en matière de visas aux pays qui ne jouent pas le jeu.

L’immigration divise profondément l’UE mais les retours forcés sont l’un des rares sujets rassembleurs

L’aide au développement de l’UE doit être consacrée à aider ceux qui en ont besoin, et les mesures relatives aux visas doivent relever d’accords bilatéraux. Cette proposition contribue à transformer le système de visa révisé de l’UE de 2019 en instrument multilatéral contraignant.

L’Union africaine (UA) et la plupart des pays africains résistent à l’intensification des politiques de retour et soutiennent que les retours doivent avoir lieu sur une base volontaire. L’écrasante majorité des migrations africaines se font à l’intérieur du continent et l’Afrique travaille actuellement à la mise en place de la libre circulation, du libre-échange et à davantage d’intégration régionale.

La route de l’Est, qui relie l’Afrique au Moyen-Orient et aux pays du Golfe via le Yémen, est bien plus significative que le passage méditerranéen : 138 000 Africains l’ont empruntée en 2019. Entre 2006 et 2016, ce sont plus de 800 000 migrants et réfugiés africains qui ont traversé la mer Rouge en direction du Yémen.

Pour de nombreux pays africains, il est politiquement difficile d’accepter les retours. En décembre 2016, le Mali s’est vu offrir 160 millions de dollars américains pour coopérer sur la question du retour des migrants, mais le pays a dû se retirer de l’accord en raison du tollé général que cela avait provoqué.

À la suite de la signature d’un accord informel similaire par la Gambie en mai 2018, les médias avaient diffusé des images montrant des Gambiens expulsés d’Allemagne et rentrant au pays menottés et entravés, alors que le pays connaissait un fort taux de chômage des jeunes. Ces images avaient déclenché des manifestations de masse et le gouvernement avait finalement reculé et refusé de coopérer sur la question des retours.

La résistance de l’Afrique aux retours forcés est motivée par l’importance des envois de fonds pour les économies locales

À ce jour, seul le Cabo Verde a signé un accord formel avec l’UE relatif aux retours et aux réadmissions, tandis que la Côte d’Ivoire, l’Éthiopie, la Gambie et la Guinée ont conclu des accords informels. Rien n’indique cependant que si un pays accepte les retours forcés cela entraînera un nombre élevé de retours, ou au contraire dissuadera davantage de ses ressortissants de se rendre en Europe.

La résistance des gouvernements africains est motivée par l’importance des envois de fonds pour leurs économies respectives. En 2018, l’Afrique a reçu 46 milliards de dollars grâce à ces transferts de fonds, principalement de la part de migrants installés en Europe et en Amérique du Nord. La même année, le continent a reçu 50 milliards de dollars d’aide publique au développement et 32 milliards de dollars d’investissements étrangers directs.

L’enjeu des retours constitue donc l’un des facteurs clés de l’impasse dans laquelle se trouvent actuellement les négociations UE-Afrique. L’ancien Accord de Cotonou entre l'Union européenne et les États d'Afrique, Caraïbes et Pacifique comprenait une clause non contraignante permettant aux pays de réadmettre leurs ressortissants dont la demande d’asile avait été rejetée. L’UE souhaite aujourd’hui inclure dans le futur accord une disposition juridiquement contraignante obligeant les États à accepter les retours forcés de migrants.

L’Accord de Cotonou est arrivé à échéance en février 2020 et n’a pas été remplacé à ce jour. Les signataires africains, soit 48 des 79 États signataires, sont fermement opposés aux retours forcés. Ce différend au sujet des retours a contribué à cette impasse. L’accent mis par le nouveau Pacte sur les retours pourrait compromettre davantage les négociations.

L’amélioration des retours et des réadmissions est un point qui est également inscrit comme domaine prioritaire en matière de migration et de mobilité dans la Communication conjointe de la Commission européenne et dans les Conclusions du Conseil relatives à la Stratégie Afrique-UE. Les négociations concernant cet accord ont été reportées à 2021 en raison de la pandémie de COVID-19. En l’état actuel, la Communication et les Conclusions du Conseil ne reflètent pas suffisamment les priorités de l’Afrique, en ce qu’elles réitèrent des approches massivement axées sur les aspects sécuritaires de la migration africaine.

Les négociateurs africains ont toujours refusé l’idée de forcer des États à réintégrer leurs ressortissants et demandeurs d’asile déboutés, notamment dans le cadre du Pacte mondial pour les migrations. Il est intéressant de noter que le nouveau Pacte européen ne fait aucune mention du Pacte mondial et que ses principes relatifs à des retours sûrs et dignes respectant les droits des personnes de retour ne sont pas non plus conformes au droit et aux normes internationales.

Le nouveau Pacte reflète les priorités de l’UE, soulignant que les retours sont l’un des principaux facteurs de rassemblement entre ses États membres. L’UA et ses États membres doivent rester concentrés sur leur principale priorité, à savoir le programme d’intégration régionale de l’Afrique, qui comprend la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine et l’extension de la libre circulation des personnes sur le continent.

Tsion Tadesse Abebe, chercheuse principale, et Aimée-Noël Mbiyozo, chercheuse principale consultante, Migration, ISS

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