La migration climatique est une opportunité pour le développement
Les fonds alloués à l’adaptation aux effets du changement climatique en Afrique sont en hausse, alors que la migration climatique reste un domaine négligé.
Si l’Afrique n’est responsable que de 3 % des émissions historiques de carbone, les catastrophes climatiques coûtent au continent près de 15 milliards de dollars US par an. Le changement climatique fait perdre au continent entre 5 et 15 % de croissance du produit intérieur brut par habitant. Entre janvier 2021 et septembre 2022, plus de 54 millions de personnes en Afrique ont subi les conséquences des catastrophes climatiques.
Cependant, les pays les plus riches n'ont toujours pas versé les 100 milliards de dollars US promis en 2009 lors de la 15e conférence des parties pour le financement de la lutte contre les changements climatiques. La date limite pour la mise à disposition de ces fonds était fixée à 2020.
Une nouvelle note d’analyse de l’Institut d’études de sécurité identifie les principaux obstacles au renforcement du financement et des mesures en faveur de la mobilité climatique. Le manque de connaissances des organisations de développement et des administrations publiques dans ce domaine, ainsi que l’absence de lois et de politiques appropriées sur la question en font partie. De plus, les mécanismes financiers ne sont pas adaptés et la participation des populations locales à l’élaboration et à la mise en œuvre des programmes est insuffisante. Par ailleurs, la volonté politique demeure limitée en raison de la politisation de la question des migrations.
Néanmoins, l’adaptation progresse partout en Afrique. Les flux financiers qui lui sont dédiés augmentent ainsi que le nombre de programmes nationaux exhaustifs, intégrés et qualitativement satisfaisants. Ils restent cependant insuffisants. La Banque africaine de développement estime que le continent devrait consacrer 124 milliards de dollars US par an à l’adaptation alors qu’il ne mobilise actuellement que 28 milliards de dollars US.
La plupart des projets liés à la mobilité visent à aider les personnes à « rester »
La plupart des fonds alloués à l’Afrique ont jusqu'ici été affectés à l’atténuation (la réduction des émissions de gaz à effet de serre) plutôt qu’à l’adaptation (le renforcement de la résilience face aux effets du changement climatique). Si les efforts d’atténuation sont indispensables, nombre d’Africains parmi les plus vulnérables, qui contribuent pourtant le moins aux émissions, sont confrontés aux effets les plus graves du changement climatique. Et ce sont eux qui ont le moins de ressources pour y faire face.
Le changement climatique apparaît également comme l’un des principaux facteurs de migration en Afrique. Si le réchauffement climatique atteint 1,7 °C, entre 17 et 40 millions de personnes en Afrique subsaharienne pourraient être amenées à se déplacer à l’intérieur de leur propre pays d’ici à 2050. S’il atteint 2,5 °C, ce chiffre pourrait monter à 86 millions.
La prise en compte de la mobilité liée au climat est cruciale pour le développement durable et la croissance économique. Cette mobilité présente à la fois des opportunités et des défis. Lorsque les migrations se font de manière sûre, volontaire et ordonnée, elles peuvent favoriser le développement en stimulant les agglomérations, les échanges de compétences et les envois de fonds des travailleurs émigrés. Si au contraire elles sont mal gérées, forcées et non sécurisées, elles peuvent constituer une menace. Il est donc nécessaire de mettre en place des stratégies efficaces d’adaptation au changement climatique et d’atténuation de ses effets, une législation solide et des politiques claires, ainsi que des mécanismes de planification et de financement inclusifs destinés à répondre aux besoins des populations vulnérables.
Certains des pays africains les plus exposés au changement climatique sont déjà confrontés à l’extrême pauvreté, à l’insécurité alimentaire, aux conflits, à la mauvaise gouvernance, à de lourds déficits budgétaires et à la faible diversification d’une économie basée sur l’agriculture. Ils sont limités dans leur capacité à bâtir et à entretenir des infrastructures, à réglementer l’utilisation des ressources naturelles, à préserver les écosystèmes, à résoudre les conflits, à mettre en œuvre une planification à long terme, à attirer des financements internationaux ou à entretenir des relations diplomatiques.
L’utilisation des migrations comme vecteur stratégique d’un développement inclusif et durable est convaincante
Le changement climatique offre à ces pays la possibilité de mettre en place des infrastructures, des institutions et des systèmes résilients susceptibles d’aider les populations à s’adapter et à se développer. L’amélioration des conditions socio-économiques peut réduire la vulnérabilité aux effets du changement climatique et à l’immobilité ou au déplacement forcés.
Si les bailleurs de fonds des pays en développement reconnaissent de plus en plus l’importance de la mobilité climatique, les interventions et les financements pour la prévenir et l’aborder restent inadéquats. La mobilité climatique est rarement intégrée dans leurs programmes, leurs financements et leurs stratégies, et peu de projets s’en occupent explicitement.
Selon l’Organisation internationale pour les migrations, une solution de mobilité cherche à éviter, minimiser et gérer les déplacements. Les solutions de mobilité climatique relèvent de trois catégories d’intervention : permettre aux populations de rester ; les aider à se déplacer ; soutenir les personnes qui se déplacent.
Dans le premier cas, il s’agit de contribuer à renforcer la résilience des populations face aux effets du changement climatique. Dans le second, un environnement propice à la gouvernance et à la gestion de la migration est instauré pour faciliter le déplacement. Dans le troisième, les personnes en déplacement volontaire ou qui ont été expulsées de force sont soutenues et protégées, et des solutions durables sont mises en place.
Les retombées positives d’une planification et d’une mise en œuvre adéquates sont considérables
Selon le Migration Policy Institute, la plupart des projets liés à la mobilité visent à renforcer la résilience afin de permettre aux populations de « rester » là où elles ont déjà été déplacées ou dans les endroits elles sont susceptibles de l’être en raison du changement climatique. Ce sont notamment des projets de développement destinés à réduire le niveau d’exposition des personnes au changement climatique grâce à la réduction des risques de catastrophe, la protection de l’environnement et la prévention des conflits. Ils contribuent à renforcer les moyens de subsistance et à améliorer la santé ou à encourager la participation des populations aux mesures de lutte contre le changement climatique.
Au Kenya, le Programme d’assurance bétail est un projet de microassurance qui protège les éleveurs confrontés à des épisodes récurrents de sécheresse dans les zones arides et semi-arides du Kenya et de l’Éthiopie, afin de réduire l’instabilité et de prévenir les déplacements forcés et les migrations clandestines.
Selon le gouvernement kenyan, le bétail a été victime de 70 % des dommages causés par la sécheresse entre 2008 et 2011. Depuis 2010, l’Institut international de recherche sur l’élevage a mis en place une assurance indicielle pour le bétail. En 2012, le programme s’est étendu à la région de Borena en Éthiopie et s’est élargi à nouveau en 2020 pour intégrer un indicateur de sécheresse pour le Sahel et la Corne de l’Afrique.
En 2015, le gouvernement kenyan a acquis une partie du programme afin de garantir la protection des ménages vulnérables. En 2020, le programme devait couvrir 65 000 éleveurs, les paiements étant effectués sur la base d’un indice de disponibilité du fourrage.
La mobilité liée au climat concerne tous les secteurs à tous les échelons, et nécessite des approches inclusives. Les arguments en faveur de l’utilisation de la migration comme vecteur stratégique d’un développement inclusif et durable sont convaincants. Les coûts d’opportunité générés par l’immobilité involontaire, la perte des moyens de subsistance, les déplacements massifs, la propagation incontrôlée et informelle des villes, les pertes de production en milieu rural et la fuite des jeunes cerveaux sont avérés.
Les coûts économiques résultant d’une action insuffisante et les retombées positives d’une planification et d’une mise en œuvre efficaces sont considérables. Alors même que les flux financiers pour l’adaptation climatique augmentent et visent de plus en plus les populations vulnérables aux aléas climatiques, les acteurs du développement et les gouvernements ont la possibilité d’élargir la portée et l’ampleur de leurs interventions en faveur de la mobilité liée au climat. Il est impératif de procéder à une planification stratégique et d’apporter des solutions durables à la mobilité climatique.
Aimée-Noël Mbiyozo, consultante, chercheuse principale en migrations, ISS
Image : © IOM/Tobin Jones
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