La RDC plongée dans un thriller politique

Le procès du puissant directeur de cabinet de Tshisekedi a plongé le pays dans une incertitude encore plus profonde.

L’affaire de corruption ouverte à l’encontre de Vital Kamerhe, directeur de cabinet du président de la République démocratique du Congo (RDC), Félix Tshisekedi, réunit tous les éléments d’un bon polar : des millions de dollars qui disparaissent, un puissant politicien tombé en disgrâce, un juge assassiné, des menaces de mort et des pressions exercées par les États-Unis.

Tel un grand spectacle, cette affaire tient le pays en haleine, d’autant plus depuis que les débats sont diffusés en direct à la télévision nationale. Dans ce pays réputé pour son indulgence en matière de kleptocratie, jamais auparavant un personnage aussi haut placé dans l’appareil d’État ni aussi proche du président n’avait été accusé de corruption. C’est pourquoi cette affaire a suscité tant de spéculations.

Le 8 avril ont été arrêtés Kamerhe et deux complices, dont l’homme d’affaires libanais Samih Jammal. Ils sont suspectés d’avoir détourné plus de 50 millions de dollars destinés à financer un projet de logement et autres services à hauteur de 500 millions de dollars pour marquer les 100 premiers jours de la présidence de Tshisekedi. Kamerhe a été incarcéré à la prison de Makala, où le risque d’attraper la COVID-19 est élevé et son état de santé semble se dégrader en raison des mauvaises conditions de détention.

Le premier juge saisi dans cette affaire, Raphaël Yanyi, est décédé le 27 mai, soi-disant d’une crise cardiaque. Cependant, les médecins légistes ont conclu que la cause du décès n’était pas naturelle et qu’il avait « probablement été empoisonné ». L’assassinat du juge a donné lieu à toutes sortes de rumeurs dignes d’un roman policier, qui ont laissé un parfum de sensation. Les raisons pour lesquelles Tshisekedi avait ordonné, ou du moins autorisé, l’arrestation de son allié politique supposé ont donné cours à tout autant de spéculations politiques, quoique plus austères.

Jamais un personnage aussi proche du président n’avait été inculpé pour corruption en RDC

Avec son parti politique Union pour la Nation Congolaise, Kamerhe avait formé la coalition Cap pour le Changement (CACH) en s’alliant à l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS) de Tshisekedi en vue des élections de 2018. Tshisekedi avait alors été élu président officiellement, à défaut de l’être factuellement.

Ainsi, le fait que le président s’en prenne à Kamerhe a suscité autant d’incrédulité que de théories. D’après l’une d’entre elles, Tshisekedi aurait agi sous la pression de l’administration Trump pour faire un grand ménage et éradiquer la corruption au sein du gouvernement. Cela semble très probable. En février, Peter Pham, alors Envoyé spécial des États-Unis pour les Grands Lacs, s’était rendu à Kinshasa et avait déclaré sans détour à Tshisekedi que les États-Unis étaient déçus par ses efforts en matière de lutte contre la corruption.

En outre, l’arrestation de Kamerhe a eu lieu peu de temps après la visite de Tshisekedi à Washington, en mars, pour y rencontrer Pham et d’autres responsables. Critiqués par Pham, plusieurs officiers de l’armée ont également été renvoyés. D’autres facteurs étaient-ils en jeu ? Le procès de Kamerhe est-il le signe d’un assujettissement temporaire à Washington ? S’agirait-t-il plutôt du tournant longtemps attendu dans la sombre histoire de grande corruption en RDC ?

Fred Bauma, chercheur principal du Groupe d’étude sur le Congo, qui a récemment publié un rapport révélant une corruption à grande échelle de toutes parts, ne néglige pas la pression américaine comme facteur. Mais il affirme que nombreux sont les Congolais qui pensent que Kamerhe est corrompu et exercent une pression sur le président pour lancer des poursuites à son encontre. La lutte contre la corruption était en effet l’une des principales promesses électorales de Tshisekedi.

Tshisekedi aurait agi sous la pression des États-Unis pour éradiquer la corruption au sein de son gouvernement

Fred Bauma explique que Kamerhe a centralisé le gouvernement au sein de la présidence, en court-circuitant les ministres de tutelle censés être responsables des différents portefeuilles. Il était clair qu’en agissant ainsi, Kamerhe contournait de nombreux contre-pouvoirs officiels, renforçant ainsi les suspicions de détournement d’argent public. « Il était devenu un poids pour Tshisekedi », dit-il.

Mais ce qui a plus certainement emporté la décision de Tshisekedi de se retourner contre son allié d’antan était probablement le fait qu’il le percevait comme une menace politique grandissante et comme un potentiel rival aux prochaines élections. D’après Thierry Vircoulon, de l’Institut français des relations internationales (IFRI), il ne s’agit que d’un énième exemple d’adversaire politique évincé par un dirigeant sous couvert de lutte contre la corruption.

Fred Bauma rappelle ainsi que la coalition CACH avait pris la décision, en amont du scrutin de 2018, de faire de Kamerhe son candidat aux élections de 2023. Malgré l’attachement faiblissant de Tshisekedi à ce scénario, Kamerhe continuait de se considérer comme l’égal de son patron.

Sa puissance commençait à faire de l’ombre non seulement à Tshisekedi mais aussi à d’autres responsables et chefs de partis, dont l’ancien président Joseph Kabila. Ce dernier demeure très influent en RDC et aurait aussi été heureux de se débarrasser de Kamerhe, peut-être en raison de sa propre ambition de remporter les prochaines élections.

Tshisekedi est politiquement faible et se sent peut-être obligé de se raccrocher à toutes les branches qui sont à sa portée

D’aucuns pensent que, lors des dernières élections, Kabila aurait exigé d’être le candidat soutenu aux élections suivantes, en lieu et place de Kamerhe. En contrepartie, il s’engageait à faire de Tshisekedi son successeur, abandonnant au passage le candidat de son propre parti (qui a fait un score lamentable aux élections).

En tout état de cause, c’est bien Kabila qui est aux commandes, car son parti, le Front commun pour le Congo (FCC), contrôle le Parlement et ses alliés occupent des postes stratégiques dans de nombreuses institutions étatiques. En outre, les analystes pensent que, dans le cadre du marché passé entre Kabila et Tshisekedi, ce dernier se serait engagé à « ne pas remuer le passé », c’est-à-dire à ne pas toucher à Kabila ou à ses lieutenants.

Cela explique pourquoi Tshisekedi pourrait y réfléchir à deux fois avant de s’en prendre à Albert Yuma Mulimbi, le puissant dirigeant de la société minière étatique Gécamines, comme prochain gros poisson de sa campagne anti-corruption. Les spéculations selon lesquelles les États-Unis réclameraient également la tête de Mulimbi vont bon train.

Fred Bauma reconnaît que de lourds soupçons de corruption pèsent sur Mulimbi. Mais il pense qu’il serait trop périlleux pour Tshisekedi de le poursuivre en justice, en raison de la proximité entre Mulimbi et Kabila. Cela pourrait changer si les pouvoirs de Tshisekedi dépassaient ceux de Kabila. Fred Bauma pense que c’est précisément ce que fait l’actuel président, pas à pas, mais qu’il est encore trop tôt pour qu’il puisse défier son prédécesseur.

D’autres analystes pensent au contraire que Tshisekedi pourrait avoir à se rapprocher de Kabila car sa coalition CACH pourrait imploser sous l’impact des poursuites engagées contre Kamerhe, surtout si ce dernier est reconnu coupable et emprisonné.

Cependant, ils notent qu’il existe au sein du parti de Tshisekedi une forte mouvance anti-FCC qui s’opposerait à un tel rapprochement. D’autant plus que ses membres croient fermement que c’est le FCC qui a orchestré la récente éviction de Jean-Marc Kabund, président de l’UDPS par intérim, de son poste de premier vice-président de l’Assemblée nationale.

Ces analystes notent également que tout rapprochement avec Kabila entamerait le pouvoir de Tshisekedi, et celui de son parti. Cela inverserait également la démarche initiale de la présidence de Tshisekedi, fortement soutenue par les États-Unis, qui visait à affaiblir Kabila et à faire du slogan « la première alternance démocratique en RDC » une réalité.

Mais il y a une certaine limite à ce que peuvent faire les États-Unis ou quelque autre puissance extérieure. La réalité du pays est que Tshisekedi est politiquement faible et qu’il a peut-être l’impression de devoir se raccrocher à n’importe quelle branche se trouvant à sa portée.

L’avenir politique du pays semble donc encore plus trouble que d’habitude. Si Tshisekedi parvient à éradiquer la corruption, ce sera un exploit héroïque. Mais pendant que se déroule ce polar sur la scène politique, le peuple congolais, qui souffre depuis longtemps, est confronté à une résurgence de l’épidémie d’Ébola, à la pandémie de COVID-19, à une violence chronique dans l’est du pays et à une économie négligée et pantelante.

Peter Fabricius, consultant ISS

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