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Le monde se lasserait-il enfin des excès de Kagame ?

Après une nouvelle victoire électorale écrasante, la communauté internationale semble perdre patience face au président du Rwanda.

Paul Kagame, président du Rwanda, a remporté une nouvelle victoire écrasante de 99,18 % aux élections présidentielles, battant son précédent record de 98,79 % en 2017.

Ces chiffres sont théoriques. Les opposants politiques de Kagame n’ayant pas le droit de se présenter, Kagame a battu les deux candidats symboliques de l’opposition. Le candidat du Parti démocratique vert du Rwanda, Frank Habineza, a recueilli 0,50 % des voix, et l’indépendant Philippe Mpayimana, 0,32 %. Ses véritables rivaux, Bernard Ntaganda et Victoire Ingabire Umuhoza, ont été disqualifiés en raison de condamnations douteuses, tandis que la commission électorale a exclu Diane Rwigara, critique de Kagame et très populaire, pour des problèmes administratifs.

Kagame vient de remporter un quatrième mandat. La Constitution lui permet de se représenter et de gouverner jusqu’en 2034. En modifiant la Constitution en 2015, il pourrait rester au pouvoir jusqu’à sa mort.

De nombreux Rwandais soutiennent Kagame pour l’efficacité relative de son gouvernement et son intolérance à l’égard des fonctionnaires incompétents et corrompus, et semblent prêts à supporter son autoritarisme.

Ces victoires invraisemblables, qui rappellent les élections en Union soviétique, rendent le Rwanda et Kagame ridicules aux yeux du monde. Pourtant, cela ne semble pas le déranger, tant il est confiant dans l’approbation internationale.

Pourquoi la « Singapour de l’Afrique » n’a-t-elle pas généré une croissance économique suffisante ?

En effet, de nombreuses puissances étrangères apprécient la capacité de Kagame à transformer le Rwanda de l’après-génocide en « Singapour de l’Afrique », un État efficace pour lequel il vaut la peine de sacrifier un peu de démocratie. Kagame a pleinement profité de cette approbation internationale, devenant un partenaire fiable de la communauté internationale, surtout occidentale, en grande partie grâce à l’efficacité de son armée.

Les troupes rwandaises se sont déployées à Cabo Delgado, dans le nord du Mozambique, en juillet 2021, avant la mission de la Communauté de développement de l’Afrique australe au Mozambique (SAMIM). Les deux forces avaient pour objectif de neutraliser les insurgés djihadistes. Le président mozambicain Filipe Nyusi a confié aux Rwandais la sécurisation de l’usine de traitement de gaz de TotalEnergies à Afungi, laissant des missions moins importantes à la SAMIM. Grâce à la connexion française, l’Union européenne (UE) a débloqué environ 20 millions d’euros pour financer les opérations du Rwanda en 2022.

Le Rwanda a également été salué pour avoir fourni le plus grand contingent de soldats de la paix aux missions des Nations unies en République centrafricaine (RCA) et au Soudan du Sud. Enfin, le gouvernement conservateur britannique a remercié Kagame d’avoir acceptéde traiter au Rwanda les demandeurs d’asile au Royaume-Uni.

Cette reconnaissance internationale s’est traduite par une aide étrangère considérable, qui finance environ 40 % du budget national rwandais. On peut donc se demander pourquoi le Rwanda n’a pas généré une croissance économique suffisante, à la singapourienne, pour éviter une telle dépendance.

Les aventures militaires du Rwanda semblent aller au-delà du renforcement de la sécurité régionale. Aux côtés des Casques bleus rwandais en RCA, par exemple, un détachement rwandais aide à « renforcer les institutions tout en obtenant des concessions minières et des terres pour des projets agricoles », selon l’International Crisis Group, entre autres.

Kagame utilise son armée à l’étranger, de manière impérialiste, comme une avant-garde commerciale

La même situation semble se produire au Mozambique, où le Financial Times rapporte que Maputo a accordé le contrat de surveillance de l’usine de gaz de TotalEnergies à Afungi à une société de sécurité soutenue par le Rwanda. Le financement de l’intervention militaire du Rwanda, qui a mobilisé plus de 4 000 soldats, reste opaque, hors les 20 millions d’euros versés par l’UE.

En avril de l’année dernière, Kagame a proposé ses forces armées au Bénin pour combattre les djihadistes qui s’infiltraient depuis le Burkina Faso. Peu de détails ont été fournis sur cette collaboration, mais Kagame a déclaré : « Il n’y aura pas de limite [à ce qui] sera accompli ensemble pour relever les défis sécuritaires ».

Kagame semble utiliser son armée à l’étranger comme une avant-garde commerciale puissante, en mode impérialiste. Cela est particulièrement évident dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) où le Rwanda a pénétré pour la première fois en 1994, à la poursuite des milices et des fonctionnaires hutus responsables du génocide. Kagame utilise la menace supposée des extrémistes hutus comme prétexte à l’intervention militaire. Cependant, il est de plus en plus clair que le Rwanda a d’autres motivations, notamment commerciales, tournées vers des intérêts miniers considérables.

Le soutien militaire du Rwanda aux rebelles du M23 dans l’est de la RDC est devenu si flagrant que même Kagame ne semble plus faire d’efforts pour le dissimuler. Le groupe d’experts des Nations unies sur la RDC a formulé des critiques explicites la semaine dernière, signalant qu’entre 3 000 et 4 000 soldats rwandais combattaient aux côtés du M23. Ils utilisaient des armes sophistiquées, notamment des missiles antiaériens, pour repousser les forces qui leur étaient opposées, y compris la mission de la SADC en RDC.

La communauté internationale, ou plus précisément l’Occident, verra-t-elle enfin clair dans le comportement de Kagame ? Peut-être a-t-elle commencé à le faire ?

Le Royaume-Uni adoptera-t-il une position plus ferme après la fin de l’accord sur les demandeurs d’asile ?

Ce mois-ci, le nouveau Premier ministre travailliste britannique Keir Starmer a déclaré qu’il mettrait fin à l’accord sur l’asile conclu avec le Rwanda. Kagame avait laissé entendre que le Rwanda pourrait envisager de retourner une partie de l’argent reçu du Royaume-Uni, mais il a ensuite insisté sur le fait qu’un remboursement n’avait jamais fait partie de l’accord. Les relations entre le Rwanda et le gouvernement travailliste commencent donc sous de mauvais auspices.

« Kinshasa espère une reprise des relations entre la Grande-Bretagne et les Grands Lacs, après l’abandon de la politique d’asile. Elle espère ouvrir un dialogue avec le nouveau ministre des Affaires étrangères, David Lammy, et son équipe », déclare la journaliste britannique Michela Wrong.

Selon Wrong, Kinshasa souhaiterait que le Royaume-Uni — dont les critiques à l’égard de l’implication de Kigali dans l’est de la RDC ont été discrètes depuis la signature de l’accord sur l’asile — adopte une position plus ferme, semblable à celle des Nations unies, des États-Unis, de l’Union européenne et de la Belgique. La semaine dernière, la représentante américaine au Conseil de sécurité des Nations unies, Stephanie Sullivan, a critiqué le soutien du Rwanda au M23.

La Belgique a refusé d’accepter Vincent Karega comme ambassadeur du Rwanda cette année. En effet, celui-ci occupait cette fonction à Pretoria en 2013 lorsque Patrick Karegeya, l’ancien chef des renseignements de Kagame, dont ce dernier s’était séparé, a été assassiné à Johannesburg. D’autre part, l’UE semble hésiter à donner 40 millions d’euros supplémentaires à la mission militaire du Rwanda au Mozambique.

Cependant, il reste à voir si ces légères évolutions se traduiront par un changement de politique significatif. Y aura-t-il une réelle pression sur Kagame pour qu’il quitte la RDC, ou les intérêts de pays comme la France, et peut-être encore le Royaume-Uni, l’emporteront-ils ?


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