Sergent Jael Laborn, technicien de l'armée de l'air américaine

Le Bénin doit contrer la menace des engins explosifs improvisés

Les EEI, armes redoutables des terroristes, exigent des réponses adaptées et proactives face à l’évolution des modes opératoires des groupes.

Au Bénin, les groupes extrémistes recourent de plus en plus aux engins explosifs improvisés (EEI) pour entraver la mobilité et la réactivité des forces de défense et de sécurité. Ces engins sont aussi utilisés au Togo voisin.

Depuis 2021, les attaques terroristes se multiplient dans le nord du Bénin. En dépit d’une baisse des incidents liés aux EEI en 2024, ces attaques comptent parmi les plus meurtrières. L’usage de mines terrestres est aussi  rapporté.

Selon l'Armed Conflict Location & Event Data (ACLED), au moins 45 incidents impliquant des EEI ont été recensés dans le nord du Bénin depuis 2021. D’autres sources insinuent que ces chiffres pourraient être plus élevés en raison d’incidents non signalés. La dernière attaque en date, survenue le 7 novembre dans la commune de Karimana, département d'Alibori, a coûté la vie à un soldat.

Le premier incident du genre remonte au 10 décembre 2021, lorsqu'un véhicule de l'armée a heurté un EEI près de la ville de Porga, dans le département d'Atacora, blessant grièvement quatre soldats. Dès 2022, ce type d’attaques s’est progressivement étendu au département de l’Alibori.

Attaques aux EEI, Bénin, 2021-2024


Sources : Données ACLED exploitées par l’ISS

 

Outre leur expansion géographique, les cibles et les modes d’emploi des EEI au Bénin ont évolué. Initialement placés sur les routes empruntées par les convois des forces de défense et de sécurité et dans les parcs, ces engins sont aujourd'hui dissimulés dans les champs et sur les pistes empruntées par les civils. Selon l'ACLED, entre 2022 et septembre 2024, au moins 14 civils, dont quatre enfants, ont été tués par des EEI.

Deux autres modes de dissimulation de ces engins ont été documentés par ACLED. En mai 2023, un EEI placé sous le corps d'une femme décédée la veille a explosé, tuant deux hommes. Deux mois plus tard, les militaires ont désamorcé un EEI caché dans une boîte de conserve. En janvier 2024, des installations de téléphonie mobile de MTN ont été prises pour cible à Loumbou-Loumbou.

L’usage indiscriminé d’EEI ne fait pas qu'entraver les opérations des forces de sécurité et leur capacité à protéger les civils. Il engendre de multiples dommages, tant humains (morts et mutilations) que matériels (destruction de véhicules et d'infrastructures) limite la mobilité, sèment un climat de peur et de psychose, et cause des traumatismes aux civils ainsi qu’aux membres des forces de défense et de sécurité.

Les EEI visant initialement les forces de sécurité sont désormais dissimulés sur les routes et les champs civils

Les attaques à l'EEI entravent également gravement l'accès des communautés à leurs activités génératrices de revenus (champs, pâturages, marchés, etc.) et aux services sociaux de base. L’utilisation continue de ces engins pourrait limiter l'accès humanitaire aux populations touchées.

Selon des sources responsables de l'élaboration et de la mise en œuvre de mesures pour faire face à l'extrémisme violent au Bénin, le gouvernement a orienté ses efforts autour de trois initiatives principales. La première vise à renforcer les capacités opérationnelles des forces de défense et de sécurité par la sensibilisation et la formation de démineurs. Ces formations bénéficient de l’appui du Centre de perfectionnement aux actions post-conflictuelles de déminage et de dépollution (CPADD) du Bénin, et des partenaires étrangers (États-Unis, France, Allemagne et Belgique).

Le gouvernement a par ailleurs acquis et réceptionné des équipements, notamment des détecteurs de métaux compacts, des appareils de vision nocturne, des drones de surveillance, des véhicules blindés à l'avant et des kits de premiers secours. L'accent est également mis sur l'amélioration de la collecte de données et du renseignement sur le terrain.

Des campagnes de sensibilisation et d’éducation sur les risques des engins explosifs, ainsi que sur le rôle potentiel des communautés touchées dans l'alerte précoce, ont été menées au profit des populations. Ces campagnes ont été coordonnées par le ministère de l'Intérieur et de la Sécurité publique, dans le cadre d'activités civilo-militaires, ainsi que par des organisations non gouvernementales et de la société civile.

L'utilisation indiscriminée des EEI restreint la mobilité, crée la psychose et provoque des traumatismes

Enfin, en avril 2024, la Commission nationale de lutte contre la prolifération des armes légères et de petit calibre, en collaboration avec le Small Arms Survey, a organisé un atelier d'auto-évaluation du cadre, des pratiques et des procédures nationales pour prévenir et lutter contre les EEI au Bénin.

L’objectif était de permettre au gouvernement d'examiner et d’élaborer une nouvelle feuille de route en vue de l’élaboration d’une stratégie nationale globale pour la lutte contre les EEI dans le pays. Il s'agit de l'une des principales recommandations du projet de résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies d'octobre 2024 sur la menace des EEI.

Ces efforts pourraient expliquer à la fois la baisse du nombre d’incidents documentés dans le pays entre 2023 et 2024 et l’augmentation des cas d’arrestation de personnes suspectées de poser des EEI, comme le rapporte ACLED. Ils pourraient aussi expliquer l’augmentation du nombre d’engins détectés et désamorcés au cours de l’année 2024, parfois grâce aux alertes de communautés, dont le rôle dans la lutte contre cette menace est vital. Entre décembre 2021 et septembre 2023, l'armée aurait trouvé et neutralisé une cinquantaine d'engins explosifs improvisés.

Les efforts de l'État doivent être soutenus. Ils doivent avant tout s'appuyer sur l'analyse en temps réel de la menace en constante évolution pour mieux la comprendre et adapter les solutions tactiques. Cela nécessite des efforts continus pour améliorer la capacité de collecte de données et d'enquête des forces de défense et de sécurité. Le gouvernement devrait également renforcer la sensibilisation et les formations spécifiques au contexte pour les civils et les acteurs qui interviennent dans les zones affectées et à risque.

Le gouvernement pourrait mettre en place un programme de prise en charge des victimes civiles des attaques terroristes, y compris celles impliquant les EEI

En outre, il est essentiel de couper les sources d’approvisionnement des groupes en matériaux nécessaires à la fabrication des EEI. Cela passe, d’une part, par le renforcement des dispositifs de contrôle des flux illicites d’armes et de munitions au Bénin ainsi que des composants ou produits à double usage, tels que les explosifs commerciaux, les substances chimiques, l'engrais, etc. D’autre part, par un investissement continu dans la sécurisation des stocks et des magasins d’armes et de munitions dans les casernes et les postes isolés pour éviter qu’ils deviennent des cibles pour les groupes et ne constituent ainsi leur source de ravitaillement.

Pour être efficaces, ces efforts doivent s’inscrire dans une approche transfrontalière avec les pays voisins du Bénin, notamment le Burkina avec lequel le Bénin est en litige concernant la zone de Kourou-Koualou où plusieurs incidents aux EEI ont été documentés. Dans ce cadre, le partage d’informations et de renseignements entre les différents acteurs nationaux et ceux des pays affectés est essentiel. À cet effet, la mise en œuvre effective des recommandations de la réunion annuelle de coordination des commissions nationales sur les armes légères de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) pourrait ainsi renforcer la collaboration régionale.

Enfin, en plus de la loi N° 2022-28 sur la prise en charge et la protection des personnes victimes en missions commandées ou de leurs ayants droit, le gouvernement pourrait mettre en place un programme de prise en charge des victimes civiles d'attaques terroristes, y compris celles impliquant des engins explosifs improvisés. Ce programme devrait inclure entre autres un volet de soutien médical, de suivi psychosocial, de réhabilitation et de réintégration socio-économique.

De tels efforts sont nécessaires pour encourager les civils à contribuer aux efforts de l'État par le partage de renseignements et la collaboration avec les forces de sécurité dans un contexte où les attaques et représailles contre les civils sont de plus en plus courantes.

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