L’Afrique de l’Ouest se mobilise contre l’insécurité maritime
Les activités récentes menées par les États membres de la CEDEAO indiquent la détermination de la région à freiner l'insécurité maritime.
« L’Afrique de l’Ouest est sur la bonne voie pour sécuriser et tirer le meilleur profit de son économie maritime ». Ces mots sont de Baye Meissa Khoule, capitaine de vaisseau de la marine sénégalaise et président des travaux d’un groupe d’experts ouest-africains qui a récemment validé un plan d’actions prioritaires pour la mise en œuvre de la Stratégie maritime intégrée (SMI) de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
Les 27 et 28 juillet à Abuja, Nigéria, 30 délégués issus des 15 États membres de la CEDEAO ont passé en revue la stratégie maritime régionale et en ont tiré 20 activités à mettre en œuvre entre 2016 et 2020.
Ces activités vont au-delà du cadre de la sûreté maritime et s’étendent à d’autres domaines clés tels que la gouvernance, l’économie, l’environnement, l’enseignement et la recherche.
L’une d’entre elles est l’adoption d’un code maritime commun qui fera suite à une évaluation des régimes juridiques maritimes des pays de la région. Le renforcement et l’harmonisation de ces régimes devraient être une réponse aux questions d’impunité et de faiblesse des réglementations relatives à la répression des actes illicites commis en mer, à la protection des gens de mer et à l’indemnisation des victimes en cas de pertes ou d’avaries aux marchandises.
La commission de la CEDEAO doit encourager les États membres à ratifier les conventions maritimes internationales majeures
En plus du code maritime en projet, les experts ont souhaité que la commission de la CEDEAO encourage les Etats membres à ratifier les principales conventions maritimes internationales et à adopter des textes d’application pour les rendre obligatoires au niveau national. Les délégués ont aussi proposé des activités visant à promouvoir l’économie maritime et la sécurité alimentaire. Dans cette perspective, des mesures de conservation des ressources halieutiques, de lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée et de développement de l’aquaculture ont été prévues dans le plan d’action.
Les experts ont notamment suggéré la création d’aires marines protégées pour le repos des espèces marines et leur reproduction. Ils ont aussi souhaité que les États qui veulent créer des pavillons de complaisance (qui permettent à un navire de prendre la nationalité d’un pays autre que celui de son propriétaire) pour des raisons économiques, en excluent les navires de pêche qui sont parfois utilisés pour masquer les trafics illicites de drogue et de migrants.
Attirant l’attention sur les effets néfastes de la dégradation de l’écosystème, les experts ont en outre proposé que tous les 12 pays côtiers de la région se dotent presqu’immédiatement de structures de prévention et de lutte contre la pollution marine. Aussi, conseillent-ils qu’à l’horizon 2020, au moins une station de réception et de traitement de déchets liquides soit construite dans un port de la région.
En août 2006, le Probo Koala, un navire battant pavillon panaméen et géré par la compagnie néerlando-suisse Trafigura avait déversé plus de 500 mètres cubes de déchets toxiques en plusieurs endroits de la ville d’Abidjan, la capitale économique ivoirienne. D’après des rapports officiels, l’incident avait fait plus de 15 morts et 100 000 intoxiqués dont l’indemnisation n’est pas encore terminée. Si le port d’Abidjan ou un autre port de la région était doté d’une station de déchets liquides, la catastrophe du Probo Koala aurait pu être évitée. Ce projet est donc primordial si on veut prévenir de telles catastrophes. Etant donné son coût que l’on estime élevé, le projet devrait être raisonnablement réalisé à travers un partenariat public-privé.
Au moins une station de réception de déchets liquides devrait être construite dans un port maritime de l’Afrique de l’Ouest d’ici 2020
D’autres activités prioritaires portent sur une évaluation de la sûreté des ports, la promotion du tourisme maritime et l’appui aux centres de formation maritime d’excellence de la région. Comme ultime étape, le conseil des ministres de la CEDEAO sera sollicité pour entériner les conclusions de la réunion afin de les rendre opposables aux Etats membres.
La CEDEAO entend ainsi continuer sur sa lancée de mise en œuvre de sa stratégie maritime après l’adoption de ce document le 29 mars 2014. L’organisation régionale a déjà réalisé d’énormes progrès dans la construction de son architecture de sûreté maritime. Elle a notamment rendu opérationnel le centre multinational de coordination de sa zone pilote dite Zone E à Cotonou au Bénin qui comprend le Nigéria, le Togo, le Bénin et le Niger. Des préparations sont en cours pour l’installation, avant la fin de l’année, d’un centre similaire à Accra au Ghana pour la zone F composée du Ghana, de la Côte d’Ivoire, du Liberia, de la Guinée, de la Sierra Leone et du Burkina Faso.
Isaac Armstrong, chef par intérim de la division Sécurité régionale de la CEDEAO, se dit optimiste pour l’ouverture prochaine du Centre régional de sécurité maritime de l’Afrique de l’Ouest (CRESMAO) basé à Abidjan, qui va assurer la coordination des activités des trois zones maritimes. Selon Armstrong, quelques difficultés se poseraient encore pour le fonctionnement de la zone G comprenant le Sénégal, la Gambie, la Guinée, le Cap Vert et le Mali. Cette dernière n’a pas encore de pays hôte. Il est néanmoins à espérer que le Sénégal qui assure actuellement la présidence de l’organisation accepte de l’accueillir.
Le Nigéria affiche une réelle volonté politique pour venir à bout des menaces maritimes
Les États membres entreprennent aussi un certain nombre d’actions allant dans le sens de la protection des économies maritimes. Le Nigéria en particulier, depuis l’investiture du président Muhammadu Buhari en mai dernier, affiche une réelle volonté de venir à bout des problèmes comme le trafic illicite du pétrole, la piraterie et le vol à main armée sur les navires. Les nouvelles autorités ont par exemple interdit d’activité dans les eaux nigérianes 113 navires pétroliers suspectés d’être impliqués dans des activités illicites.
Des opérateurs de raffineries illégales sont souvent arrêtés après le remplacement du directeur général de la Nigerian National Petroleum Corporation, la société publique qui gère les intérêts de l’État dans l’industrie pétrolière nationale. Le chef d’Etat major de la marine a été également remplacé dans le cadre d’un mouvement général de renouvellement visant des dirigeants et officiers militaires.
Buhari envisage aussi des enquêtes à l’étranger où des autorités de l’ancien régime dont des anciens ministres auraient des comptes bancaires alimentés grâce aux activités illicites dans le secteur pétrolier.
Ces décisions semblent déjà donner des résultats. Le mois dernier, la marine nigériane a annoncé une forte réduction des pertes dues au vol du pétrole de 2,4 millions à 300 000 barils par mois. Dans ce même registre, la Joint Task Force, une force mixte, a annoncé la destruction de raffineries illégales, la saisie d’armes et l’arrestation de présumés voleurs à main armée ou de pirates. Il est à souhaiter que ces actes apparemment salutaires ne cachent pas de règlements de comptes contre des adversaires politiques.
Toutes ces actions menées en Afrique de l'Ouest sont le signe d’une détermination à endiguer l'insécurité maritime. Pour parvenir à cette fin, le plan d'actions prioritaires devrait être approuvé et mis en œuvre dans les délais prévus et les États membres devraient continuer à lutter ensemble contre les menaces maritimes.
Barthélemy Blédé, chercheur principal, division Gestion des conflits et consolidation de la paix, ISS Dakar