La prévention de l'extrémisme violent ne relève pas uniquement de la société civile

Le terrorisme est alimenté par des problèmes structurels profonds, et il incombe avant tout aux gouvernements de les résoudre.

Dans le Bassin du Lac Tchad, de nombreuses organisations de la société civile œuvrent à la prévention de l’extrémisme violent et reçoivent un soutien financier continu de la part de bailleurs de fonds. À leurs efforts s’ajoutent ceux des États, majoritairement axés sur la sécurité. Malgré ces deux types d’initiatives, les groupes extrémistes violents continuent toutefois de recruter, radicaliser et commettre des attentats.

Depuis la scission entre les factions de Boko Haram et de la Province d’Afrique de l’Ouest de l’État islamique (ISWAP) en 2016, le nombre d’attentats contre des bases militaires et des cibles gouvernementales ne cesse d’augmenter. Le domaine d’activité et le recrutement des deux groupes sont concentrés dans la région du bassin du lac Tchad, où la vulnérabilité de la population est élevée en raison d’une profonde marginalisation sociopolitique et d’une pauvreté élevée.

Les organisations de la société civile jouent un rôle de premier plan dans la prévention de l’extrémisme violent, mais peuvent-elles s’attaquer aux moteurs structurels du terrorisme sans l’aide des pays dans lesquels elles opèrent ? La société civile peut-elle s’attaquer aux causes profondes qui rendent les individus vulnérables au recrutement et à la radicalisation ?

Les organisations de la société civile peuvent-elles s’attaquer aux facteurs structurels du terrorisme sans l’aide des États ?

Parmi les principales raisons qui pousseraient certains à rejoindre des groupes tels que Boko Haram et l’ISWAP, le Rapport 2017 du Programme des Nations Unies pour le développement cite les violations des droits de l’homme, la marginalisation sociale, politique et économique, le chômage et l’idéologie religieuse.

Un récent rapport de l’Institut d’études de sécurité a analysé plus de 133 projets de la société civile visant à prévenir et à combattre le terrorisme dans le bassin du lac Tchad. Le rapport cite également 148 projets mis en œuvre en Afrique de l’Est. Dans ces deux régions, les initiatives portent sur l’éducation, la promotion de la tolérance et de la paix entre les communautés, la sensibilisation, l’accompagnement psychosocial des personnes concernées, la formation professionnelle et le développement des compétences.

Cependant, ces efforts ne résolvent pas les problèmes profondément enracinés que sont la pauvreté et le chômage, la marginalisation et les violations des droits de l’homme dans les quatre pays du bassin du lac Tchad, à savoir le Cameroun, le Niger, le Nigeria et le Tchad.

Les groupes terroristes proposent des emplois et des moyens de subsistance aux communautés défavorisées

À ce jour, la crise causée par Boko Haram dans le bassin du lac Tchad a entraîné le départ d’environ 2,3 millions de personnes vers des camps de personnes déplacées. Malgré la disponibilité de ces installations humanitaires, environ 11 millions de personnes se trouvent encore privées de nourriture et ont urgemment besoin d’aide. Le lac Tchad se tarissant, les moyens de subsistance des pêcheurs et des agriculteurs se font rares, et le taux de chômage, déjà élevé, est en hausse. On ne peut pas attendre des organisations de la société civile qu’elles résolvent entièrement ce problème.

Bien que la formation professionnelle dispensée par les organismes de la société civile soit importante, il restera difficile pour les personnes touchées de trouver un emploi tant que les gouvernements ne mettront pas en place des stratégies pour stimuler le marché du travail et l’économie. Cette situation constitue un moteur de l’extrémisme violent. Tirant parti de cet état de fait, les groupes terroristes proposent des emplois et des moyens de subsistance aux communautés appauvries.

L’incapacité des États à remédier aux injustices telles que les atteintes aux droits de l’homme commises dans leur pays constitue un moteur supplémentaire d’extrémisme violent. Les organisations de la société civile s’efforcent de faire prendre conscience aux États de la manière dont certaines de leurs interventions peuvent nuire aux efforts de prévention du terrorisme et de la mesure dans laquelle l’extrémisme violent se nourrit des comportements répréhensibles des gouvernements. Pour leur part, ces derniers tendent à privilégier les mesures antiterroristes axées sur la sécurité et la répression, au lieu d’adopter des mesures préventives. De plus, les États financent rarement les initiatives locales visant à prévenir l’extrémisme.

Les organisations de la société civile peuvent avoir accès aux communautés locales, en particulier celles qui n’ont plus espoir en l’État

Les organisations de la société civile du bassin du lac Tchad autonomisent également les communautés locales en les poussant à demander aux forces de sécurité et aux municipalités de répondre de leurs actes. Mais, sans réforme de la part des gouvernements, les groupes tels que Boko Haram pourront toujours justifier leur propagande et attirer de nouvelles recrues.

En dépit de leur capacité et de leur autorité limitées pour s’attaquer aux facteurs structurels profonds, les organisations de la société civile jouent un rôle clé dans la prévention de l’extrémisme violent. Elles sont idéalement placées pour accéder aux communautés locales, en particulier à celles qui n’ont plus espoir en l’État. De plus, elles peuvent contribuer à restaurer la confiance entre les communautés et le gouvernement par le biais d’un dialogue de réconciliation, en soutenant la réinsertion d’anciens combattants et en sensibilisant à la manière dont le gouvernement peut prévenir l’extrémisme.

Afin de pleinement lutter contre les moteurs de l’extrémisme violent dans le Bassin du Lac Tchad, les gouvernements ont besoin d’informations quant à la manière dont ils peuvent accompagner les initiatives locales de prévention. Les organisations de la société civile font déjà ce travail dans leurs campagnes de sensibilisation.

Les États devraient avoir pour objectif de traiter et de résoudre les doléances locales, accroître la confiance des communautés dans le gouvernement et encourager la cohésion sociale. Pour instaurer la confiance, il faut également revigorer le marché du travail et l’économie, et se montrer plus transparent au sujet des efforts déployés par l’État pour prévenir l’extrémisme, en particulier en ce qui concerne les processus de réhabilitation et de réinsertion. Il est également crucial que les États s’attaquent à la pauvreté et à la marginalisation dans les zones rurales.

Isel van Zyl, chercheuse junior, menaces transnationales et criminalité internationale, ISS Prétoria

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Photo : Muse Mohammed/IOM

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