Le lourd fardeau de Chapo : restaurer le tissu social du Mozambique
Le nouveau président doit non seulement mettre fin aux violences postélectorales, mais aussi inverser l'exclusion politique et économique.
Daniel Chapo, cinquième président du Mozambique, hérite d'une nation en proie à de violentes manifestations postélectorales qui, en trois mois, ont fait plus de 300 morts et détruit des entreprises et des infrastructures sociales.
La communauté internationale, y compris la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC), a lancé un appel et a mobilisé des efforts pour résoudre la crise.
Cependant, les violentes manifestations contre les résultats des élections du 9 octobre, réprimées avec brutalité par la police, ne sont pas au cœur des problèmes du Mozambique. Elles ne sont que la face visible d'une société divisée et intolérante qui a besoin d'être réconciliée.
La crise a été provoquée par le régime autoritaire de l'ancien président Filipe Nyusi, marqué par des fraudes électorales systématiques, la persécution et l’assassinat de chefs de l'opposition, l'exclusion des partis politiques rivaux et de la société civile de la gestion des affaires publiques.
Toutefois, le problème n'est pas uniquement politique. Il repose également sur la politique économique et la répartition inégale des richesses du pays. En effet, les causes sous-jacentes de l'insurrection violente qui dure depuis près de 10 ans à Cabo Delgado (les inégalités socio-économiques, l’exclusion politique et la corruption des élites) pourraient également être à l'origine de la violence qui a suivi les élections dans les grandes villes du pays.
Les élites politiques, qui sont également des élites économiques ou qui leur sont étroitement liées, ont négligé la majeure partie de la population, en particulier les jeunes. Pendant que les enseignants des écoles publiques endurent des mois sans salaire, que les élèves étudient sans manuels et que les médecins font grève pour obtenir une augmentation de salaire, la classe politique mène une vie de luxe, s’octroyant des cadeaux et des véhicules coûteux.
Le partage du pouvoir avec l’opposition est nécessaire pour la cohésion sociale au Mozambique
Cette disparité a attisé le ressentiment des jeunes fraîchement diplômés sans emploi, des commerçants du secteur informel qui subissent les extorsions de la police et des agriculteurs dont les terres sont saisies par les sociétés minières tandis que le gouvernement reste indifférent.
Lors des élections présidentielles d'octobre 2024, les citoyens frustrés par la mauvaise gouvernance ont voté massivement pour le candidat de l'opposition dans l'espoir d'un changement. Cependant, le processus électoral n'a été ni libre ni équitable, les votes de l'opposition ayant été modifiés en faveur du parti au pouvoir.
Pire encore, 10 jours après les élections, des agents de la police ont été accusés d’avoir assassiné deux chefs de l'opposition à Maputo, alliés proches du candidat aux présidentielles, Venâncio Mondlane du parti PODEMOS. Mondlane lui-même a été délibérément pris pour cible par la police antiémeute qui a tiré des grenades lacrymogènes lors d'une conférence de presse à Maputo.
Les assassinats ciblés de membres importants de l'opposition ont caractérisé la gouvernance de Nyusi au cours de la dernière décennie, contribuant de manière significative au climat de méfiance qui a conduit aux violences postélectorales.
Au cours des manifestations généralisées contre les résultats des élections, au moins 100 membres du parti PODEMOS ont été tués par balles, la plupart à leur domicile. On soupçonne les escadrons de la mort d'en être à l'origine. À Cabo Delgado, des témoins ont déclaré que les assassins d'un chef local de l'opposition portaient des uniformes utilisés par la milice Força Local, soutenue par le gouvernement.
Les efforts de la SADC dans cette crise doivent dépasser la résolution des affrontements
Aucun de ces meurtres commis par la police, à l’encontre de dirigeants de l'opposition ou de civils, n'a fait l'objet d'une enquête. Cela ne reflète pas seulement l'incapacité du système judiciaire, mais indique que les auteurs sont protégés par ceux qui détiennent le pouvoir politique.
Après deux mois de violences, Nyusi a entamé un dialogue politique pour mettre fin à la crise. Il a organisé des réunions avec les chefs des partis politiques, mais en a exclu Mondlane qui était candidat à la présidence, une décision qui a contribué à l'échec du dialogue.
Les députés des partis d'opposition classiques (la Résistance nationale mozambicaine et le Mouvement démocratique mozambicain) ont refusé de prêter serment le 13 janvier. Cette protestation politique a démontré leur rejet des résultats des élections et l'échec du dialogue de Nyusi.
Nyusi laisse un lourd fardeau à son successeur. La première mission de Chapo doit être de reconstruire le tissu social fracturé. Il est important de mettre un terme aux manifestations postélectorales, mais il doit surtout regagner la confiance des Mozambicains et réparer une société en ruine.
Dans son discours d'investiture, Chapo a déclaré que l'harmonie sociale était sa priorité et que le dialogue avec l'opposition a déjà commencé. Il s'est engagé à ne pas relâcher ses efforts jusqu’à ce que le pays soit uni et affiche une certaine cohésion afin d’assurer le bien-être de tous.
Des efforts diplomatiques soutenus sont nécessaires pour ramener le pays sur la voie de la démocratie
La construction de la cohésion sociale doit aller au-delà de la rhétorique. Cela nécessite des actions concrètes et pragmatiques. Dans le cas du Mozambique, il s'agit notamment de partager le pouvoir avec l'opposition et les richesses avec l'ensemble de la population.
Le parti au pouvoir, le Front de libération du Mozambique (FRELIMO), gouverne seul depuis l'indépendance en utilisant systématiquement la fraude électorale. Chapo devrait envisager de nommer des ministres et des hauts fonctionnaires n'appartenant pas à son parti. Cela montrerait que, bien qu'il ait été élu au terme d'un processus frauduleux, il est prêt à partager le pouvoir avec l’opposition.
L’économie représente un autre défi pour le nouveau président. Il sera nécessaire de réduire les inégalités et de se concentrer sur le développement humain plutôt que sur l'enrichissement de l'élite dirigeante. Pour ce faire, il faudra investir dans l'amélioration de l'éducation et de la santé, et créer des opportunités d'emploi pour la majorité qui se sent exclue de la prospérité du pays.
Les profits tirés des grands projets d'exploitation des ressources naturelles, telles que le rubis, le gaz naturel et les sables minéraux lourds, doivent parvenir aux populations locales. L'incapacité de Nyusi à respecter cet engagement s'est traduite par des attaques et des actes de vandalisme contre les propriétés des sociétés minières lors des manifestations.
Les interventions de la SADC pour résoudre la crise postélectorale au Mozambique doivent viser plus haut que la résolution des affrontements. Des efforts diplomatiques soutenus sont nécessaires pour persuader le FRELIMO de ramener le pays sur la voie de la démocratie, d'envisager une option de partage du pouvoir et de mettre en œuvre une réforme électorale significative.
Sans réformes politiques et sociétales profondes, les efforts de Chapo pour réprimer les manifestations ne feront que différer le problème. La violence politique resurgira dès que l'occasion se présentera, que ce soit sous la forme d’une insurrection armée comme celle de Cabo Delgado, de manifestations publiques contre des élections frauduleuses ou tout autre événement profondément impopulaire.
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