La montée de la violence communautaire dévoile la fragilité de l'accord de paix au Soudan du Sud
Les dispositifs de sécurité adoptés dans le cadre de l’accord de paix de 2018 sont déjà mis à rude épreuve, alors que les efforts visant à unifier les forces armées chancellent.
Une recrudescence de la violence communautaire au Soudan du Sud aggrave l’insécurité dans l’ensemble du pays et entrave l’acheminement de l’aide humanitaire aux personnes vulnérables. Des conflits locaux compliquent également la mise en œuvre de l’accord de paix signé par les parties belligérantes en 2018. Cet accord vise à faire cesser les hostilités, à protéger les civils et l’accès à l’aide, et à permettre le partage du pouvoir, l’édification de la nation et la réforme du secteur de la sécurité.
En 2020, plus de 1 197 incidents de violence communautaire ont été enregistrés, ce chiffre représente une augmentation significative par rapport aux 487 incidents signalés en 2019. Les conflits ont été particulièrement nombreux dans les États de Warab, des Lacs, de Jonglei, de l’Unité et du Nil supérieur, ainsi que dans la région d’Équatoria. Entre le 1er juin et le 31 août 2021, plus de 70 800 personnes ont été déplacées depuis l’État d’Équatoria occidental, le Warab et le Nil supérieur.
Le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour le Soudan du Sud et Chef de la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (MINUSS), Nicholas Haysom, a exprimé son inquiétude face à l’augmentation des violences localisées, le 15 septembre.
Certains de ces conflits trouvent leur origine dans la fracture survenue en avril 2021 au sein du Mouvement populaire de libération du Soudan en opposition (SPLM/A-IO). Une analyse récente de l’Institut d’études de sécurité révèle que cette scission, qui a entraîné des actes de violence, perturbe le mouvement d’unification de l’armée, qui constitue un élément essentiel de l’accord de paix.
La violence communautaire est alimentée par des combattants armés dont l’intégration au sein de l’armée unifiée prend du retard
La rupture s’est produite lorsque les forces dirigées par les généraux Simon Gatwech Dual et Thomas Dhul, tous deux anciens membres de haut rang de l’aile militaire du SPLM/A-IO, ont fait défection et retiré leur confiance au premier vice-président Riek Machar. Le général Johnson Olony, autre partenaire du SPLM/A-IO, a suivi.
Cet évènement a conduit à des affrontements entre les troupes loyales aux deux groupes pour le contrôle du territoire dans le Nil supérieur et d’autres zones contrôlées par le SPLM/A-IO. Les généraux Gatwech et Olony contestent la légitimité de Machar en tant que commandant en chef de ses forces armées. Les dispositions en matière de sécurité prévues par l’accord de paix sont désormais menacées, car les chances d’unifier l’armée du Soudan du Sud s’amenuisent.
La violence communautaire est également alimentée par la présence de combattants armés dont l’intégration au sein d’une armée unifiée, comme l’exige l’accord de paix, a été retardée par la lenteur de la réforme du secteur de la sécurité. À ce jour, aucun des 83 000 anciens combattants qui devaient rejoindre la force unifiée du pays n’a été déployé.
Depuis plus d’un an, des anciens combattants issus de tous les groupes armés sont rassemblés dans des casernes militaires, en attente de formation. Le retard pris dans leur transfert vers les sites de formation, en raison du manque de moyens financiers et de l’absence de volonté politique, a conduit nombre d’entre eux à chercher d’autres moyens de survie. Il s’agit notamment de trafic d’armes et de vol de bétail, deux phénomènes qui attisent la violence communautaire.
Aucun des 83 000 ex-combattants qui devaient rejoindre la force unifiée du pays n’a été déployé
Certains problèmes structurels alimentent également la résurgence de la violence localisée et compliquent la mise en œuvre d’autres parties de l’accord de paix telles que le partage du pouvoir, l’édification de la nation et la réforme de la sécurité. Le manque constant de confiance entre les signataires donne lieu à des affrontements entre leurs partisans et les branches armées. Certains sont largement soupçonnés de tenter de dominer le processus.
En conséquence, certaines forces armées ne sont toujours pas cantonnées dans des casernes militaires, comme le démontrent les récentes échauffourées. Dans les communautés, cela crée des déséquilibres de pouvoir qui peuvent rapidement dégénérer en violence. Les populations locales touchées par les affrontements perdent espoir dans les partis politiques et dans le processus de transition, sapant ainsi les progrès réalisés jusqu’à présent.
La disponibilité accrue des armes au Soudan du Sud est un facteur supplémentaire de la montée de la violence communautaire. Malgré les embargos sur les armes décrétés par le Conseil de sécurité des Nations Unies, la MINUSS a reconnu que leur prolifération attisait la violence entre milices communautaires, et ce, depuis 2018.
La faiblesse de la gouvernance dans le pays favorise également les conflits locaux. Du niveau local à celui des États, le Soudan du Sud dispose d’un système gouvernemental hypertrophié qui privilégie la représentativité des différents belligérants plutôt que des nominations fondées sur le mérite. Cela entrave les tentatives d’édification d’un État fonctionnel capable de fournir des services publics, de juguler l’approvisionnement en armes et de contenir la criminalité et la violence.
Malgré les embargos sur les armes décrétés par le Conseil de sécurité, l’augmentation du nombre d’armes contribue à la violence communautaire
En l’absence d’un État fonctionnel, les conflits locaux rendent également difficile l’acheminement de l’aide humanitaire aux populations vulnérables du Soudan du Sud. Les travailleurs humanitaires sont de plus en plus ciblés dans des attaques, et des groupes de maraudeurs détruisent des produits de première nécessité. Cela entraîne des migrations forcées, qui viennent s’ajouter au nombre déjà élevé de personnes déplacées à l’intérieur du pays et de réfugiés. Les chances de retour des migrants dans leur pays s’en trouvent également réduites.
Les affrontements communautaires et les facteurs qui les motivent compromettent l’accord de paix de manière directe et indirecte. Pour briser le cycle de la violence au Soudan du Sud, il faut se concentrer sur les dispositifs politiques et sécuritaires ainsi que sur les besoins socioéconomiques des citoyens.
Au vu du profond déficit de gouvernance actuel du pays, les interventions de développement à long terme seront complexes et à haut risque. Elles doivent toutefois être étudiées afin de réduire la dépendance des communautés à l’égard d’économies parallèles qui induisent la violence, comme le trafic d’armes, le vol de bétail et d’autres activités criminelles.
Selam Tadesse Demissie, chargée de recherche, Analyse de la sécurité dans la Corne de l’Afrique, ISS Addis-Abeba
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