La guerre de 20 ans : les répercussions du 11 septembre en Afrique

Pour éviter de nouvelles attaques, les prochaines mesures de lutte contre le terrorisme doivent être axées sur les personnes et non sur la puissance militaire.

La chute de l’Afghanistan en août 2021 et la resurgence des talibans témoignent de l’échec de la lutte contre le terrorisme au cours des 20 dernières années. Depuis le 11 septembre 2001, on estime que 254 000 personnes sont mortes dans des attaques terroristes à travers le monde entier.

La lutte contre le terrorisme est devenue une priorité mondiale, pour éliminer la menace que représentent les extrémistes et leurs financiers. Cette lutte a été dominée par l'armée, moyennant une approche de sécurité axée sur l'État.

Alors que la communauté internationale se joint aux Américains pour commémorer le 20e anniversaire des attentats du 11 septembre 2001, il est important de garder à l'esprit les moteurs du terrorisme. Dans de nombreux cas, notamment en Afrique, il découle de problèmes de sécurité humaine profondément enracinés, rencontrés par des personnes souvent ignorées ou marginalisées par leurs gouvernements. Les approches militaires ne peuvent à elles seules résoudre cela.

L'Afghanistan dirigé par les talibans a joué un rôle essentiel dans le terrorisme, avant et après les attentats du 11 septembre. Le groupe aurait fourni un refuge à Oussama ben Laden et à ses cohortes d'Al-Qaïda, dont les auteurs des attaques du 11 septembre. Il les a également protégés de la recherche internationale visant à les traduire en justice.          

L’invasion américaine de l'Afghanistan, qui a renversé le gouvernement taliban au mois d’octobre 2001, a coûté la vie à plus de 64 000 Afghans et a inspiré des groupes islamistes dans le monde entier, déclenchant ainsi une nouvelle vague d’attaques terroristes.

Grâce aux structures satellites, l'État islamique s'est étendu aux cinq régions géopolitiques d'Afrique

En Afrique, des islamistes ont mené de nombreux attentats de grande envergure en 2002 et 2003 dans des pays comme la Tunisie, le Kenya, l'Égypte, l'Algérie et le Maroc. Au Nigeria, un nouveau groupe, qui se faisait appeler les « talibans nigérians », a été fondé en 2002, dans l’État de Borno, au nord-est du pays. Ce groupe devint plus tard Boko Haram.

L'influence de l'Afghanistan sur la criminalité en Afrique est considérable. Non seulement il inspire les groupes radicaux mais il est également une source principale de trafic d'opium et d'héroïne. Ce marché illicite de drogues connaît la croissance la plus rapide du continent.

Les talibans et Al-Qaïda ne sont pas les seuls groupes à l’origine de l’extrémisme violent en Afrique. Après le 11 septembre, l’émergence de l’État islamique et la déclaration d’un califat islamique en 2014 ont révolutionné le recrutement et la participation au terrorisme sur le continent.

Comme Al-Qaïda, l'État islamique exploite le mécontentement local et donne du pouvoir aux groupes locaux ou aux affiliés. Les structures satellites appelées wilaya, ou provinces, ont permis à l'État islamique d'étendre sa portée dans les cinq régions géopolitiques d'Afrique. Les cinq foyers terroristes comprennent le bassin du lac Tchad, le Sahel, le Maghreb, la Corne de l'Afrique et la région du Mozambique, de la République démocratique du Congo et de la Tanzanie. Les attentats sont principalement menés par des affiliés locaux soutenus par Al-Qaïda ou l'État islamique.

En raison de l'amélioration de l'organisation et de la cartographie des espaces territoriaux parmi les groupes extrémistes, les deux dernières décennies ont vu une augmentation des attaques à travers l'Afrique. Au cours des 20 ans qui ont précédé les attentats du 11 septembre, 6 142 incidents ont causé la mort de plus de 10 000 personnes. Les deux décennies qui ont suivi ont connu 7 108 attaques, faisant plus de 55 000 morts.

Les programmes de lutte contre le terrorisme ont involontairement contribué à financer des régimes autoritaires

Représentant 41 % de toutes les attaques liées à l'État islamique dans le monde, l'Afrique a remplacé le Moyen-Orient en tant que centre de gravité des incidents liés au groupe. Comment et pourquoi cela s'est-il produit à une époque où l'attention se concentrait davantage sur la lutte contre le terrorisme suite aux évènements du 11 septembre ?

La politisation des mesures contre le terrorisme et la réponse ambivalente de l’Afrique constitue la première raison. Alors même qu'ils condamnaient les attentats du 11 septembre, de nombreux dirigeants africains percevaient la lutte contre le terrorisme comme une propagande américaine ou occidentale plutôt qu’une affaire qui concerne le continent.

Cela a été en partie influencé par l'expérience mitigée de l'Afrique avec l'extrémisme violent. D'une part, le continent était ciblé par des organisations terroristes mondiales. D'autre part, il était considéré comme un fabricant de terrorisme, notamment pendant sa lutte anticoloniale. Plusieurs dirigeants africains, tels que Robert Mugabe, Muammar Gaddafi et Omar al-Bashir, ont déjà été qualifiés de terroristes ou de parrains du terrorisme.

D’aucuns avaient également l’impression que la communauté internationale est restée indifférente au « 11 septembre africain », lorsque des moudjahidines de Ben Laden ont bombardé les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie en 1998.

L’implication de l’Afrique dans la guerre mondiale contre le terrorisme cherchait, comme l’avait prévu le sommet contre le terrorisme tenu à Dakar en 2001, à éviter qu’une nouvelle vague d’attaques ne nuise au développement du continent. Il s'agissait davantage d'une déclaration politique visant à encourager les partenaires internationaux à continuer de soutenir l'Afrique. Cela a initialement fonctionné, les gouvernements américain et européens ayant procédé à une allocation de leur aide aux pays soutenant la campagne anti-terroriste. L’aide étrangère américaine à l’Afrique a été utilisée comme un moyen de récompenser ses alliés.

Les programmes de lutte contre le terrorisme ont involontairement contribué à financer des régimes autoritaires

Cette aide a été principalement utilisée pour augmenter les dépenses militaires au détriment des programmes de développement. De tels programmes pourraient aider à dissuader les populations de se tourner vers l’extrémisme violent, en particulier dans les communautés rurales démunies, où la pauvreté et la religion sont instrumentalisées pour le recrutement de terroristes.

La conséquence indésirable de ces efforts motivés de lutte contre le terrorisme en Afrique consiste en ce qu'ils ont participé au financement de régimes autoritaires. Les États-Unis et les pays européens ont notamment fermé les yeux sur les violations des droits humains qui compromettent sérieusement la démocratie et la bonne gouvernance.

La deuxième raison qui explique l’expansion de l'extrémisme violent en Afrique est l'absence de coordination dans la lutte contre le terrorisme entre l'Union africaine et la plupart des organisations régionales. Le recours aux opérations de maintien de la paix mal équipées aux mandats limités dans des endroits comme la Somalie, le Mali, le bassin du lac Tchad et le Mozambique a été très coûteux et a produit peu de résultats concrets.

Troisièmement, le système de justice pénale offre une approche plus rigoureuse que les opérations militaires en termes de lutte contre le terrorisme. Cependant, il est sapé par la corruption, les restitutions politiques et le manque d'indépendance judiciaire et de jurisprudence. Les tribunaux permettent également de s'attaquer aux problèmes de sécurité humaine et aux facteurs de terrorisme profondément ancrés, et aider à rétablir le contrat social et à regagner la confiance accordée au gouvernement. Pourtant, les initiatives de lutte contre l'extrémisme violent ont rarement recours aux tribunaux.

Quatrièmement, de nombreux États africains ont négligé le dialogue avec les groupes extrémistes. En outre, ils n'ont pas cherché à consulter les acteurs de la société civile et des communautés impactées, notamment les jeunes, le secteur privé, les femmes et les chefs religieux, concernant les solutions viables. Certains aspects du dialogue, tels que l'amnistie pour les terroristes, gagnent en popularité chez les gouvernements africains. Cependant, le processus doit être géré de manière efficace afin d’éviter une réaction violente de la part des communautés et des anciens combattants qui ont rejoint les groupes extrémistes ou criminels.

Les récents développements en Afghanistan ont amené le monde à un tournant décisif, que le régime taliban représente une nouvelle phase du terrorisme ou la fin d’une ère caractérisée par la lutte contre le terrorisme menée par les États-Unis.

Quoi qu'il en soit, la trajectoire de l'Afrique dépendra de ce que nous avons appris de l'échec des deux dernières décennies. Une approche militaire ou étatique s’est révélée inefficace. Au lieu de cela, il est nécessaire de déployer de vastes stratégies qui englobent des interventions militaires, politiques, économiques et sociales. Elles devraient être centrées sur les personnes et prises en charge et menées aux niveaux communautaire et étatique.

Martin Ewi, Coordinateur de l’Observatoire régional de la criminalité organisée pour l’Afrique australe, Programme ENACT, ISS Pretoria 

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Crédit photo Amelia Broodryk/ISS

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