Commission éthiopienne de dialogue national

Le dialogue national en Éthiopie doit être reconsolidé

Une pause et un réajustement s’avèrent nécessaires vu le rejet du dialogue en cours par les principaux acteurs politiques.

Depuis le transfert du pouvoir en 2018 au Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (l'ancien parti au pouvoir) et la guerre de deux ans entre le gouvernement fédéral et les forces tigréennes, l'Éthiopie a tenté de mettre en œuvre trois mécanismes de transformation du conflit. Il s'agit de l'initiative de dialogue national ; de la justice transitionnelle et du désarmement ; de la démobilisation et de la réintégration des combattants armés.

Ces trois mécanismes se heurtent à des obstacles, mais les parties prenantes devraient peut-être privilégier la résolution des problèmes qui entravent la légitimité et la crédibilité du processus de dialogue national. Le dialogue a été lancé le mois dernier comme un premier pas vers la réconciliation.

Les principaux acteurs et organisations politiques ont rejeté le processus dès son lancement. Malgré cela, plus de deux ans après sa création, la Commission de dialogue national en Éthiopie s'est récemment attelée à élaborer l'ordre du jour. La commission prévoit de reproduire ce processus au niveau des États régionaux et de sélectionner les représentants des communautés qui participeront à la séance plénière nationale.

Ce processus se déroule sans la participation des principales organisations politiques de l’opposition. Lors du lancement du processus à Addis-Abeba, le Premier ministre Abiy Ahmed a souligné l'importance de la participation des citoyens et a exhorté l'opposition à apporter sa contribution. De fait, l'absence d'implication des principaux groupes de l'opposition compromettrait la légitimité du processus de dialogue national et de ses conclusions.

Le choix des participants et l’élaboration de l'ordre du jour semblent ignorer les tensions locales

Face à cette situation grave, la commission et le gouvernement pourraient redynamiser le dialogue national en suspendant temporairement le processus. Ils devraient réajuster leur approche, impliquer les principaux acteurs pour renforcer leur légitimité.

Le gouvernement affirme que la création de la commission a été participative, transparente et inclusive. Il accuse l'opposition de déterminisme et de s'engager dans une politique de boycott. De son côté l'opposition critique un processus initialement exclusif et fallacieux visant à légitimer les résultats prédéterminés. Certaines factions de l'opposition sont en conflit armé avec l'État. Poursuivre le dialogue national dans ce contexte ne serait pas judicieux.

Outre ces défis, au moins trois raisons interdépendantes liées au processus et à la conception justifient que la Commission du dialogue et le gouvernement temporisent et changent de stratégie.

Premièrement, les différentes parties en Éthiopie ont des interprétations contradictoires et apparemment inconciliables du passé et des aspirations futures du pays. La commission et le gouvernement doivent revoir leur analyse des causes profondes de la situation politique. La proclamation de la commission les définit comme des « désaccords entre les différents leaders politiques et d'opinion, ainsi qu'entre les segments de la société éthiopienne, sur les questions nationales les plus fondamentales ... qui couvent depuis des siècles ».

Les élites politiques concurrentes interprètent différemment des conclusions du dialogue national

La commission et le gouvernement affirment que « l'Éthiopie dialogue » plus avec les « citoyens » et moins avec les élites. Mais pour parvenir à une transformation durable, le processus de dialogue doit inclure l'élite politique. Après tout, les citoyens sont souvent mobilisés et représentés par ces élites.

Deuxièmement, la commission devrait revoir son approche dans la sélection des participants et l’élaboration de l'ordre du jour. Elle semble suivre une stratégie verticale, choisissant des participants locaux pour représenter leurs communautés, lors des réunions régionales et fédérales. Cette approche est discutable, car elle ignore les tensions locales. Elle contourne les principales rivalités intercommunales horizontales et les principaux acteurs du conflit.

Troisièmement, le regroupement des participants en blocs ne tient pas compte du fait que l'énigme politique de l'Éthiopie est enracinée dans des nationalismes et des identités concurrentes, basés sur des critères ethniques et religieux. L'identification selon des critères religieux accentue parfois les tensions ethno-régionales, de sorte que la religion ne peut pas unir des groupes au-delà des identités ethniques. En catégorisant les Éthiopiens en blocs de participants, la commission ignore ces modes d'identification concurrents et, ce faisant, l'une des causes profondes du conflit.

Le rejet du processus par les principaux mouvements politiques qui prétendent représenter les différents groupes ethniques complique la situation. Les plaintes de l'Église orthodoxe éthiopienne Tewahedo, une institution importante du pays, concernant son exclusion, reflètent l'incapacité de la commission à impliquer les groupes identitaires - qu'ils soient ethniques ou religieux - en tant que collectivité.

Si le processus est réexaminé, l'opposition devrait revoir sa stratégie de boycott du dialogue national

La Commission de dialogue national et le gouvernement fédéral estiment que le processus de dialogue est la solution pour gérer les lignes de fracture politiques du pays et parvenir à un règlement politique négocié. Cependant, l'opposition a un point de vue différent, ce qui rend impossible toute perspective de pourparlers ou de règlement politique.

Alors que la commission et le gouvernement envisagent une Éthiopie stable après le dialogue, l'opposition craint que le processus n'impose des résultats prédéterminés par le gouvernement et n’entraine un nouveau cycle de violence. Les élites politiques concurrentes semblent lire des scénarios différents.

Il est donc nécessaire de réévaluer le dialogue actuel et d'adopter une nouvelle vision pour un processus plus inclusif, transparent et participatif. Le gouvernement et la commission pourraient utiliser le processus d'Addis-Abeba comme un « projet pilote » pour réexaminer leur analyse du dilemme politique de l'Éthiopie, le rôle de l'élite politique dans le processus, ainsi que la méthode de sélection des participants et d’élaboration de l'ordre du jour.

Une pause ne doit pas être interprétée comme une dissolution de la commission ou un abandon du dialogue national. Une stratégie de communication bien planifiée pour toucher le public est essentielle pour garantir le maintien du dialogue national, car il s'agit du mécanisme le plus efficace pour la transformation du conflit.

Grâce à ce réajustement, le processus peut gagner en crédibilité et produire de meilleurs résultats. Si le gouvernement et la commission acceptent une révision, les groupes de l'opposition devraient revoir leur stratégie de boycott du dialogue national.

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