La médiation extérieure peut-elle sortir le Soudan de l’impasse politique ?
Une intervention trilatérale pourrait rapprocher les groupes civils et l’armée.
Le mois d’octobre marque le premier anniversaire du second coup d’État militaire au Soudan, qui a destitué le gouvernement de transition du Premier ministre Abdallah Hamdok et déclenché l’état d’urgence. Les efforts de médiation pour sortir la junte et les groupes d’opposition civils de l’impasse politique n’ont à ce jour pas permis de parvenir à un règlement politique et à un plan de transition négocié.
En l’absence de gouvernement légitime, le Soudan est confronté à un ralentissement économique. L’inflation atteint un niveau record et le pays fait face à des pénuries de produits de base, notamment de pain et de carburant — des facteurs qui ont, entre autres, déclenché la révolution de 2019. Le marasme économique est aggravé par le coup d’arrêt porté à l’aide au développement par les partenaires internationaux, et par la rareté des devises étrangères due à la baisse des exportations.
Au-delà des problèmes économiques, le Soudan est confronté à d’importantes urgences humanitaires causées par des inondations dans de nombreuses régions du pays et par les conflits intercommunautaires dans les États du Darfour, du Nil Bleu et de Kassala. Il est donc crucial de mettre un terme à l’impasse politique du Soudan et d’y installer un gouvernement légitime.
Un mécanisme trilatéral réunissant les Nations unies (ONU), l’Union africaine (UA) et l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) assure depuis juin la médiation entre les parties prenantes soudanaises en vue de la négociation d’un accord de transition. L’ONU s’est engagée dans une « diplomatie de la navette » entre les parties prenantes par l’intermédiaire de la Mission intégrée des Nations unies pour l’assistance à la transition au Soudan. L’UA et l’IGAD ont mobilisé le représentant spécial et chef du bureau de l’UA au Soudan et l’envoyé de paix de l’IGAD.
Sans gouvernement légitime, le Soudan est confronté aux défis de la récession économique
Les négociations les plus importantes devraient porter sur la nomination d’un gouvernement dirigé par des civils, l’élaboration du calendrier électoral et la définition du rôle de l’armée dans la transition. Bien que le mécanisme trilatéral ait recueilli le soutien des acteurs nationaux, régionaux et internationaux, des obstacles entravent sa réussite.
Le coup d’État de 2021 au Soudan s’est produit un mois avant que les militaires, dirigés par le général Abdel Fattah al-Burhan, ne doivent remettre le pouvoir à la composante civile du Conseil de souveraineté. Ce Conseil est l’organe mixte civilo-militaire qui gouverne le Soudan depuis la chute de l’ancien président Omar el-Béchir en 2019.
Les militaires sont accusés de n’avoir jamais eu l’intention de céder le pouvoir à un gouvernement dirigé par des civils. Au cours de l’année écoulée, la violente répression des manifestations anti-coup d’État a encore renforcé le sentiment antimilitaire chez les civils, notamment au sein des comités de résistance dont le mot d’ordre est « ni négociation, ni légitimité, ni partenariat » avec l’armée. Les groupes d’opposition civils accusent les militaires d’avoir tenté de consolider leur emprise économique et politique sur le pouvoir au cours de l’année écoulée, tout en se montrant ostensiblement ouverts à la négociation avec les civils.
Après le coup d’État, les militaires ont annoncé leur intention de dissoudre le Conseil de souveraineté et de former un conseil de sécurité et de défense. Les groupes d’opposition s’attendent à ce que le nouveau conseil reprenne les pouvoirs et les responsabilités du Conseil de souveraineté et du Conseil législatif. Outre le contrôle des forces de sécurité, il disposerait également d’un mandat qui s’étendrait aux affaires étrangères, aux nominations judiciaires et à la gestion de la banque centrale.
L’armée est accusée de ne jamais avoir eu l’intention de céder le pouvoir à un gouvernement dirigé par des civils
Selon les groupes d’opposition civils, notamment les Forces de la liberté et du changement (FFC) et les comités de résistance, l’armée soutient le retour progressif au pouvoir du Parti du congrès national (PCN) d’el-Béchir. En plus de nommer d’anciens membres du PCN aux affaires étrangères et aux services de renseignement, elle est accusée de libérer les dirigeants du PCN qui étaient emprisonnés. Il en résulte que les acteurs civils refusent de participer aux efforts de médiation avec l’armée. Présumant l’existence d’une alliance entre l’armée et les groupes islamistes, l’opposition civile est d’autant plus réticente à négocier avec les militaires.
Bien qu’ils fassent front commun contre les militaires, les acteurs civils sont divisés et incapables de s’entendre sur un plan de transition. Le FFC, qui est une coalition civile créée en 2019 pour s’opposer au gouvernement d’el-Béchir, a largement contribué au succès de la révolution. Mais il s’est depuis scindé en au moins trois groupes : le Conseil central du FFC, la Coalition du consensus national et les Forces pour le changement radical.
Ces groupes se sont eux-mêmes fragmentés en fonction de leur position sur le coup d’État du mois d’octobre. Alors que des groupes tels que le Conseil central du FFC, composé principalement de partis politiques, sont ouverts à la négociation avec les militaires, les Forces pour le changement radical et les comités de résistance s’y opposent fermement.
D’autre part, l’armée a obtenu le soutien de certains membres du Front révolutionnaire du Soudan, d’anciens groupes armés et de l’initiative civile l’Appel du peuple soudanais. Ces groupes comprennent des partis qui avaient été exclus du processus de transition au motif qu’ils avaient collaboré avec le gouvernement d’el-Béchir avant la révolution. L’Appel du peuple soudanais est venu élargir la composante civile dans les négociations qui ont suivi le coup d’État, ajoutant une nouvelle dynamique d’acteurs civils qui ont apporté leur soutien à l’armée.
Le dialogue constitutionnel devrait avoir lieu avant les élections afin de garantir un processus indépendant et inclusif
L’équipe de médiation trilatérale doit relever le défi d’unir ces acteurs aux positions parfois diamétralement opposées afin de parvenir à un plan négocié pour une transition politique. Malgré cela, des opportunités peuvent être exploitées. En juillet, les militaires se sont engagés à remettre le pouvoir à un gouvernement civil et à se retirer de la scène politique si les civils parvenaient à un accord négocié sur un plan de transition.
Bien que les partis politiques et les comités de résistance aient mis en doute la sincérité de l’armée, cet appel des militaires a fait peser sur les civils la responsabilité de surmonter leurs différences et d’aller de l’avant. Le Conseil central du FFC, la Coalition pour un consensus national, les Forces pour un changement radical et l’Appel du peuple soudanais ont récemment formé une alliance. Chacun a élaboré des propositions pour une transition, qui ont été remises aux médiateurs trilatéraux qui facilitent les négociations.
Les comités de résistance soumettent également leurs propositions. Auparavant, ils manquaient de direction politique et d’unité et ne faisaient guère plus qu’organiser des manifestations et des rassemblements. Actuellement, plus de 50 groupes ont signé une Charte révolutionnaire qui porte notamment sur leur vision de la transition.
Les recommandations des divers groupes d’opposition ont été prises en compte dans un projet de cadre constitutionnel élaboré par l’Association du barreau soudanais. La pression interne et internationale a également amené les dirigeants militaires à réaffirmer leur volonté de s’engager dans ce processus trilatéral.
La médiation trilatérale devrait permettre de rapprocher les positions divergentes des groupes civils et des militaires et les aider à négocier un accord pour mettre en place une transition. Les questions qui se posent dans l’immédiat concernent la nomination d’un gouvernement dirigé par des civils, l’élaboration d’un calendrier pour la tenue d’élections et le rôle de l’armée dans la transition.
S’il s’agit là de questions urgentes, le processus trilatéral devrait également aider les parties prenantes à fixer un calendrier pour le dialogue constitutionnel national. Cet engagement permettra au Soudan de répondre aux principales questions en suspens qui provoquent des conflits depuis l’indépendance. Idéalement, ce dialogue devrait avoir lieu avant les élections afin de garantir que le processus soit indépendant et inclusif. Ce dernier peut être supervisé par un gouvernement de transition légitime et un conseil législatif inclusif.
Le processus trilatéral devrait donc également tenter de parvenir à un consensus sur la formation d’un conseil législatif incluant toutes les parties. L’incapacité à former un conseil représentatif était l’une des lacunes importantes de la période de transition avant le coup d’État d’octobre.
À cette fin, les parties prenantes soudanaises doivent s’accorder sur une vision de la transition qui conduira à un gouvernement dirigé par des civils et ouvrira la voie à un Soudan pacifique à l’issue de la transition.
Shewit Woldemichael, chercheuse, Gouvernance de la paix et de la sécurité en Afrique, ISS
Cet article a été publié initialement par le Rapport sur le CPS de l’ISS.
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