Les accords migratoires Afrique-Europe coûtent des vies et fragilisent la démocratie

La récente conférence organisée par l'Italie pour réduire l'immigration africaine a été marquée par l’intransigeance des chefs d’État.

La Première ministre italienne, Giorgia Meloni, n’avait pas invité les chefs d'État à la conférence du 23 juillet à Rome pour discuter d'immigration et de développement, mais plutôt en vue de les amener à se rallier à sa position intransigeante sur la question de l’immigration.

Une vingtaine de chefs d'État d'Afrique, d'Europe et du Moyen-Orient ont discuté des moyens pour « gérer le phénomène migratoire, lutter contre la traite des êtres humains et développer l'économie sur la base d'un nouveau modèle de collaboration entre États ». Parmi les pays africains présents figuraient l'Égypte, l'Éthiopie, la Libye, la Mauritanie, le Niger et la Tunisie.

Meloni a déclaré vouloir remettre en cause l'idée que l'immigration est un droit et que les frontières n'existent pas. Ce qui va à l'encontre des pactes mondiaux des Nations unies sur l'immigration et les réfugiés qui défendent les droits des migrants, des demandeurs d'asile et des réfugiés et garantissent la sécurité, l'ordre et la régularité des déplacements des populations.

Les propositions d'externalisation des frontières européennes et d'intégration des restrictions migratoires dans le financement du développement pour « s'attaquer aux causes profondes » de l'immigration rappellent l'engagement de l'Italie vis-à-vis de l'Afrique du Nord sur l'immigration. Celui-ci prévoit la cooptation des milices libyennes pour surveiller le littoral et freiner l'immigration à travers la Libye vers les côtes italiennes.

Malgré les mesures répressives, le nombre de migrants clandestins en Italie a plus que doublé

En 2022, Meloni a mené une campagne électorale d'extrême droite essentiellement axée sur un programme anti-immigration qui mettait en garde contre « l'islamisation de l'Europe ». Bien que son gouvernement ait limité le nombre de navires humanitaires et renforcé les sanctions envers les passeurs, le nombre de migrants entrés illégalement sur le sol italien a plus que doublé depuis qu'elle a pris ses fonctions.

Au moment où les dirigeants se réunissaient à Rome, 113 543 migrants avaient pénétré en Europe par voie maritime ou terrestre depuis le début de l'année 2023, ce qui représente une augmentation significative par rapport à 2022. Près de 75 % d'entre eux sont arrivés en Italie.

La conférence s'est articulée autour de quatre grands thèmes : les organisations criminelles impliquées dans la traite des êtres humains, la gestion des flux migratoires, l'aide aux réfugiés et le soutien au développement des pays des migrants. Mais l'accent a surtout été mis sur l'immigration illégale et le contrôle migratoire — en particulier de l'Afrique vers l'Europe. Pourtant, la plupart des immigrés en Europe sont originaires d'Europe et d'Asie, et non d'Afrique.

La conférence faisait suite au protocole d'accord conclu le 16 juillet entre l'Union européenne (UE) et la Tunisie, négocié par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, le Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, Meloni et le président tunisien Kaïs Saïed. Celui-ci prévoit l'octroi d'un fonds d'au moins 700 millions d'euros à la Tunisie, qui est en quasi-faillite.

Le financement du développement en échange de mesures contre l'immigration a été désastreux pour l'Afrique

Sur ce financement, 150 millions d'euros sont affectés au soutien budgétaire et 105 millions d'euros à la « gestion des flux migratoires » qui seront versés directement au Trésor tunisien. Il est peu probable qu’ils bénéficient aux 12 millions de Tunisiens. Cette décision a provoqué des réactions négatives, compte tenu de la position intransigeante de la Tunisie en matière d'immigration et, notamment, des déclarations xénophobes de son président. Quelques membres du Parlement européen affirment qu’ils fournissent à Saïed « de l'argent pour contrôler l'immigration » tout en ignorant la corruption et les violations des droits de l'homme.

Depuis plusieurs années, l'Institut d'études de sécurité et d'autres organisations mettent en garde contre la confusion entre l'externalisation des frontières et la gestion des flux migratoires par des mesures reposant essentiellement sur des contrôles de sécurité. L'octroi de fonds de développement en échange d'une coopération en matière d'immigration a eu des conséquences désastreuses pour l'Afrique. Cela revient entre autres à soutenir les milices libyennes et à anéantir les économies locales du Niger sans proposer de solutions.

Avant 2015, alors que l'immigration par bateau vers l'Europe augmentait, les stratégies des pays européens prévoyaient d'élargir les possibilités d'obtention de visas et de préserver l'accès à l'aide humanitaire pour les migrants à la recherche d'une protection. Bien appliquées, ces mesures auraient permis d'ouvrir des itinéraires réguliers et sûrs et de réduire l'immigration clandestine. Toutefois, ces propositions ont pour la plupart été retirées ou couplées à des stratégies sécuritaires.

Dans le cadre de l'accord entre l'UE et la Tunisie, l'UE a promis de faciliter l'accès à des Tunisiens hautement qualifiés grâce au « Partenariat de talents ». Déjà 300 personnes seraient concernées, avec un objectif de 700 d'ici la fin de l'année. Mais ce n'est qu'une goutte d'eau dans l'océan, compte tenu du nombre de Tunisiens qui cherchent à rejoindre l'Europe. Depuis 2021, au moins 38 750 Tunisiens ont traversé la Méditerranée, ce qui en fait la nationalité la plus représentée.

Les gardes-frontières saoudiens tueraient les migrants d'Afrique de l'Est sur la route du Yémen

Des conflits au changement climatique en passant par la violence politique, les incitations à la migration ne diminuent pas en Afrique. Pourtant, les solutions légales vont en s’amenuisant, car des législations migratoires strictes limitent l'accès aux procédures légales. Quelques jours seulement après la conférence de Rome, le gouvernement du Niger, pays de transit important pour les migrants ouest-africains, a été renversé par un coup d'État. En 2022, les gardes-frontière marocains et espagnols ont tué au moins 23 migrants africains qui tentaient de franchir l'enclave espagnole de Melilla, sur la côte marocaine.

Les naufrages font régulièrement la une des journaux. À la fin du mois de juin 2023, on dénombrait 289 enfants morts au cours de la seule année écoulée lors de la traversée de la Méditerranée. Parallèlement, sur la rive orientale de la Méditerranée, le Mixed Migration Centre affirme que les gardes frontières saoudiens tuent systématiquement les migrants d'Afrique de l'Est qui empruntent la route de l'Est depuis l'Afrique en passant par le Yémen. En 2022, un cimetière clandestin où étaient enterrés près de 10 000 migrants a été découvert au nord du Yémen, près de la frontière saoudienne.

Les responsables ne sont pas connus.

Présenter l'immigration comme une menace et prôner des mesures de restriction à tout prix est contre-productif et aggrave les conditions qui poussent les gens à émigrer. Cette politique est extrêmement préjudiciable à la démocratie, à la sécurité et aux populations.

Paradoxalement, ces stratégies ne profitent pas non plus à des pays comme l'Italie. Au cours de l'année écoulée, la pénurie de travailleurs en Italie a augmenté dans divers secteurs (principalement l'agriculture, le tourisme, l'industrie manufacturière et la construction). Elle a dû adopter de nouvelles politiques pour attirer les migrants, qui sont limitées par un système de quotas strict.

De leur côté, la plupart des migrants africains, y compris ceux qui ont été contraints de quitter leur pays et de demander l'asile, choisissent de s'installer dans les pays voisins du continent en Europe ou au Moyen-Orient.

La recherche d'un équilibre entre d’une part l'accueil d'un grand nombre de personnes déplacées de force et de l’autre l'exploitation des avantages de la main-d'œuvre immigrée et de la libre circulation est l'une des priorités de l'Afrique. Les mesures en faveur du libre-échange et de la libre circulation à l'échelle régionale et continentale s'inscrivent dans ce cadre plus large. Malgré l'attrait de « l'investissement » conditionnel, les dirigeants africains doivent rester sur cette voie.

Aimée-Noël Mbiyozo, consultante chercheuse en immigration, et Ottilia Anna Maunganidze, responsable des projets spéciaux , ISS Pretoria

Image : © AFP

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