Le bassin du lac Tchad souffre-t-il d'un excès d'attention ?

Afin d'instaurer la stabilité et d’assurer la relance, les nombreux acteurs travaillant dans la région doivent unir leurs efforts pour répondre aux besoins des communautés.

Les réponses à l'extrémisme violent dans le bassin du lac Tchad augmentent tant en nombre qu’en nature. Les projets d'aide humanitaire, de développement et de consolidation de la paix ont connu une croissance depuis le début de la crise il y a plus de dix ans, et pourtant, les violences persistent au Cameroun, au Niger, au Nigeria et au Tchad.

Dans quelle mesure la pléthore de réponses civiles, militaires et humanitaires contribue-t-elle à prolonger la recherche de solutions durables ? Peut-on obtenir des résultats avec une meilleure scalabilité, un meilleur séquençage et une meilleure harmonisation de ces approches, très distinctes, pour faire face à l'extrémisme violent et à son impact ?

Pour endiguer la violence et faciliter l'aide humanitaire et le développement dans le bassin du lac Tchad, il faut établir un rapport durable et une coopération solide entre les militaires et les communautés. Cependant, cette entreprise est rendue difficile en raison d’une communication défaillante et d’un manque de confiance.

La méfiance entre les civils et les militaires est compliquée par les mesures punitives souvent prises par Boko Haram contre les membres de la communauté qui coopèrent avec les forces de sécurité, tandis que les soldats se méfient de ceux qu’ils accusent d’aider Boko Haram à saboter les efforts de l’armée.

Les attentes sont grandes car les acteurs locaux, régionaux et mondiaux s'efforcent d’honorer leurs engagements

De leur côté, les communautés soupçonnent l'armée d’avoir porté des accusations infondées contre des membres et collaborateurs présumés de Boko Haram, ce qui a entraîné des arrestations et des détentions arbitraires, des expulsions forcées et des exécutions extrajudiciaires. Certaines des stratégies adoptées par l’armée contre Boko Haram ont eu des répercussions inattendues qui ont renforcé la méfiance des communautés.

Par exemple, les gouvernements du bassin du lac Tchad ont tenté de briser l’approvisionnement du groupe en fournitures vitales en imposant des restrictions sur la circulation des personnes, des véhicules et même des bateaux dans certaines zones et à certaines périodes. Celles-ci ont néanmoins eu des effets dévastateurs sur les moyens de subsistance des civils.

Dans les États du nord-est du Nigeria, à savoir Borno, Adamawa et Yobe, l’interdiction du transport et de l’utilisation d’engrais solides en 2019 a paralysé des milliers de ménages, dont beaucoup d’agriculteurs qui en dépendent pour leurs cultures. Dans la région de Diffa, au Niger, l’interdiction de la culture et de la commercialisation du poivron rouge a été tout aussi débilitante.

Les différences dans la manière dont l'information est gérée et communiquée contribuent également à rendre la coopération civilo-militaire difficile. Les soldats sont réticents à partager des informations précises sur leurs stratégies contre Boko Haram, et les civils ne sont pas toujours d’accord avec l’interprétation militaire de la situation sur le terrain. Par exemple, il arrive que l’armée décrive une situation comme étant « calme » ou « sous contrôle », alors qu’en réalité, les civils sont confrontés à tous types de violences et violations, telles que des pillages et des enlèvements.

Les réponses civiles, militaires et humanitaires contribuent-elles à la prolongation de la recherche de solutions ?

Les défis de coordination entre les acteurs militaires et humanitaires affectent à la fois les entités étatiques et non étatiques. Le manque de personnel et d'équipement militaires disponibles pour escorter les missions humanitaires dirigées par le gouvernement signifie qu’une mission doit parfois être divisée en plusieurs tâches. Ceci a des implications financières, temporelles et d’urgence. Le transport d’articles humanitaires lors de plusieurs petites missions augmente les dépenses en carburant, prend beaucoup plus de temps et retarde la livraison de fournitures aux personnes qui en ont besoin d’urgence.

Dans certains cas, les militaires sont sceptiques face aux acteurs humanitaires non étatiques. L'application du principe de neutralité est un point de friction bien connu entre l’armée et le système humanitaire. Les soldats éprouvent souvent des réserves vis-à-vis des acteurs humanitaires qui aident les insurgés, que ce soit de manière intentionnelle ou non.

En 2019, l'armée nigériane a accusé des organisations humanitaires d’aider Boko Haram en lui fournissant de la nourriture et des médicaments. Certaines de ces organisations ont reçu l’ordre de fermer leurs bureaux principaux dans l’État de Borno et ont été déclarées persona non grata. Au Niger, les activités d’une organisation similaire ont été suspendues en raison d'accusations de « connexions douteuses » avec une organisation terroriste.

L'interdiction ou la suspension des activités de ces organisations limite la fourniture de l'aide humanitaire aux communautés locales, ce qui les rend plus vulnérables au recrutement par Boko Haram. Ainsi, dans l'ensemble, les tensions décrites ci-dessus contribuent à prolonger la crise.

Les soldats sont réticents à partager les informations et les civils ne sont pas toujours d’accord avec l’interprétation de l’armée

Le dialogue entre les militaires, les communautés et les organisations humanitaires est essentiel, particulièrement parce que la situation sécuritaire devient de plus en plus instable. Les pourparlers devraient être menés par le Secrétariat de la Stratégie de stabilisation régionale de la Commission du Bassin du Lac Tchad, la Force multinationale mixte et le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies.

Les représentants des organisations humanitaires locales, la Cellule de coopération civilo-militaire de la Commission du bassin du lac Tchad et la cellule de coordination civilo-militaire du Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU devraient également être impliqués.

Ces entités doivent éviter d'opérer en silos et renforcer leur communication, leur collaboration et le partage des enseignements relatifs aux bonnes pratiques. Par exemple, les interventions commencent souvent par un engagement à accorder la priorité aux intérêts des communautés, mais une surveillance inadéquate signifie que la priorité est finalement accordée à d'autres questions. Qui plus est, au-delà des chefs traditionnels, les groupes communautaires, y compris les femmes et les jeunes, devraient également être impliqués.

Les attentes sont grandes car les acteurs locaux, régionaux et mondiaux s'efforcent d’honorer leurs engagements dans le bassin du lac Tchad. Leur succès dépendra de l’efficacité avec laquelle ils collaboreront pour répondre aux besoins des communautés.

Akinola Olojo, chercheur principal, Programme Bassin du lac Tchad, ISS Dakar

Cet article a été publié grâce au soutien financier du Gouvernement néerlandais.

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