AGOA : en marche ou en péril ? Les enjeux pour l’Afrique
L’AGOA expire en 2025 et le climat politique de Washington semble indiquer qu’une approche à l’ancienne ne suffira probablement pas.
Publié le 19 septembre 2024 dans
ISS Today
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L’avenir de la loi sur la croissance et les opportunités économiques en Afrique (AGOA) se fait de plus en plus incertain alors que la politique industrielle des États-Unis prend une tournure plus nationaliste et sécuritaire, en réponse notamment à l’évolution des priorités géopolitiques, commerciales et de politique intérieure du pays.
Créée en 2000, l’AGOA offre un accès en franchise de droits au marché américain pour certains produits des pays d’Afrique subsaharienne éligibles, afin d’encourager la croissance économique et de renforcer les relations entre les États-Unis et l’Afrique. Cependant, les tendances actuelles et futures de la politique américaine pourraient modifier la trajectoire de l’AGOA, nuisant ainsi aux économies du continent.
Les décideurs africains s’inquiètent de plusieurs tendances.
Le premier point concerne l’évolution de la politique industrielle et commerciale des États-Unis. Sous Trump et Biden, le nationalisme économique a prédominé. Le commerce américain s’est recentré sur la relocalisation des chaînes d’approvisionnement, la réduction de la dépendance aux importations et la sécurisation des industries stratégiques, notamment face à la concurrence chinoise. Cela pourrait réduire l’importance d’initiatives comme l’AGOA, si elles ne correspondent pas aux priorités de production et de sécurité américaines.
De plus, la politique commerciale américaine est de plus en plus vue sous l’angle de la sécurité. Le positionnement géopolitique de l’Afrique est donc scruté de près. Si des pays africains sont perçus comme se rapprochant de la Chine, de la Russie ou d’autres puissances non occidentales, une réévaluation des avantages commerciaux de l’AGOA est susceptible d’en résulter. L’incident du « Lady R » en Afrique du Sud en témoigne. L’avenir de l’AGOA pourrait dépendre de l’alignement géopolitique des pays africains avec les États-Unis.
Sous les administrations Trump et Biden, le nationalisme économique a dominé
Un autre changement subtil est la préférence des États-Unis pour les accords commerciaux bilatéraux sous les récentes administrations, affaiblissant les programmes régionaux comme l’AGOA. Ce type d’accords vise à renforcer les liens avec des pays où les États-Unis estiment pouvoir exercer une influence plus directe, à l’instar du partenariat commercial avec le Kenya.
Le deuxième point important est la prochaine élection américaine, qui influencera certainement l’avenir des relations commerciales entre les États-Unis et l’Afrique. Avec une administration Trump, axée sur « l’Amérique d’abord », la politique commerciale serait probablement insulaire et transactionnelle. Trump, sceptique envers les accords multilatéraux, pourrait remettre en question l’AGOA.
Bien que l’Afrique ne soit pas prioritaire dans son programme, son administration a favorisé des accords bilatéraux avec certains pays africains, montrant une préférence pour ce type de partenariats. De plus, Trump a souvent lié commerce et sécurité, ce qui pourrait réduire le soutien à l’AGOA pour les pays n’étant pas alignés sur les objectifs sécuritaires des États-Unis.
En revanche, sous la présidence de Joe Biden et potentiellement de la vice-présidente Kamala Harris, la démocratie et les droits de l’homme resteraient des piliers de la politique étrangère américaine. L’administration Biden a déjà exclu de l’AGOA des pays comme le Niger, le Gabon et l’Ouganda pour des questions de gouvernance, ce qui témoigne d’une approche des relations commerciales africaines de plus en plus axée sur la sécurité et les droits.
Pour être admissibles à l’AGOA, les pays doivent respecter des normes particulières en matière de gouvernance et de droits de l’homme, normes que Harris appliquera probablement avec plus de rigueur. Son programme pourrait aussi inclure l’action climatique et le développement durable, influençant ainsi l’évolution de l’AGOA, avec des incitations pour que les pays africains se concentrent sur les industries vertes et des pratiques commerciales durables. Harris pourrait également promouvoir l’AGOA comme un outil de soutien à l’infrastructure numérique africaine, en encourageant les investissements des entreprises technologiques américaines sur le continent.
Washington pourrait privilégier des accords bilatéraux au lieu de renouveler l’AGOA
Dans une perspective plus large, Harris pourrait voir le renforcement des économies africaines par le commerce comme une clé de la stabilité mondiale à long terme. L’AGOA pourrait être élargie ou ajustée pour contribuer à la lutte contre l’extrémisme, l’instabilité et la fragilité économique dans des zones stratégiques pour les États-Unis. Cependant, les deux partis politiques américains restent influencés par des tendances nationalistes similaires.
Pour les pays africains, l’avenir de l’AGOA, qui expire en 2025, est incertain. Son renouvellement ou sa révision dépendra de l’alignement des priorités économiques et sécuritaires des États-Unis avec celles de l’Afrique, et de sa place dans la stratégie géopolitique américaine.
Plusieurs scénarios méritent d’être envisagés.
Tout d’abord, le statu quo pourrait être maintenu avec des ajustements mineurs à la politique actuelle. Toutefois, le climat politique à Washington semble indiquer que l’approche habituelle ne suffira probablement pas. Les législateurs américains ont déjà exprimé leur inquiétude quant à l’éligibilité de certains pays africains au programme.
La position de l’Afrique du Sud en matière de politique étrangère vis-à-vis de la Russie et de la Chine est particulièrement scrutée. Des membres du Congrès, comme les sénateurs Chris Coons et Jim Risch, ont remis en question la présence de l’Afrique du Sud dans l’AGOA, allant jusqu’à proposer de déplacer le forum hors du pays et de réexaminer ses avantages.
Une réforme profonde de l’AGOA est plus probable qu’un abandon complet
Dans ce contexte, Washington pourrait adopter une position plus conflictuelle, en imposant des conditions plus strictes en matière de gouvernance, de sécurité et de positionnement stratégique, une approche qui pourrait entraîner la perte d’avantages pour les pays africains trop proches de la Chine.
Deuxièmement, au lieu de reconduire l’AGOA tel quel, les États-Unis pourraient continuer de privilégier des accords commerciaux bilatéraux avec certains pays africains jugés stratégiques, ce qui entraînerait une fragmentation des relations commerciales avec le continent.
Les pays dont les programmes soutiennent les objectifs américains en matière de fabrication, de sécurité de la chaîne d’approvisionnement et de résilience économique en tireront des bénéfices. En revanche, ceux dont les politiques économiques ne vont pas dans le sens des priorités des États-Unis pourraient subir des répercussions négatives.
Troisièmement, si les États-Unis perçoivent une augmentation de l’influence chinoise en Afrique, l’AGOA pourrait être réévaluée.
Du côté positif, une version modernisée de l’AGOA renforcerait les liens entre les États-Unis et l’Afrique. Un nouveau cadre centré sur la durabilité, l’innovation et le développement inclusif aurait dû être instauré depuis longtemps.
Une révision de l’AGOA axée sur les secteurs clés pour l’avenir économique de l’Afrique, comme l’énergie propre, les services numériques et la fabrication à valeur ajoutée, serait bénéfique. L’intégration d’une dimension d’investissement apporterait un contrepoids à l’influence de Pékin, ce qui entrerait en droite ligne de la politique industrielle de Washington.
Par ailleurs, en donnant aux nations africaines plus petites ou moins développées la possibilité de mieux profiter des préférences commerciales américaines, une telle révision répondrait aux critiques portées à l’endroit du programme.
Le défi diplomatique auquel la prochaine administration américaine sera confrontée est de taille. Une réforme substantielle de l’AGOA, plutôt qu’un abandon, semble la voie la plus probable pour garantir la pérennité du commerce entre les États-Unis et l’Afrique.
Lire le rapport complet de l’ISS par Ronak Gopaldas, « Loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique : construction mutuelle assurée » ici.
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