L’Afrique au G20 : enjeux et conditions pour une participation signifiante

L’adhésion à ce forum mondial pose des défis politiques, culturels et techniques à une UA jusqu’ici relativement repliée sur elle-même.

Récemment, plusieurs acteurs de la scène internationale se sont exprimés en faveur d’une représentation de l’Union africaine (UA) au sein du Groupe des 20 (G20), un forum de coopération économique entre pays industrialisés. Cette démarche témoigne d’une reconnaissance appréciable de l’importance stratégique de l’Afrique et de l’UA en particulier.

Lors du sommet de l’UA en février, les dirigeants africains ont convenu que l’UA représenterait le continent au sein du G20, aux côtés de l’Afrique du Sud en tant que membre à part entière.

Les efforts en faveur de la représentation de l’Afrique dans les instances de gouvernance mondiale, formelles et informelles, sont de plus en plus soutenus. La plupart des membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies se déclarent également favorables à une représentation permanente de l’Afrique.

Reste à savoir si l’UA et ses États membres sont prêts à s’engager pleinement dans le G20, une instance où la communauté internationale discute des solutions à apporter aux défis économiques et de développement du monde, au-delà des seuls problèmes de l’Afrique.

La représentation de l’Afrique dans la gouvernance mondiale connaît un soutien croissant

Les pays africains justifient souvent leur quête de représentation au sein des organes de gouvernance mondiale en invoquant l’équité, l’inclusivité et une prétendue injustice historique. À juste titre, mais avec un PIB collectif comparable à celui de la France, l’Afrique ne dispose pas d’un grand pouvoir de coercition. Une participation substantielle nécessite des changements majeurs dans le fonctionnement de l’UA, notamment dans la répartition des responsabilités entre la Commission de l’UA et les États membres.

Intégrer une instance aussi importante que le G20 exigerait de l’UA qu’elle définisse des orientations claires sur des enjeux mondiaux qu’elle n’a encore jamais abordés en raison du caractère étranger de ces enjeux à l’Afrique. Par exemple, quelle est la position de l’UA sur le programme nucléaire de la Corée du Nord ? Quelle est sa position sur les problèmes découlant de la dislocation de l’empire soviétique ? Et comment l’Union africaine parviendra-t-elle à définir une position africaine sur des sujets qui opposent ses 54 membres, tels que l’accréditation d’Israël auprès de l’Union africaine ?

Devenir membre du G20 serait un défi politique, culturel et technique pour une organisation relativement repliée sur elle-même. L’UA devrait mettre en place des mécanismes de travail permettant - ou obligeant - ses membres à adopter les positions sur lesquelles ils se sont mis d’accord lors des sommets. Or, tel n’est pas le cas actuellement. Par exemple, le Sahara occidental fait partie des États membres de l’UA alors qu’il n’est reconnu que par un tiers d’entre eux.

L’adhésion de l’UA au G20 pose de nombreux défis politiques. Ce serait la première fois qu’une organisation intergouvernementale est invitée à rejoindre un forum mondial tel que le G20. Ce privilège n’a jamais été accordé à l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, à la Ligue arabe ou à la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes. Jusqu’à présent, seule l’Union européenne (UE) a été pressentie et, contrairement aux autres, cette dernière est une organisation supranationale.

L’UA doit abandonner la règle du consensus qui exclut le vote du processus décisionnel

Sachant que les États membres de l’UE ont convenu de transférer certains de leurs droits souverains à l’Union, celle-ci a adopté un ensemble de lois et de prescriptions, communément appelé « acquis communautaire ». Cet acquis définit les modalités de prise de décision collective, qui requièrent parfois un vote.

Étant une organisation intergouvernementale dont les États membres se méfient parfois de la présidence de la Commission, l’UA devrait élaborer des procédures permettant à la Commission de prendre des initiatives sur des questions globales. À terme, cette démarche contribuerait à modifier la culture politique de l’UA et donnerait à la Commission et à son président une plus grande marge de manœuvre.

L’UA devrait également rompre avec la règle du consensus, non écrite mais profondément ancrée, qui exclut le vote du processus décisionnel. Les sondages sont un moyen précieux de créer des majorités tout en tenant compte des opinions des minorités. Le processus oblige les acteurs à négocier, à nouer des alliances et à faire des compromis pour parvenir à un consensus viable. Le recours aux votes à la majorité qualifiée protège souvent les petits et moyens pays, ainsi que les puissances régionales, qui craignent d’être mis en minorité.

Si elle souhaite participer pleinement au G20, la présidence de l’UA aura probablement besoin d’une équipe d’experts dirigée par un sherpa. Cette équipe sera chargée d’étudier et d’élaborer les positions africaines sur les questions économiques et de développement au niveau mondial. Le rôle du sherpa est essentiel au sein du G20 et sera déterminant pour l’UA.

L’adhésion de l’UA au G20 appelle à une réflexion sur son rôle d’acteur international

La participation significative de l’Afrique aux organes de gouvernance mondiale dépend des ressources que les pays africains sont prêts à consacrer à ces forums. Mais au-delà de l’éternelle question du financement de l’UA, la Commission de l’UA a besoin des ressources humaines adéquates pour la planification stratégique.

De plus, afin de soutenir efficacement le président de l’UA au G20, les critères de recrutement de la Commission devront davantage s’appuyer sur une vision stratégique des objectifs de l’UA que sur la représentation géographique. Puisque l’équipe du président au G20 évoluera sur la scène mondiale, le recrutement à ces postes de haut niveau non élus devrait répondre aux normes professionnelles les plus strictes.

Le projet d’adhésion de l’UA au G20 appelle à une réflexion approfondie sur le type d’acteur international que l’UA souhaite être. Les États africains doivent définir leurs intérêts communs ainsi que les principes et les valeurs qu’ils souhaitent promouvoir.

La guerre en Ukraine a mis à l’épreuve la cohérence du continent sur les principes fondamentaux énoncés dans l’Acte constitutif de l’UA et la Charte des Nations unies. On peut craindre que les opportunités de responsabilités accrues au niveau mondial ne profitent finalement pas à l’Afrique.

Paul-Simon Handy, directeur régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Est et représentant auprès de l’UA et Félicité Djilo, analyste indépendante

Image : © Ludovic MARIN/AFP

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