La lutte contre Boko Haram entre enjeux nigérians et politique régionale

Sans buy-in du Nigeria sur la réponse militaire et au-delà, aucune solution durable au problème de Boko Haram n'est possible.

L’armée nigériane s’apprêterait à lancer une opération militaire de grande envergure contre Boko Haram. L'appareil sécuritaire a toutefois reconnu qu'il n’aura pas la capacité de mener simultanément une opération contre le groupe insurrectionnel islamiste et de sécuriser efficacement le processus électoral en cours.

Dans ce contexte, la commission électorale a annoncé, le 7 février, que la série d’élections qui devait initialement commencer le 14 février, débutera finalement le 28 mars. Les partis d'opposition ont dénoncé cette décision, la considérant comme un calcul politique émanant du parti au pouvoir alors qu’il se trouve en difficulté à l’approche des élections.

L’annonce d’une offensive imminente - aussi opportuniste puisse-t-elle être sur le plan politique - découle probablement aussi de la pression régionale et internationale face à la menace croissante posée par Boko Haram.

«Il n'y aura pas de troupes étrangères au Nigeria pour lutter contre Boko Haram.» Pendant des mois, telle a été la réponse invariable des autorités nigérianes quand un appui militaire extérieur leur était proposé. Pourtant, la semaine dernière, les troupes tchadiennes sont entrées au Nigeria par le Cameroun et ont engagé d'intenses combats avec le groupe armé islamiste dans la ville de Gamburu.

Ces combats se sont déroulés quelques jours après que le Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine a autorisé une version revue de la Force Multinationale Mixte (FMM) contre Boko Haram, lors de sa réunion du 29 janvier, en prélude au sommet de l'UA tenu à Addis Abéba les 30 et 31 janvier.

Si ces développements ont largement été interprétés comme un changement dans la politique étrangère et sécuritaire du Nigeria, une lecture attentive indique cependant que la position d’Abuja n'a pas fondamentalement évolué. En effet, le pays demeure réticent quant à une intervention étrangère sur son territoire. Il compte bien conserver le contrôle et exercer son leadership dans toute tentative de combattre le groupe terroriste.

Les troupes tchadiennes sont certes entrées au Nigeria, mais c’était dans le cadre d'un accord militaire bilatéral, et pas dans le cadre d'une force multinationale. Quant à la FMM autorisée par l’UA, elle ne sera pas déployée sur le territoire nigérian mais dans les zones frontalières des pays voisins avec, pour objectif, de contenir l'expansion régionale du groupe terroriste.

Pour ceux qui continuent de se soucier des écolières de Chibok qui ont été enlevées et des victimes des autres actes terroristes perpétrés par Boko Haram, les modalités annoncées du déploiement de la FMM constitutent forcément une déception. La FMM apparaît largement en décalage avec le type de force qui aurait été nécessaire sur le terrain, au Nigeria, pour éliminer la menace posée par Boko Haram.

Une force robuste à l’image de la Mission de l'Union africaine en Somalie (AMISOM), qui combat les islamistes d'Al-Shabaab depuis 2007, aurait semblé plus adéquate. La configuration de l'Initiative de coopération régionale de l’UA pour l'élimination de l’Armée de résistance du seigneur, qui a été créé en 2011, aurait aussi pu être envisagée.

Un autre modèle encore aurait pu être trouvé dans le format initial de la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA), dans laquelle l'armée nationale devait jouer le premier rôle dans les opérations, soutenue par la force africaine, afin de reprendre le territoire alors contrôlé par des groupes armés sécessionnistes ou djihadistes dans le septentrion malien.

Au lieu de cela, s’appuyant sur des «contingents déployés sur leur territoire national», la FMM sera mandatée pour conduire des «opérations visant à prévenir l'expansion de Boko Haram, ainsi que d'autres groupes terroristes et d'éliminer leur présence». Elle facilitera également «la conduite de patrouilles conjointes/simultanées/coordonnées et d'autres types d'opérations aux frontières des pays touchés ».

L'autorisation par l'UA de la Force multinationale mixte a été demandée par les États membres de la Commission du Bassin du Lac Tchad (CBLT) - le Cameroun, le Tchad, le Niger et le Nigeria - ainsi que par un État non membre, le Bénin, à la suite d’une réunion ministérielle qui s’est tenue le 20 janvier dernier à Niamey au Niger.

La conférence de planification visant à développer le concept d’opérations de cette force multinationale a eu lieu à Yaoundé, au Cameroun, du 5 au 7 février dernier. Il a été convenu que la force de 8 700 hommes basée à N'Djamena, au Tchad, serait autorisée à exercer un «droit de poursuite» sur le sol nigérian. La finalisation d’un concept d'opérations est considérée comme une étape cruciale dans la légitimation de la force - et peut-être dans la mobilisation de son financement - par l'Organisation des Nations Unies (ONU), à travers une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU.

Il faut donc s’attendre, dans un avenir proche, à voir le Nigeria tenter de s’attaquer à l'insurrection sur son territoire national tandis que les partenaires régionaux et internationaux, qu’ils agissent ou non dans le cadre de la FMM, sécuriseraient les zones frontalières pour empêcher Boko Haram de se répandre davantage dans les pays voisins.

Jusqu'à récemment, le Nigeria envisageait le problème Boko Haram comme une question strictement nigériane. Le statut du pays, puissance régionale, voire continentale, sur les plans politique, militaire, économique et démographique, a rendu difficile la remise en cause de cette conception par les partenaires africains et internationaux du Nigeria malgré les revers militaires graves que ses forces fédérales ont essuyés.

Toutefois de larges pans du territoire nigérian ont commencé à tomber sous le contrôle de Boko Haram, un nombre croissant de réfugiés ont afflué vers le Niger et le groupe a commencé à commettre des attaques dans le nord du Cameroun tout en menaçant les routes commerciales vers le Tchad. Il est dès lors devenu flagrant que la situation était hors de contrôle, et que la réponse du gouvernement nigérian était insuffisante.

Devant l’apparente incapacité d’Abuja à réprimer l'insurrection, et son refus d’une assistance militaire sous la forme d'une intervention multinationale étrangère sur son territoire, seule une solution intermédiaire était envisageable. Une force multilatérale dont l’objectif serait de contenir la menace était la seule forme acceptable d'intervention étrangère qu’Abuja pouvait tolérer.

Sans l’assentiment du Nigeria, aucune solution durable au problème posé par Boko Haram n’est envisageable. Le contexte politique incertain, avec des élections générales qui se profilent à l’horizon, complique encore davantage la réaction nationale. La réticence du Nigeria quant à une intervention régionale sur son territoire peut également être liée à la suspicion qui caractérise les relations entre certains des pays du bassin du lac Tchad.

C’est précisément pour régler les différends et rapprocher ses pays membres sur les questions de développement, de sécurité et d'intégration que la CBLT a été fondée en 1964. C’est aussi dans cet esprit que le prédécesseur de la force multinationale mixte, appelée la Force multinationale conjointe de sécurité, a été créée dans les années 1990 pour traiter des questions de sécurité transfrontalière dans la région du lac Tchad.

À son 14ème sommet des chefs d'État et de gouvernement, tenu au Tchad, en avril 2012, la CBLT a décidé de réactiver cette force et d'étendre son mandat pour y inclure la mission de contenir la menace Boko Haram. Le siège de la force, situé dans la ville de Baga, dans l'État de Borno au Nigeria, est tombé entre les mains de Boko Haram début janvier 2015.

Depuis le début des discussions visant à mettre en place la FMM, Abuja a soit diplomatiquement boycotté l'initiative, soit usé de manœuvres pour s’assurer qu'il garderait le leadership sur toute entreprise militaire. En plus de la difficulté de traiter un tel défi multidimensionnel, les explications de ce comportement sont à trouver dans les questions de souveraineté, de fierté nationale et d'image politique. Les partenaires du Nigeria devraient garder ces facteurs à l'esprit lorsqu’ils cherchent à aborder la question de Boko Haram avec le principal pays concerné.

De toute évidence, la force multinationale de la CBLT, dans sa configuration actuelle, est nécessaire pour contenir l'expansion régionale de Boko Haram; mais cette force n’a de sens que si le Nigeria joue pleinement son rôle dans la lutte contre l'insurrection sur son territoire. À cet égard, la pression régionale et internationale semble avoir déclenché une réponse nationale longtemps attendue.

Alors que le Nigeria et ses voisins se préparent à entreprendre des opérations militaires majeures, il convient de mentionner que toute solution à long terme nécessitera une approche qui va au-delà des nécessaires réponses sécuritaire et militaire. Une telle approche devrait également inclure des réponses politiques, économiques et sociales, qui rendront la tâche plus difficile pour des groupes tels que Boko Haram d’exploiter les griefs légitimes des populations dans les régions marginalisées.

Lori-Anne Théroux-Bénoni, Directrice du bureau, Division Prévention des conflits et analyse des risques, L’ISS Dakar

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Ce travail a été mené grâce à un appui du Centre de recherche en développementinternational du Canada.
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