La Chine peut-elle insuffler un nouvel élan aux économies africaines ?

De nombreux pays attendent de la grande « réouverture » de la Chine une reprise dont ils ont désespérément besoin.

L’incertitude économique devrait se poursuivre à l’échelle mondiale en 2023, ce dont l’Afrique n’a guère de raisons de se réjouir. Cependant, la récente réouverture de la Chine après de longues restrictions anti-Covid-19 suscite l’enthousiasme dans la perspective d’une relance de l’économie mondiale par la demande, redonnant ainsi un peu de lumière aux sombres conjectures sur l’avenir de l’Afrique.

Les prévisions étaient dominées par les retombées de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les craintes persistantes d’une récession mondiale et un marché généralement à la baisse. La plupart des pays africains avaient également dû composer avec des taux d’intérêt plus élevés et un dollar fort qui ont fait grimper les coûts des emprunt. Ils avaient dû faire face à la crise énergétique en Europe et à la mauvaise gestion chinoise de sa politique « zéro Covid ». Ces facteurs ont fait grimper l’inflation, ce qui a eu un impact considérable sur la balance des paiements des États, les marchés financiers, le commerce et les investissements en 2022.

Mais la Chine peut-elle sortir le « joker » que de nombreux pays africains attendent désespérément ? La question reste en suspens.

L’Afrique devrait bénéficier de cette réouverture durable. L’influence la plus directe de la Chine passe par les matières premières. Le magazine The Economist note que la Chine consomme près d’un cinquième du pétrole mondial, plus de la moitié du cuivre, du nickel et du zinc affinés, et plus des trois cinquièmes du fer extrait dans le monde. Sa réouverture sera donc une aubaine pour les exportateurs de matières premières et nuira aux importateurs. Les prix du pétrole et des métaux ainsi que les volumes d’échanges devraient bondir, ce qui profitera aux budgets de l’Angola, de l’Afrique du Sud, de la Zambie et de la République démocratique du Congo.

La Chine peut-elle jouer le « joker » que de nombreux États africains attendent si désespérément ?

Il y a aussi d’autres avantages. La Chine étant l’un des principaux contributeurs au tourisme mondial, une hausse de son tourisme entraînera une augmentation du nombre de vacanciers et de visiteurs d’affaires en Afrique. Les goulots d’étranglement de la chaîne d’approvisionnement pourraient également se résorber, selon Samantha Singh-Jami, analyste Afrique à la Rand Merchant Bank : « Certains pays qui sont plus étroitement liés à la chaîne d’approvisionnement industrielle de la Chine pourraient bénéficier d’un coup de pouce, ainsi que ceux qui profitent du rôle que joue la Chine dans le développement de la chaîne d’approvisionnement du continent. »

Toutefois, il n’est pas certain que la grande réouverture de la Chine se fasse sans heurt. Il pourrait y avoir des retards importants avant d’atteindre et de stabiliser les niveaux et les modes de consommation antérieurs à la pandémie. En outre, le caractère chaotique de la réouverture a déclenché un tsunami d’infections à la Covid-19 en Chine, qui a submergé certains hôpitaux et perturbé l’activité économique.

Il existe également des risques de résurgence de la Covid-19 et de reconfinement. La possibilité que de nouveaux variants s’exportent (en raison de la reprise du tourisme chinois) est alarmante, et il est difficile de prévoir les tendances et les réactions de la Chine dans le domaine des infections. Il serait donc sage de se garder d’un optimisme excessif, compte tenu des incertitudes entourant la nature de la reprise chinoise.

Il existe également un risque que l’inflation chinoise s’étende, ce qui pourrait compromettre la croissance au lieu de la stimuler. Bien que la poussée actuelle de l’inflation soit largement due à l’offre, la perspective d’une inflation tirée par la demande pourrait ajouter une complication supplémentaire. Les décideurs politiques du monde entier sont déjà dans un équilibre précaire entre resserrement et relâchement, et se battent pour trouver la réponse budgétaire appropriée.

Dans un contexte de volatilité économique externe persistante, les États africains doivent donner la priorité à ce qu’ils peuvent contrôler

Depuis la pandémie de Covid-19, la portée diplomatique de la Chine a également changé en raison d’une politique étrangère moins ouverte et d’une plus grande concentration sur elle-même. Selon l’Economist Intelligence Unit, ce changement marque la fin de l’ère des mégaprojets et des prêts garantis par l’État. Les États africains qui en avaient tiré parti ont dû s’adapter.

Cette attitude suscite des inquiétudes chez les décideurs africains quant à l’engagement de la Chine dans l’initiative des Nouvelles routes de la soie et d’autres objectifs géostratégiques centrés sur les pays africains.

Au cours de cette période, la réputation de Beijing a également souffert en raison de sa mauvaise gestion de la Covid-19, d’allégations persistantes de diplomatie du piège de l’endettement (vivement démenties) et du racisme à l’égard des étudiants africains.

C’est dans ce contexte que le nouveau ministre chinois des Affaires étrangères, Qin Gang, a entrepris un voyage de sept jours dans cinq pays africains (Éthiopie, Gabon, Angola, Bénin et Égypte) il y a deux . Cette tournée a été perçue comme un changement subtil de stratégie et une tentative de renforcer l’influence de Beijing sur le continent. Selon Paul Nantulya, chercheur associé à l’Africa Center for Strategic Studies, le choix des pays reflète la diversité des intérêts de la Chine en Afrique, qui s’étendent aux domaines de la sécurité, de la diplomatie et du commerce.

La réouverture de la Chine intervient dans un contexte d’autres risques mondiaux, notamment l’environnement des taux d’intérêt aux États-Unis et en Europe

Bien que la tournée chinoise de janvier en Afrique soit une tradition de longue date, la visite de cette année revêt une importance particulière. Cette offensive de charme s’inscrit en effet dans le sillage du récent sommet États-Unis-Afrique de décembre et des efforts agressifs déployés par des puissances mondiales telles que la France, l’Allemagne et la Russie pour séduire les États africains.

Selon Chatham House, Beijing doit désormais concilier la réhabilitation de son image en Afrique et la protection de ses intérêts commerciaux. Le groupe de réflexion affirme : « La Chine est confrontée à un dilemme crucial, qui consiste à protéger ses investissements en Afrique tout en défendant ses intérêts stratégiques et en maintenant son image de partenaire et non de prédateur ».

Dans ce contexte, quel avenir les pays africains peuvent-ils prédire de la politique chinoise ?

Premièrement, ils doivent se montrer réalistes. Si la reprise de la croissance chinoise (en raison de la réouverture) pourrait constituer un important soutien, elle n’est pas une panacée. Il peut y avoir des avantages, à savoir une reprise de la confiance et de l’accès aux marchés, des améliorations dans les chaînes d’approvisionnement, un dollar potentiellement plus faible et une stimulation de la demande en matières premières.

Mais la réouverture de la Chine doit être envisagée parallèlement à d’autres risques mondiaux majeurs, notamment la situation des taux d’intérêt aux États-Unis et en Europe, où toute erreur de politique économique risquerait d’entraîner les économies africaines en chute libre.

Malheureusement pour l’Afrique, les dynamiques de la croissance et de la liquidité sur ces marchés ont des effets importants, notamment eu égard à l’accès aux marchés financiers. L’année dernière, les États africains ont été exclus des marchés de capitaux internationaux et les coûts d’emprunt des euro-obligations ont atteint des sommets inégalés depuis 15 ans. Le consensus actuel du marché se porte sur un ralentissement de la hausse du taux de la Réserve fédérale (la Fed), ce qui est sans doute un facteur plus important à prendre en compte, en particulier dans la perspective de plus en plus probable de défauts de paiement de la dette.

Mais, à l’inverse, tout contretemps sur la voie du resserrement de la politique monétaire de la Fed ou toute hésitation dans les prévisions de croissance de la Chine mettra à nouveau les économies africaines sur la sellette. L’Afrique ne peut se permettre d’être complaisante. L’environnement extérieur étant probablement voué à rester fragile, les États doivent continuer à accorder la priorité à ce qu’ils peuvent contrôler : l’intégration régionale, l’industrialisation et l’innovation. Outre la diversification des modèles et des partenaires géopolitiques et l’attraction d’investissements directs étrangers, ces éléments doivent rester les pierres angulaires de l’élaboration de politiques efficaces.

La réouverture de la Chine pourrait entraîner moins de dommages économiques cette année que prévu. Mais les conditions économiques demeurent fragiles et des risques importants subsistent. Le dragon chinois pourrait bien insuffler un nouvel élan aux économies africaines en difficulté, mais les responsables politiques devraient rester prudemment constructifs plutôt que de faire preuve d’une exubérance irrationnelle.

Ronak Gopaldas, consultant à l’ISS, directeur de Signal Risk et professeur au Gordon Institute of Business Science

Image : © Michael Tewelde/AFP

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