L’opération séduction de Blinken en Afrique

Les messages constructifs du secrétaire d’État américain laissent entrevoir un réajustement des relations entre les États-Unis et l’Afrique qui n’a que trop tardé.

La tournée éclair du secrétaire d’État américain Antony Blinken en Afrique, la semaine dernière, était intéressante à plusieurs titres, et notamment pour son calendrier. Elle a suivi de près la visite du ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, dont l’objectif évident était de consolider les relations stratégiques et de rallier des soutiens à la guerre en Ukraine.

Cette opération séduction des États-Unis, avec des visites en Afrique du Sud, en République démocratique du Congo et au Rwanda, intervient à un moment où les grandes puissances renforcent leur engagement en Afrique dans un contexte mondial marqué par l’exacerbation de la concurrence géopolitique et géoéconomique. Ce voyage s’inscrivait donc, implicitement, dans l’idée d’une nouvelle guerre froide et du rôle que pourrait jouer l’Afrique dans cette équation.

Blinken s’est heurté à plusieurs défis immédiats : contrer le ressentiment persistant envers les États-Unis et restaurer sa crédibilité, montrer que l’attitude et les intentions des États-Unis ont changé et nouer des relations avec certains alliés africains importants, mais frileux, sur le plan stratégique.

Cette tournée s’est démarquée par trois aspects : sa franchise, son message et sa stratégie. Tout d’abord, la teneur des échanges a contrasté avec les banalités qui caractérisent généralement ces visites. Au Rwanda, Blinken n’a pas esquivé les questions épineuses des violations des droits humains et du procès de Paul Rusesabagina, le dissident de l’Hôtel Rwanda.

De plus en plus de dirigeants africains refusent désormais de se laisser intimider ou dicter leur conduite

En Afrique du Sud, Blinken a abordé plusieurs sujets délicats avec la ministre des Relations internationales Naledi Pandor, notamment le point de vue de Pretoria sur l’hypocrisie américaine à l’égard des valeurs démocratiques, du paternalisme et du conflit entre la Russie et l’Ukraine. Les échanges se sont révélés d’une honnêteté rafraîchissante, plutôt rare dans les milieux diplomatiques. Il était important de conserver la confiance d’alliés historiques qui se sont récemment montrés critiques à l’égard des États-Unis.

Le discours musclé de Pandor reflète l’esprit belliqueux qui règne dans une grande partie de l’Afrique. De plus en plus de dirigeants africains refusent désormais de se laisser intimider ou dicter leur conduite, surtout par un pays dont la légitimité morale a reculé ces dernières années.

La politique étrangère américaine subit le contrecoup de l’insularité créée par Trump, aggravée par le chaos général de son administration et l’affaiblissement des institutions multilatérales. La thésaurisation des vaccins et l’attitude de l’Occident face au conflit ukrainien ont davantage terni l’image de Washington auprès de nombreux pays africains.

Les possibilités de partenariat se multiplient et les nations africaines ont de plus en plus le sentiment de pouvoir influer sur les questions mondiales, ce qui oblige Washington à modifier radicalement son approche. Cette situation explique le deuxième élément marquant de la tournée de Blinken : son message. Abandonnant l’alarmisme caractéristique de la « diplomatie de cow-boy » déployée par l’administration Trump, Blinken a utilisé un langage constructif et affirmatif pour tenter de rallier les Africains à sa cause.

La nouvelle administration américaine semble avoir compris l’importance de respecter les Africains et leur pouvoir d’action

L’adoption d’un message plus positif et moins condescendant laisse supposer que les Américains ont finalement compris l’état d’esprit de leurs interlocuteurs. Au cours de sa tournée, Blinken a évoqué la puissance de l’Afrique en tant que « force géopolitique », a insisté sur la nécessité d’établir « un partenariat d’égal à égal » et a souligné l’importance du « choix » pour les Africains.

L’idée d’une guerre froide ayant soulevé la colère des responsables politiques et des diplomates africains, il a sciemment évité de présenter l’Afrique comme un terrain d’affrontement stratégique dans la compétition entre les États-Unis et la Chine.

À la place, Blinken a mis l’accent sur l’élaboration d’une vision en accord avec les intérêts africains et sur le positionnement des États-Unis comme un « partenaire de choix ». La nouvelle administration semble avoir compris l’importance de respecter les Africains et leur pouvoir d’action – deux aspects qui ont cruellement fait défaut lors des précédentes initiatives américaines de partenariat avec l’Afrique.

Ce radoucissement et cette prise de conscience se sont révélés efficaces et ont été bien accueillis dans différents milieux. Comme l’a écrit sur Twitter Tibor Nagy, ancien sous-secrétaire d’État américain aux affaires africaines, Blinken a touché juste : « Il n’est pas question de la Chine, de la Russie ou même des États-Unis, mais de l’Afrique et de ses objectifs, en particulier de sa jeunesse. La politique américano-africaine doit cesser de regarder le continent dans le rétroviseur et aller de l’avant ».

La visite de Blinken était un exercice de relations publiques indispensable, mais elle ne suffira pas à changer la donne

La nouvelle stratégie américaine pour l’Afrique est le troisième élément marquant de cette visite. Elle entend positionner les États-Unis comme le partenaire privilégié du continent en présentant une vision et des valeurs claires pour l’avenir. Selon la Maison-Blanche, la nouvelle stratégie reposera sur quatre piliers : la souveraineté et l’indépendance des pays africains ; la promotion et la défense de la démocratie ; l’adaptation de l’Afrique à la crise climatique ; la relance économique post-COVID-19.

« Cette stratégie reflète la complexité de la région, sa diversité, son pouvoir d’agir, et se concentre sur ce que nous ferons avec les nations et les peuples africains, et non pour eux », a déclaré Blinken à l’université de Pretoria.

Comme on s’y attendait, le volet économique de la stratégie cible les domaines traditionnellement prioritaires pour les États-Unis, à savoir le commerce et les investissements tirés par le secteur privé. L’initiative Prosper Africa, lancée par l’administration Trump, a été réactivée en parallèle de l’initiative Build Back Better World, réponse des États-Unis à la nouvelle route de la soie de la Chine.

Zainab Usman, de la Fondation Carnegie pour la paix internationale, note que la nouvelle approche du changement climatique est à la fois nuancée et bien conçue, et qu’elle peut favoriser une vague de développement et d’investissements en Afrique. Cependant, la stratégie américaine présente encore des limites manifestes. Ainsi, malgré les efforts déployés pour en réduire l’importance, l’une des priorités de Washington reste d’endiguer la puissance de la Russie et de la Chine. L’approche en matière de migration et de sécurité comporte également des lacunes évidentes.

Dans son ensemble, pourtant, cette stratégie marque une nette transition de la « négligence pernicieuse » pratiquée par l’administration précédente, selon les termes de Guillaume Doane, de 35°Nord, vers un engagement réel. Si l’on ajoute le récent sommet des affaires États-Unis-Afrique et la tenue prochaine du sommet des dirigeants États-Unis-Afrique (pour la première fois depuis près de dix ans), la tendance est largement positive.

Est-ce l’avènement d’une nouvelle ère dans les relations entre les États-Unis et l’Afrique ? Bien que les signes soient prometteurs, il est encore trop tôt pour le dire.

Peter Fabricius, consultant à l’Institut d’études de sécurité, partage cet avis : « Si Blinken a touché juste, il est probablement prématuré d’affirmer qu’il a remis à plat les relations avec le continent. Sans doute a-t-il effacé le goût amer des années Trump, bien que les Africains aient compris l’aberration de cette administration. Cependant, bon nombre de pays africains entretiennent avec la Chine et la Russie des relations qui puisent dans des racines profondes sur les plans historique, idéologique et économique. Les éloigner de ces puissances et gagner leur confiance sera une gageure pour les États-Unis », a-t-il déclaré à ISS Today.

La visite de Blinken était un exercice de relations publiques indispensable, mais elle ne suffira pas à changer la donne. Des progrès indéniables ont été réalisés, tant sur le fond que sur la forme. Il faut les considérer comme une étape importante vers un réajustement des relations entre les États-Unis et l’Afrique qui n’a que trop tardé.

Ronak Gopaldas, consultant à l’ISS, directeur chez Signal Risk et CAMM Fellow au Gordon Institute of Business Science

Image : © State Department Photo/Freddie Everett/ Public Domain

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