Le maintien de la paix de l’ONU en Afrique doit répondre à des paramètres plus stricts

Les missions ont du mal à s’orienter sur le terrain miné des politiques qui accompagnent l’objectif trop large de stabilisation des situations de conflit.

Le maintien de la paix est l’un des outils de gestion des conflits les plus importants des Nations unies (ONU), mais les décideurs politiques, les pays hôtes et les experts s’accordent à dire qu’il est en crise. Cette année a vu une augmentation des relations conflictuelles, voire hostiles, avec les gouvernements hôtes africains et, dans une certaine mesure, avec les populations dans les zones urbaines.

En République démocratique du Congo (RDC), des attaques ont été menées contre les installations de la mission de maintien de la paix de l’ONU, en raison de la perception de son inefficacité dans la lutte contre les groupes armés. Elles ont entraîné la mort de trois casques bleus et de plusieurs civils congolais. Au Mali, les relations entre les autorités militaires et la mission des Nations unies se sont envenimées au point que l’ONU n’a pas été en mesure de surveiller la situation des droits humains dans les zones où le groupe russe Wagner était déployé.

En République centrafricaine (RCA), la période de conflit entre le gouvernement et la mission des Nations unies s’est soldée par le recours à des soldats privés russes. Les soldats de la paix ont été jugés inefficaces à aider le gouvernement à restaurer son autorité. Alors que le président Faustin-Archange Touadéra s’engage dans un processus de révision constitutionnelle très contesté visant à se maintenir au pouvoir, la mission de l’ONU sera en terre inconnue.

À l’échelle mondiale, les opérations de maintien de la paix sont déployées dans des situations politiques et sécuritaires de plus en plus complexes, ce qui rend difficiles leur réussite opérationnelle et la définition de leurs objectifs stratégiques. Les missions de l’ONU ont été créées pour surveiller le respect des cessez-le-feu et des accords de paix entre deux belligérants. Les missions contemporaines se sont transformées en opérations de stabilisation visant à imposer la paix et à s’attaquer aux causes profondes des crises.

Les missions de l’ONU se retrouvent au centre du jeu politique des pays hôtes

Cet élargissement du champ d’action, souvent qualifié de mandat « sapin de Noël » a modifié le statut des missions de l’ONU. Désormais, la stabilisation multidimensionnelle ressemble aux approches pansociétales et pangouvernementales qui poussent les missions à travailler en étroite collaboration avec le gouvernement du pays hôte. Or, cela suscite souvent de l’opposition et des accusations de partialité à l’encontre de l’ONU, de la part des responsables de la société civile.

De plus, des politiciens démagogues y voient l’occasion de détourner l’attention de leurs échecs et d’utiliser l’ONU comme bouc émissaire pour tous les maux de la société. On a pu en voir des exemples, ces dernières années, à des degrés divers en RDC, au Mali et en RCA. Cela place l’ONU au centre du jeu politique dans les pays hôtes, en ce sens qu’elle représente une ressource cruciale que les acteurs sociopolitiques se disputent souvent.

Le rapport 2015 du Groupe indépendant de haut niveau sur les opérations de paix de l’ONU souligne à juste titre la primauté de la politique dans le maintien de la paix. Mais les missions de l’ONU sont-elles préparées à gérer les défis politiques auxquels elles sont confrontées dans les pays hôtes ? Sur le terrain, la plupart des missions semblent réticentes à s’engager dans les enjeux politiques de gestion des relations avec les gouvernements et les populations hôtes.

Alors que l’avenir du maintien de la paix est sur la sellette, le secrétariat de l’ONU devrait envisager d’évaluer la capacité de ses missions à naviguer à travers le terrain miné des politiques sur lequel elles opèrent. C’est d’autant plus nécessaire pour les grandes opérations dotées d’un mandat de stabilisation et qui existent depuis dix ans ou plus.

Les longues périodes passées dans un pays créent davantage de problèmes à résoudre pour les soldats de la paix

Les longues périodes passées dans un pays créent souvent davantage de problèmes à résoudre pour les soldats de la paix. Leurs succès peu connus, notamment dans les domaines humanitaire et économique, tendent à rendre les dirigeants en place moins enclins à mener les réformes nécessaires à une stabilisation durable.

L’un des aspects les plus difficiles des missions de stabilisation multidimensionnelles est l’évaluation de leurs objectifs et de leur efficacité. Il est largement admis qu’il est très complexe de stabiliser des sociétés en proie à des conflits violents ou qui en sortent. Les récents échecs en Irak et en Afghanistan devraient mettre en garde l’ONU contre les mandats de maintien de la paix trop vastes et les opérations trop lourdes.

Ces approches alimentent la croyance populaire selon laquelle les missions se substituent aux gouvernements en place, mais sans en avoir la légitimité ni la responsabilité. Cela participe des fausses perceptions qui décrivent le maintien de la paix comme une vache à lait pour le personnel de l’ONU et un mécanisme des bailleurs de fonds pour préserver leurs intérêts. Dans les contextes où la désinformation numérique alimente les sentiments anti-occidentaux en Afrique, les missions de maintien de la paix deviennent des dommages collatéraux.

Le 14 novembre, la communauté du maintien de la paix a commémoré le 100e anniversaire de l’ancien Secrétaire général des Nations unies, Boutros Boutros-Ghali, et le 30e anniversaire de son Agenda pour la paix, un texte fondateur. Le moment est venu d’adopter un nouveau cadre conceptuel. La doctrine classique d’une force non combattante a été réaffirmée, mais l’ONU doit repenser les environnements politiques et sécuritaires dans lesquels les soldats de la paix évoluent.

Les mandats élargis alimentent la croyance populaire selon laquelle les missions prennent la place des gouvernements

On peut s’inspirer de la doctrine Powell conçue par les États-Unis dans les années 1980 à la suite de la guerre du Vietnam. Cette approche a identifié des critères pour orienter le déploiement militaire américain, notamment l’intérêt vital, la pleine intention de vaincre, l’adéquation de la force aux objectifs poursuivis, le soutien de l’opinion et du Congrès américain, et l’intervention militaire en dernier recours.

Trois idées pourraient être creusées à cet égard pour le maintien de la paix. Premièrement, la portée du mandat ne devrait pas avoir plus de trois objectifs, principalement dans les domaines politique et sécuritaire. Deuxièmement, il est nécessaire de limiter dans le temps la présence de la mission de l’ONU sur le terrain afin d’éviter une complaisance interne autour du renouvellement des mandats et de contribuer à garantir une conduite professionnelle et éthique.

Troisièmement, les évaluations semestrielles devraient impliquer les parties prenantes des gouvernements et de la société civile de la nation afin de garantir un certain degré d’appropriation locale des mandats. Plus important encore, les mandats initiaux de l’ONU devraient faire l’objet d’une analyse approfondie et indépendante des contextes politiques des pays hôtes. Le suivi de l’évolution de ces contextes ne doit pas non plus être laissé aux seules Nations unies.

L’ONU devrait développer une série de mesures visant à évaluer l’acceptation locale des missions de maintien de la paix. Ces mesures pourraient servir d’outils d’alerte précoce et de guide contre les campagnes de désinformation ciblées, en particulier lorsqu’elles concernent des fonctionnaires.

Les missions de maintien de la paix sont essentielles pour faire face aux menaces qui pèsent sur la sécurité internationale. Mais il est tout aussi important de repenser leur forme pour garantir leur efficacité et leur légitimité à l’échelle locale. Cet aspect est crucial à l’heure où les jeux de pouvoir au sein du Conseil de sécurité des Nations unies augmentent la possibilité d’avoir recours au maintien de la paix pour défendre des intérêts spécifiques.

Paul-Simon Handy, directeur régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Est et représentant auprès de l’Union africaine, et Félicité Djilo, chercheuse indépendante

Image : © MINUSMA/Harandane Dicko

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