Le G5 Sahel doit faire plus que lutter contre la terreur

La restauration de l’utilité sociale de l’État doit être une priorité dans les régions frontalières du Liptako-Gourma.

Les Chefs d'Etat du Burkina Faso, de la Mauritanie, du Mali, du Niger et du Tchad, ainsi que le président français, ont acté, lors d’un sommet tenu le 2 juillet dernier à Bamako, l’opérationnalisation de la force conjointe du G5 Sahel (FC-G5S). Son mandat est de combattre le terrorisme, le trafic de drogue et le trafic d’êtres humains dans la région.

Cette rencontre intervient quelques jours après le vote de la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, le 21 juin 2017, accueillant favorablement le déploiement de la FC-G5S. En dépit des incertitudes sur le financement de cette force, les Chefs d’État ont exprimé un intérêt à commencer par les régions frontalières du Liptako-Gourma, espace à cheval entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger.

Les Chefs d’État ont exprimé un intérêt à commencer par les régions frontalières du Liptako-Gourma

En cause, l’émergence d’acteurs armés non étatiques, notamment des groupes extrémistes violents. Les plus connus sont la Katiba Macina de Hamadoun Kouffa, alliée d’Ansar Dine au sein du Groupe pour le soutien à l’Islam et aux musulmans depuis mars 2017, opérant essentiellement dans le centre du Mali, Ansarul islam de Malam Ibrahim Dicko actif principalement dans le Sahel burkinabè et de l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) dirigé par Adnan Abou Walid Al-Sahraoui qui a mené des attaques au Burkina Faso et au Niger.

La tentation est forte de considérer l’extension de l’insécurité aux zones frontalières du Liptako-Gourma comme le résultat d’une contagion par la crise malienne. Ainsi, il n’est pas rare d’entendre des voix fustiger les « ennemis venus du Mali », reprochant à ce pays son incapacité à contrôler sa frontière, ou évoquer les complicités supposées des réfugiés maliens.

Dans les faits, l’élargissement géographique de la menace est aussi attribuable à l’exploitation des conflits locaux par les groupes terroristes pour recruter, à l’incapacité ou parfois l’inefficacité des États à intégrer ces espaces frontaliers dans les politiques nationales, et à l’absence ou au faible niveau des investissements productifs dans ces espaces.

La dégradation de la situation sécuritaire à la frontière Mali-Niger, notamment, est la parfaite illustration d’un conflit local sur lequel capitalisent les groupes terroristes pour grossir leurs rangs. Depuis le début des années 1970, à la suite des grandes sécheresses qui ont frappées le Sahel, la zone frontalière est la source de vives tensions notamment entre peuls du Niger (Tollèbè) et Touareg (Daoussahaq) du Mali sur fond de compétition pour l’accès aux ressources naturelles et d’accusations réciproques de vol de bétail.

À la suite des rébellions armées, notamment touareg, dans les années 1990, de part et d’autre de la frontière, naît une véritable professionnalisation de la violence dans la zone, donnant lieu à des confrontations sanglantes et débouchant en mars 1997 à la création d’une milice d’auto-défense peule. L’impuissance des forces de sécurité dans les zones frontalières face aux exactions commises a aussi fortement entamé leur crédibilité.


Ce sont ces tensions, auparavant instrumentalisées par le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), qui sont exploitées actuellement par l’EIGS, Ansar Dine pour recruter au sein de la communauté peule le long de la frontière nigéro-malienne. Dans un contexte marqué par une contestation des hiérarchies sociales, le rôle émancipateur joué par des groupes comme la Katiba Macina ou Ansarul islam a également permis de rallier de nombreux jeunes notamment peuls.

À leur tour, les populations se positionnent vis-à-vis de ces groupes dans l’optique de régler des différends nés des cas d’injustice ou liés à la compétition autour des ressources naturelles. D’où l’importance pour les différents États concernés d’assurer un accès équitable aux ressources naturelles ainsi qu’une meilleure distribution de la justice.

L’incapacité ou encore l’inefficacité des États à intégrer les espaces frontaliers dans leurs politiques nationales a conduit à un rejet de la puissance publique dans ces zones, la faisant apparaître comme un corps étranger. Au Burkina Faso, par exemple, les opérations successives menées par les forces de défense et de sécurité dans les régions du Nord et du Sahel avec parfois des réactions disproportionnées sur des populations civiles soupçonnées de complicité, à la suite d’attaques revendiquées par Ansarul islam, ont contribué à agrandir le fossé.

La finalité n’est pas le contrôle de l’espace mais la gouvernance du territoire

Tout cela intervient dans un contexte marqué par un sentiment d’abandon de ces régions par le gouvernement qui s’illustre par un sous-équipement mais aussi par l’inadéquation des infrastructures existantes aux réalités locales.

S’il est vrai que les populations vivant aux frontières ne se sentent pas considérées par les États, leurs représentants dans ces zones souffrent également d’une absence de moyens leur permettant de remplir leurs missions. L’enjeu pour les États est donc de se faire accepter dans des zones où ils sont restés longtemps absents ou faiblement présents tout en tenant compte du fait que la finalité n’est pas le contrôle de l’espace mais la gouvernance du territoire.

Les différentes initiatives en cours dans les pays du Liptako-Gourma, à l’image du Burkina Faso avec son programme d’urgence pour le Sahel en cours d’élaboration ou le Mali avec le plan de sécurisation intégrée des régions du Centre, constituent un pas dans la bonne direction. Des efforts supplémentaires doivent toutefois être fournis pour qu’elles s’inscrivent dans une vision à long-terme et qu’elles puissent bénéficier d’un portage politique.

En outre, il est primordial pour les États d’engager dans ces zones de véritables investissements productifs notamment dans les secteurs de l’agriculture et de l'élevage car les approches normatives pour endiguer la criminalité organisée sont insuffisantes. En effet, ces espaces frontaliers, éloignés des capitales nationales, sont considérés comme des corridors pour les divers trafics qui essaiment dans la région mais qui représentent autant de stratégies d’adaptation pour les communautés locales.

Alors que le sommet de Bamako marque une étape importante dans l’opérationnalisation de la FC-G5S, l’action collective ne doit pas éluder les efforts nationaux qui doivent être faits notamment en matière de gouvernance. Cela passe par la négociation d’un nouveau contrat entre l’État et les communautés, la restauration de l’utilité de l’État à travers l’accès aux services sociaux de base et une adaptation à la diversité des modes de vie tant sédentaire que nomade. C’est au prix d’un véritable projet politique pour ces territoires que la mobilisation, à tous les échelons, observée depuis quelque temps aura un sens et sera en mesure de produire des résultats tangibles.

Ibrahim Maïga, Chercheur, ISS Dakar

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