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Le Sénégal va-t-il enfin boucler le processus de paix en Casamance ?

Pour mettre fin à 42 ans de conflit, il faut consolider les récentes avancées vers la paix.

La crise sociopolitique qui a éclaté en 1982 en Casamance, au sud du Sénégal, est le plus ancien conflit armé d’Afrique de l’Ouest. Il oppose l’État du Sénégal au Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC), une rébellion armée aujourd’hui fragmentée en trois factions principales et revendiquant l’indépendance de cette région.

Alors que des progrès importants ont été réalisés pour la résolution de ce conflit, notamment depuis 2012, et que les priorités sécuritaires semblent tournées davantage vers l’est du Sénégal, frontalière du Mali où opèrent des groupes extrémistes violents, des défis importants persistent et nécessitent une approche de gestion plus globale de cette crise.

La région de la Casamance au Sénégal
La région de la Casamance au Sénégal

Source : ISS

La stratégie de l’État du Sénégal, qui combine négociations avec les factions du MFDC et pressions militaires, d’une part, investissements socio-économiques en Casamance, d'autre part, a favorisé une dynamique de paix positive.

Les pourparlers entamés en 2020 entre le gouvernement et la faction de Diakaye ont abouti à la signature d’un accord de paix le 10 mars 2023, suivi du dépôt des armes à Mongone en mai de la même année. En décembre 2023, 255 ex-combattants du MFDC de la faction ont remis leurs armes pour destruction.

En 2021, l'armée sénégalaise a mené une offensive contre les bases du MFDC situées à la frontière avec la Guinée-Bissau. En mars 2022, une opération militaire visait les bases de la deuxième faction dirigée par Salif Sadio dans le département de Bignona, près de la frontière gambienne. Le démantèlement de ces bases et les opérations de lutte contre le trafic de bois et de drogue, principales sources de financement du MFDC, ont affaibli les factions. En août 2022, le gouvernement a signé un accord pour le dépôt des armes avec César Atoute Badiate, chef de la troisième faction située entre le sud du Sénégal et la Guinée-Bissau.

Ces interventions ont été rendues possibles grâce au renforcement des moyens des forces de défense et de sécurité et la coopération militaire avec la Gambie et la Guinée-Bissau. En raison de leur position géographique, ces deux pays servaient de base arrière à certaines factions du MFDC.

Les investissements publics en Casamance ont contribué à apaiser le conflit

Le départ de l’ancien président gambien Yahya Jammeh en 2017 et l’accession au pouvoir d’Umaro Sissoco Embaló en Guinée-Bissau en 2020 ont offert à l’armée sénégalaise une fenêtre d’opportunités face à un mouvement déjà affaibli par les querelles de leadership et l’absence de soutiens locaux et externes.

Enfin, les divers investissements du gouvernement sénégalais en Casamance constituent un des leviers du mécanisme de résolution du conflit. L’objectif est de créer des conditions socio-économiques et politiques favorables à la démobilisation progressive des combattants du MFDC. Depuis 2012, le gouvernement a mis en œuvre une politique de développement pour la Casamance, et d’autres initiatives visant à améliorer l’accès des populations rurales aux infrastructures de base et aux services sociaux, notamment dans les zones frontalières.

La tendance générale est donc caractérisée par une dynamique de paix positive en voie de consolidation reposant sur le développement économique de la région et sur l'implication de plusieurs acteurs.

Malgré ces progrès, les querelles de leadership et les désaccords sur la conduite des négociations avec le gouvernement demeurent les principaux obstacles à l’unité du MFDC et au processus de paix. Tout comme le premier cessez-le-feu en 1991, les accords de paix signés depuis 2022 ont occasionné des désaccords au sein du mouvement. Il en est de même au sein de la faction de Salif Sadio, basée dans le nord du département de Bignona, et avec laquelle les négociations n’ont pas encore abouti à la signature d’accords. De ce fait, toute reprise ou intensification des négociations devraient tenir compte de ces dynamiques.

Les querelles de leadership et les désaccords ont divisé le MFDC et bloqué le processus de paix

En outre, aucun des trois accords de cessez-le-feu (1991, 1993 et 1999) ni des deux accords de paix (2001 et 2004) qui ont été signés entre l’État du Sénégal et le MFDC n’a débouché sur un processus de désarmement, de démobilisation et de réinsertion (DDR) aussi avancé que celui initié avec la faction de Diakaye. Ce DDR est essentiel pour la réussite des pourparlers en cours avec les autres factions du MFDC. Mis en œuvre efficacement, il pourrait non seulement sécuriser ces différents processus, mais aussi servir de modèle pour les factions en négociation avec le gouvernement.

Les mines antipersonnel constituent un autre défi auquel il faut accorder une attention particulière. Ces explosifs ont fait 870 victimes entre 1988 et 2023 (610 civils et 260 militaires), selon le Centre national d’action antimines au Sénégal (CNAMS). Le dernier incident enregistré est survenu le 14 décembre 2023 lorsqu’un véhicule militaire a sauté sur une mine antichar dans le nord de Bignona, faisant quatre morts parmi les militaires et trois blessés.

Sous la houlette du CNAMS, 2 063 992 m² de terre ont été remis à disposition dans les régions de Ziguinchor, Sédhiou et Kolda. Ces opérations de déminage doivent se poursuivre, notamment au nord de Bignona, le long de la frontière avec la Guinée-Bissau, ainsi qu’à l’est du département de Goudomp.

L’absence d’accord de paix global avec le MFDC et de ressources financières et humaines nécessaires pourrait empêcher le gouvernement d’éradiquer les mines antipersonnel conformément à la Convention d’Ottawa. Leur présence est un obstacle à la pleine mise en œuvre de programmes de développement et ne favorise ni le retour des populations, ni la conduite d’activités génératrices de revenus dans les zones suspectées polluées par des mines.

Grâce au déminage humanitaire et aux opérations de sécurisation entreprises par l’armée sénégalaise, certaines localités abandonnées par les populations depuis les années 1990 commencent à se repeupler. Toutefois, ce retour s'est accompagné, malgré l’appui des services de l’État concernés, de défis liés, entre autres, à la réinsertion socio-économique et aux tensions structurées autour de la gestion du foncier et des forêts.

Alors que le processus de paix est dans une dynamique positive, il est urgent de prendre en charge ces défis dont la persistance pourrait créer d’autres foyers de crises pouvant remettre en cause les acquis enregistrés.

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Partenaires de développement
Cet article a été publié avec le soutien du Projet d’architecture et d’opérations de paix et de sécurité de la CEDEAO (EPSAO), cofinancé par l’Union européenne (UE) et le ministère fédéral allemand du Développement économique et de la Coopération (BMZ), mis en œuvre par la GIZ. Les idées exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement celles de l’UE, du BMZ et de la GIZ. L’ISS tient à remercier les membres du Forum de partenariat de l’Institut, notamment la Fondation Hanns Seidel, l’Open Society Foundations, l’Union européenne, ainsi que les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.
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