La progression du terrorisme appelle une stratégie globale en Afrique
À l’heure où les groupes terroristes internationaux ont jeté leur dévolu sur l’Afrique, il devient urgent que l’Union africaine adopte une approche commune.
Alors que les dirigeants de l’État islamique (EI) et d’Al-Qaïda sont traqués et éliminés dans le monde entier, les groupes terroristes étendent et consolident leurs opérations en Afrique. Selon Jihad Analytics, la moitié des attentats revendiqués par l’EI depuis le début de l’année ont été perpétrés dans 10 pays africains. Parmi eux figurent le Cameroun, le Niger, le Nigeria et le Tchad, les quatre pays du bassin du lac Tchad touchés par Boko Haram.
Or, les factions de Boko Haram sont en train d’élargir leur champ d’action en dehors de leur périmètre historique. Depuis longtemps, les huit principales zones ciblées par l’extrémisme violent dans le bassin du lac Tchad étaient les régions du Nord et de l’Extrême-Nord du Cameroun, la région de Diffa au Niger, les États de Borno, de l’Adamawa et de Yobe au Nigeria et les provinces du Lac et du Hadjer-Lamis au Tchad. En 2022, cependant, de nouvelles cellules d’Ansaru et de l’État islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO) se sont notamment établies dans d’autres régions du Nigeria.
Cette expansion a rendu plus complexes les opérations anti-insurrectionnelles, en particulier dans les pays dont les armées nationales luttaient déjà sur plusieurs fronts. En outre, les activités terroristes perpétrées au-delà du bassin du lac Tchad échappent à la zone de compétence de la Force multinationale mixte (FMM), une réponse militaire à Boko Haram mise en place par le Bénin, le Cameroun, le Niger, le Nigeria et le Tchad.
Il y a de plus en plus de risque que les trois principaux groupes extrémistes violents du Nigeria et du bassin du lac Tchad, à savoir l’EIAO, Ansaru et Jama’atu Ahlis Sunna Lidda’awati wal-Jihad (JAS), fusionnent ou nouent des alliances de circonstance. Mus par leur volonté d’étendre et de renforcer leurs opérations, ils sont en train de tisser des liens improbables, non seulement entre eux, mais aussi avec des groupes criminels organisés.
La fusion des trois factions de Boko Haram pourrait entraîner une contagion irrépressible du terrorisme dans tout le Sahel
Au Nigeria, ce type de collaboration a, par exemple, donné lieu à l’enlèvement de passagers d’un train à Kaduna en mars et à l’évasion de prisonniers affiliés à Boko Haram, à Abuja en juillet. Dans le premier cas, il s’agissait d’une collaboration entre le JAS et des bandes criminelles ou « bandits ». L’évasion est quant à elle le fruit de l’union de deux factions de Boko Haram, Ansaru et l’EIAO.
On observe également des liens de plus en plus étroits entre les groupes issus de Boko Haram en dehors de leurs zones d’action habituelles. La fusion des trois factions dissidentes pourrait entraîner une contagion irrépressible du terrorisme au Nigeria et dans tout le Sahel.
Ansaru est affilié à Al-Qaïda au Maghreb islamique, tandis que l’EIAO a prêté allégeance au noyau dur de l’EI. La faction JAS aurait tendu la main à l’EI, incitant l’organisation terroriste mondiale à pousser sa branche la plus prospère, l’EIAO, à faire alliance avec JAS. Si cette fusion devait se concrétiser, cela pourrait entraîner une consolidation des combattants et des ressources. Cela pourrait également conduire à un contrôle accru des activités économiques dans les communautés où ces groupes sont actifs, améliorant ainsi l’accès des terroristes à diverses sources de revenus.
Ces tendances pourraient renforcer les rangs des groupes extrémistes violents. Des attaques telles que l’évasion de la prison d’Abuja montrent la capacité de leurs auteurs à cibler les capitales des pays touchés. Par le passé, Boko Haram a déjà frappé N’Djamena au Tchad et Abuja au Nigeria.
Au premier semestre, le Nigeria a été le deuxième pays le plus visé dans le monde par des attaques revendiquées par l’EI
La collaboration entre les terroristes et d’autres groupes armés aura des répercussions sur les mesures anti-insurrectionnelles, d’où la nécessité de procéder à une analyse minutieuse des dynamiques du conflit. Pour éviter de s’enfoncer encore dans le piège, le bassin du lac Tchad et d’autres pays africains devront garder une longueur d’avance et se montrer proactifs.
La montée du banditisme et des enlèvements est le signe d’une aggravation de l’insécurité dans le bassin du lac Tchad. Le Nigeria en est actuellement l’épicentre, mais le phénomène prend de l’ampleur dans le nord du Cameroun. Les attaques de trains, les prises d’otages et les flux d’armes marquent de plus en plus cette région déjà vulnérable. Les zones nord-ouest et nord-centre du Nigeria sont particulièrement touchées, avec une probable expansion par-delà les frontières du pays.
Dans l’édition du 16 juin 2022 de sa publication Al-Naba, l’EI déclare que l’Afrique est la terre de la Hijra et du Jihad et appelle ses membres à s’installer dans les pays africains. Les analystes constatent l’implication croissante de l’EI et d’Al-Qaïda dans les affaires de leurs filiales africaines. L’idée dominante est que le continent sera le prochain bastion du « califat islamique ».
Entre janvier et juin 2022, le Nigeria a été le deuxième pays le plus visé dans le monde par des attaques revendiquées par l’EI (305 attentats), juste derrière l’Irak (337 attentats) et devant la Syrie (142 attentats). La matérialisation de la volonté de l’EI de « rester et de s’étendre » en Afrique pourrait internationaliser des conflits qui étaient jusqu’à présent circonscrits au niveau local.
L’expansion de l’État islamique en Afrique pourrait internationaliser des conflits jusqu’à présent circonscrits au niveau local
Si d’autres attentats terroristes sont lancés à partir du bassin du lac Tchad, les nouveaux pays cibles pourraient se retrouver plus isolés encore du reste du monde en raison des contrôles et des restrictions de circulation des populations locales.
L’Union africaine (UA) a montré sa volonté de soutenir les organisations régionales telles que la Commission du Bassin du lac Tchad dans la lutte contre l’extrémisme violent. Cette volonté a été soulignée lors d’une réunion du Conseil de paix et de sécurité de l’UA qui s’est tenue le 23 septembre. Compte tenu de la complexité croissante de la situation et d’une nette tendance à l’expansion du terrorisme dans des régions d’Afrique auparavant épargnées, le rôle de l’UA est crucial.
En s’appuyant sur leur expérience en Somalie et dans le bassin du lac Tchad, les organes de sécurité de l’UA doivent évaluer les menaces actuelles et améliorer leurs réponses en conséquence. Cela suppose d’adopter une approche consolidée visant à stabiliser les régions touchées, en se concentrant sur la réponse militaire et sur les racines sociopolitiques de l’extrémisme violent.
Il est également nécessaire que l’UA apporte son soutien à la stratégie de stabilisation et de redressement du bassin du lac Tchad. L’organisation panafricaine devrait également envisager de s’engager plus vigoureusement au sein de la Coalition internationale contre Daech, forte de 85 pays membres, qui a annoncé en décembre 2021 la création d’un groupe de réflexion sur l’Afrique.
Projet du Bassin du lac Tchad, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad, Dakar
Cet article a été publié initialement dans le rapport de l’ISS sur le CPS.
Image : © Press Trust of India
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