La défaillance étatique face aux violences dans le centre-nord du Nigeria
L’incompréhension des causes des attaques meurtrières dans l'État de Benue ne permet pas de trouver des solutions durables.
Publié le 26 juin 2025 dans
ISS Today
Par
Oluwole Ojewale
coordinateur de l’Observatoire régional du crime organisé ENACT - Afrique centrale, ISS
Le centre-nord du Nigeria est plongé dans un conflit qui dure depuis des décennies. Cependant, il attire moins l'attention humanitaire, du gouvernement et du monde que le terrorisme de Boko Haram dans le nord-est et le banditisme dans le nord-ouest.
Les communautés rurales du centre-nord sont souvent les plus touchées par les attaques. Le 13 juin, des groupes armés ont attaqué Yelwata dans la zone gouvernementale locale de Guma, dans l'État de Benue, faisant plus de 200 morts. En avril, des hommes armés ont tué au moins 52 personnes et déplacé près de 2 000 autres lors d'attaques qui ont duré plusieurs jours dans l'État voisin du Plateau.
Les interprétations varient quant aux raisons de ces attaques et à l'identité de leurs auteurs. L'analyste de la sécurité Bulama Bukarti les assimile au terrorisme. L’éminent politicien de l'État de Benue, Terseer Ugbor, les explique sous l’angle de la politique identitaire, en affirmant que les bergers peuls s'approprient les terres de l'État de Benue.
Les différences religieuses entre la communauté des bergers, majoritairement musulmane, et les communautés agricoles qui les accueillent, principalement chrétiennes, sont également misent en cause. On relie aussi ces agressions à celles des criminels étrangers qui profitent de la porosité des frontières pour entrer au Nigeria.
Certains affirment que la violence est due à la pénurie de ressources, aux désaccords entre agriculteurs et éleveurs sur l'utilisation des terres et aux effets du changement climatique. Ce dernier fait en effet grimper les menaces, perturbant les moyens de subsistance, entraînant une baisse de la productivité agricole et des déplacements forcés de population.
Le président nigérian Bola Tinubu estime que le conflit nécessite une consolidation de la paix et qu’il doit être résolu au niveau communautaire. Il a conseillé au gouverneur de l'État de « poursuivre la réconciliation et le dialogue dans le cadre d'une solution politique aux tueries qui se déroulent dans l'État ».
Identifier les causes profondes de tout conflit est essentiel pour trouver des solutions durables. La violence au Nigeria est une manifestation de l'échec de l'État. Celui-ci s'est montré impuissant à protéger ses citoyens et a fait preuve de peu de volonté. Il a échoué dans cinq domaines clés : le renseignement, la protection, l'administration de la justice, la politique et la stratégie.
Le renseignement constitue le fondement de la gouvernance sécuritaire en permettant d’agir sur la base de l’analyse des informations. Bien que le gouvernement dispose de diverses institutions de défense, de sécurité, de renseignement et d'application de la loi pour y parvenir, son approche a été au mieux réactive, au pire inefficace.
Cela se vérifie dans son incapacité à transformer les informations d'alerte précoce en renseignements exploitables, ou à utiliser de manière proactive les renseignements disponibles pour prévenir les attaques. Dans certains cas, des communautés ont signalé avoir été témoins de rassemblements de groupes armés, mais les forces de l'ordre n'ont pas réagi. Tinubu a confirmé ce problème lorsqu'il a réprimandé des officiers de police lors d'une récente visite à Benue, leur demandant pourquoi aucune arrestation n'avait eu lieu.
En ce qui concerne la protection, l'État n'a pas envoyé l'armée et la police pour assurer la sécurité. Alors que des soldats sont déployés dans les épicentres de la violence dans le centre-nord, les habitants sont à nouveau pris pour cible dès que les militaires quittent la région. Les criminels se déplacent également vers d'autres communautés pour perpétrer des attaques.
Ces réponses à postériori des agences de sécurité et d'application de la loi n'ont pas permis d'endiguer la violence meurtrière dans le centre-nord du Nigeria — ni d'ailleurs dans d'autres parties du pays —, comme le confirment les données de l'ACLED (voir graphique). La province de Benue a subi 722 attaques et 3 251 morts ont été dénombrés entre 2015 et 2024. L'ACLED s'appuie surtout sur les informations rapportées par des groupes locaux et les médias, de nombreux incidents ne sont donc pas enregistrés.
Le troisième domaine de défaillance de l'État est l’incapacité de son système judiciaire à traiter les griefs légitimes, à punir les auteurs d'infractions et à indemniser les victimes. Malgré des directives présidentielles répétées, les victimes et le public voient rarement les auteurs de ces violences arrêtés, poursuivis et condamnés. Il n’existe alors quasiment pas de moyen pour dissuader de nouvelles attaques.
Lorsqu’il y a des arrestations, les personnes inculpées ne sont pas toujours poursuivies. Cela encourage les criminels et renforce les griefs des victimes à l'encontre de l'État.
En outre, le gouvernement peine à faire respecter son autorité et la loi dans l'ensemble du pays. Cela favorise non seulement l'émergence de groupes qui ont accès à des armes illicites, mais remet également en question l'intégrité territoriale de l'État, car les groupes armés prennent le contrôle de certaines zones rurales et frontalières.
Sur le plan politique, le quatrième domaine clé de l’État, le gouvernement n’a pas fait preuve d'un engagement décisif pour mettre fin à la crise, se contentant de promesses qui n'ont pas été suivies d'effets. Le nombre croissant d'attaques contre les civils en milieu rural en est la preuve.
L'approche du gouvernement a été au mieux réactive, au pire inefficace
Le dernier domaine où le gouvernement a échoué concerne la stratégie. Les autorités nigérianes continuent de négocier avec les bandes de crime organisé et les bandits qui mènent des attaques massives dans le centre-nord et le nord-ouest du Nigeria. Ces négociations sont biaisées, la Constitution n’octroyant aux gouvernements fédéraux aucun contrôle sur l'armée et la police. C’est donc en position de faiblesse qu'ils affrontent les groupes armés, ce qui érode davantage l'autorité de l'État.
La mauvaise compréhension de la violence dans le centre-nord du Nigeria a conduit à des diagnostics erronés, à des réponses politiques inappropriées et à l'escalade du conflit. Il ne s’agit pas de terrorisme, car il n'y a pas de fondement idéologique, et les causes dépassent le problème du changement climatique et les conflits religieux ou entre agriculteurs et éleveurs. On assiste plutôt à une criminalité prolongée, intentionnelle et coordonnée, qui doit être traitée comme telle.
L'État doit faire un effort pour réorganiser et déployer à la fois tous les instruments du pouvoir national tels que l'armée, la police et un système judiciaire compétent afin de lutter contre la criminalité, sur la base du renseignement et en encourageant la dissuasion.
Si les criminels sont des combattants étrangers, comment entrent-ils au Nigeria ? D'où proviennent les armes et les munitions ? Quelles stratégies sont mises en place par l'État pour freiner l'afflux de criminels et d'armes illicites ? Le gouvernement doit répondre à ces questions pertinentes afin de renforcer la sécurité et aller au-delà de la simple identification et de l'étiquetage des auteurs.
Les droits exclusifs de re-publication des articles ISS Today ont été accordés au Daily Maverick en Afrique du Sud et au Premium Times au Nigéria. Les médias basés en dehors de l'Afrique du Sud et du Nigéria qui souhaitent republier des articles ou faire une demande concernant notre politique de publication sont invités à nous écrire.